Hocine Lahouel a été le deuxième personnage après Messali dans le PPA-MTLD. De nombreux dirigeants de ce parti, qui lui doivent leur formation, ont exercé de hautes fonctions dans le FLN au cours de la guerre de libération.. De l'Etoile au PPA Hocine Lahouel naquit en 1917 à Skikda (ex-Philippeville). Deux événements clefs l'ont marqué au cours de son adolescence : la guerre du Rif marocain conduite par le héros Abdelkrim El Khattabi dans les années 1923 – 1926 contre la coalition franco-espagnole, et les «fêtes» du centenaire de l'occupation française de l'Algérie en 1930. Ils ont enflammé chez lui la conscience nationale. La même année, il découvre le journal El Ouma paraissant à Paris, où il trouve ses idées et ses sentiments parfaitement exprimés. Il le diffuse et le commente dans son entourage. Il est élève au lycée de Skikda. Il a 13 ans lorsqu'il est convoqué par le commissaire de police de Skikda pour ses «idées subversives». Sa famille quitte la ville et s'installe définitivement à Alger. Là, Hocine se met à fréquenter le groupe de l'Etoile nord-africaine chez Hadj Smaïn, coiffeur à la Casbah. Il y a là Ahmed Mézerna, traminot, Brahim Gherafa, petit épicier d'origine mozabite, Mohammed Mestoul, serrurier, Khalifa Ben Amar, orateur intarissable, natif de Biskra, Hocine Mokri taxi, pas d'étudiant, aucun membre des professions libérales. Il est invité à une réunion de cadres, où il propose l'envoi d'un délégué en France chargé d'entrer en relation avec la direction du Parti qui siège à Paris. Mohammed Mestoul est chargé de cette mission. Il revient avec des directives et des orientations concernant l'implantation de l'Etoile dans la capitale. 14 sections totalisant environ 2000 adhérents sont créées et Lahouel est choisi pour en être le coordinateur. Il fut le premier permanent du Parti, cadre salarié, voué entièrement à l'activité militante. Il assiste au meeting historique du 2 août 1936 organisé par le Congrès musulman algérien au stade El Anasser (ex-municipal). Devant une foule nombreuse et pour la première fois en Algérie, Messali prend la parole pour revendiquer publiquement l'indépendance de l'Algérie face aux partisans de l'assimilation. Le 1er mai 1937, Fête du travail, il est au premier rang du cortège du PPA qui défile de la place du 1er Mai (ex-Champ de manoeuvres) à la place des Martyrs (ex-place du Gouvernement). Le 2 août 1937, il est arrêté en même temps que Messali, Gherafa, Zakaria, Khalifa Ben Amar. Ils sont incarcérés à la prison de Serkadji et condamnés par le tribunal d'Alger pour avoir réclamé l'indépendance de l'Algérie, en vertu du décret Régnier (atteinte à la souveraineté française, l'Algérie étant considérée l'un des trois départements français, à l'image de la Corse ou de la Bretagne, et les partisans de l'indépendance des «séparatistes»). Ils sont transférés à la prison centrale d'El Harrach (ex-Maison-Carrée). Là, ils entreprennent une grève de la faim – la première du genre en Algérie – pour protester contre le régime de droit commun qui leur est imposé. Ils obtiennent un régime carcéral avec repas amélioré, journaux, visites. La direction du Parti, établie à Paris, siège désormais à El Harrach, sous la présidence de Messali, assisté de Lahouel. En 1939, celui-ci participe à la confection d'un nouveau périodique du PPA Le Parlement algérien, édité à Alger. Les détenus sont libérés le 27 août 1939 après avoir purgé deux ans de prison. Mais leur libération est de courte durée. En septembre de la même année éclate la Seconde Guerre mondiale. Lahouel est mobilisé, mais il est jugé «indigne de porter les armes dans l'armée française». Il est arrêté à nouveau et transbahuté d'un endroit à l'autre dans les camps de déportation du sud oranais : Mecheria, El Aricha, Aïn Sefra. Il envoie de là, en 1944, des articles destinés à L'Action Algérienne, journal clandestin créé et animé par le groupe Taleb à Alger. Le hasard fait découvrir les manuscrits par la police dans une boulangerie de La Casbah. Ce qui vaut à Lahouel des poursuites judiciaires, dans un climat marqué par la répression à outrance au lendemain du génocide de mai 1945. Il est condamné à 20 ans de travaux forcés par le tribunal d'Alger. A l'annonce du verdict, et avec un sourire narquois, Lahouel, debout, lance à l'adresse du juge : «Monsieur le président, dit-il, je pense que d'ici là, la France sera partie.» C'était 17 ans avant l'indépendance de l'Algérie (en 1962). Il est envoyé à la prison centrale de Tazoult (ex-Lambèze) connue pour les rigueurs de son régime. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en avril 1946, l'amnistie générale est proclamée par le gouvernement français : de nombreux détenus politiques sont libérés. Lahouel fait partie du lot. Il reprend sa place à la direction du PPA, dissous depuis 1939, mais qui n'en continuait pas moins ses activités clandestinement. De son côté, Messali, déporté à Brazzaville depuis mai 1945, est libéré à son tour. Il est autorisé à rentrer en Algérie, où il séjourne à Bouzaréah, la ville d'Alger lui étant interdite. Du MTLD à l'OS Le retour de Messali en Algérie a lieu en octobre 1946. Le Comité central du PPA se réunit à cette date. Le problème à l'ordre du jour était les élections à l'Assemblée nationale française. Quelle position adopter ? Messali, qui présidait la session, était pour la participation et il réussit à entraîner le Comité central dans cette option. Il soutenait que c'était là une tribune qui permettait de dénoncer les injustices et les iniquités coloniales et de poser publiquement le problème de l'Indépendance. Seul Lahouel s'opposa à cette option faisant valoir que le passage de l'illégalité à la légalité était brusque et qu'il risquait de désarçonner les militants habitués jusque-là à la clandestinité. En outre, disait-il, notre revendication de l'indépendance était incompatible avec notre présence à l'Assemblée nationale française dépositaire de la souveraineté française. Et c'est ainsi que le PPA, interdit depuis 1939, s'engagea dans la voie électorale. Il le fit sous un nouveau sigle le MTLD : Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, l'ancien : le PPA, étant irrecevable par l'administration, car frappé d'interdiction depuis le début de la guerre. Le MTLD remporta cinq sièges sur quinze : Mohammed-Lamine Debbaghine, Messaoud Boukaddoum et Djamel Derdour furent élus dans le Constantinois, Ahmed Mézerna et Mohammed Khider dans l'Algérois. Le premier Congrès du PPA-MTLD tint ses assises à Alger les 15 et 16 février 1947 pour faire le bilan de son activité et définir son orientation et les principes de son organisation. Ce fut Lahouel qui établit le rapport au Congrès où il préconisait, au nom de la direction, le principe de l'organisation-mère le PPA, sa couverture légale le MTLD, et la préparation de la lutte armée par la création d'une organisation para-militaire dénommée Organisation spéciale (OS), appelée parfois Organisation secrète, noyau de la future ALN (Armée de libération nationale). Il ne fallait pas renouveler l'erreur de 1945 où le Parti s'était trouvé démuni d'un pareil instrument au moment où il tenta de passer à l'action armée sur tout le territoire pour soulager les populations de Sétif et de Guelma menacées de génocide. Après deux jours de débats, le Congrès décida du principe de la libération nationale par tous les moyens, y compris la lutte armée. Les élections furent admises comme moyen de lutte, pouvant être modifié selon les circonstances : participation ou abstention. Le MTLD fut consacré comme habit légal du PPA avec mission d'encadrer les différentes couches de la population : jeunes, travailleurs, étudiants, femmes dans des organisations satellites qui deviendront plus tard organisations nationales ou organisations de masse. En fait, MTLD et PPA formaient un tout, le MTLD en étant la face publique, la partie visible de l'iceberg, la partie cachée le PPA, étant de loin la plus importante, l'OS, clandestin, recrute dans le PPA, le tout sous la même direction du PPA-MTLD. En octobre-novembre 1947, les élections municipales et de djemaâ révélèrent un véritable raz-de-marée où l'on vit les listes MTLD triompher dans les principales villes d'Algérie : Alger, Constantine, Oran, Annaba, Tlemcen, Blida, Skikda, Lakhdaria, Draâ El Mizan, Miliana, Khemis Miliana, Ténès, Mostaganem, Sidi-Bel Abbès, Souk Ahras, Dellys, Bordj Ménaïel, Meftah, Tébessa… Six mois après, en avril 1948, des élections à nouveau en vue de désigner l'Assemblée algérienne, assemblée dotée de pouvoirs de discuter et de voter le budget de l'Algérie, avec parité de représentants : 60 dans le premier collège (européen), 60 dans le deuxième collège (musulman). La certitude de voir encore une fois triompher le MTLD au 2e collège soulève la peur chez le gros colonat et son administration. Il ne veulent pas avoir en face d'eux une opposition légale, avec des élus représentatifs, exprimant les sentiments authentiques de leur peuple. Leur lobby parisien, très actif, intervient pour barrer la route au MTLD. Il ne veulent pas laisser celui-ci remporter les élections comme en 1947. Cette perspective, ils ne veulent pas l'admettre, pas plus que le gouvernement de Paris. C'est le socialiste Marcel-Edmond Naegelen, membre de la Section française de l'internationale ouvrière (SFIO), qui est désigné gouverneur général de l'Algérie et chargé de présider aux élections. Il organise «la consultation électorale» avec des méthodes qui feront date. Les élections se déroulèrent les 4 et 11 avril 1948 et se traduisirent par une série d'abus et d'irrégularités. Discours menaçants du gouverneur général, suspension d'El Maghreb El Arabi, journal bi-mensuel, bilingue, pro-MTLD, rafles, perquisitions, arrestation de 33 candidats MTLD sur 59 et des centaines de militants, interdiction de parler en public, manoeuvres en Basse-Kabylie destinées à intimider la population… Le jour du scrutin Constitution arbitraire de bureaux de vote, expulsion des délégués du MTLD dans de nombreux cas, absence de bulletins de vote MTLD, urnes remplies à l'avance, falsification des résultas. A Deschmaya, Sour El Ghozlane (ex-Aumale) et Omaria (ex-Champlain) dans le Titteri, fusillades d'électeurs récalcitrants : 10 morts, une centaine de blessés, nombreuses arrestations. Les résultats officiels donnèrent au deuxième collège (musulman) pour le MTLD 9 élus. A la séance d'ouverture de l'Assemblée, le 21 mai 1948, seuls 5 sur 9 assistaient : Ahmed Bouda, Mustapha Ferroukhi, Chawki Mostefaï, Larbi Demaghlatrous et Belhadi Lamine, les 4 autres sont en prison : Boualem Baki, Moussa Boulkeroua, Hadj Mohammed Cherchalli et Embarek Djillani. Dans les rangs de l'UDMA, figuraient Ferhat Abbas, Dr Abdesselam Benkhellil, Kada Boutarène, Ahmed Francis, Abdelbaki Benkara, Ali Cadi et Youssef Benabid, soit 7 élus en tout. Au premier collège, où le truquage était impraticable, un communiste élu à Sidi-Bel-Abbès, René Justrabo. Voilà donc toute l'opposition, réduite à 17 membres, sur un total de 120 membres ! A la séance inaugurale de l'Assemblée, les délégués du premier collège ayant entonné La Marseillaise selon la coutume dans les assemblées élues, ceux du MTLD se lèvent et répliquent par Fidaou El Djazaïr, ancêtre de Kassamen, composé par Moufdi Zakaria en 1937. Inutile de décrire la stupéfaction indignée des élus européens qui entendaient pour la première fois l'hymne national du PPA. Depuis, plus jamais La Marseillaise ne retentira dans l'enceinte de l'Assemblée algérienne ou de toute autre assemblée «élue». Quant aux propos peu amènes et aux incidents d'audience, ils allaient devenir monnaie courante entre délégués des deux collèges, musulman et européen, et empoisonner durablement les rapports entre les deux communautés. Naegelen et les gros colons avaient atteint leur but : la marginalisation du MTLD à l'Assemblée algérienne où celui-ci aurait disposé d'une majorité écrasante au deuxième collège (selon des confidences de source officielle). Cet étouffement de la volonté populaire n'était pas sans rappeler celui de 1920 à Alger, quand fut annulée la liste élue de l'Emir Khaled, ou celui de 1937 quand fut refusée l'élection de Messali au Conseil général d'Alger. A deux décennies d'intervalle, le colonialisme, fidèle à lui-même, refusait toujours le dialogue avec les représentants authentiques du peuple. D'où le constat d'un certain nombre de faits : élections discréditées, légalité mise en échec, démonstration que l'action politique bien que nécessaire, était impuissante à modifier le rapport des forces colonialisme-peuple algérien. Le parti socialiste de la SFIO fut démasqué à travers la personne de Naegelen. La mascarade des élections de 1948 jouera un rôle déterminant dans la radicalisation du PPA-MTLD. Elle le poussera davantage à la clandestinité et à activer les préparatifs de l'action armée par le renforcement de l'OS. Le Comité central se réunit fin décembre 1948 à Zeddine (Aïn Defla) et en tira les conclusions. Il confirma la décision du Comité directeur de donner la priorité à l'OS et de mettre à sa disposition des hommes de choix et le maximum de moyens matériels et financiers, non sans avoir insisté sur la nécessité d'un encadrement qualitatif. Alors que le CC avait fini de prendre ces décisions, après une semaine de travaux, l'alerte fut donnée par les guetteurs qui veillaient à la sécurité de l'Assemblée. On quitta précipitamment Zeddine pour Blida où les travaux reprirent dans le sous-sol d'une villa appartenant à Mohammed Boulahya, conseiller municipal MTLD de la ville. Il ne restait d'ailleurs qu'à désigner la direction. C'était en janvier 1949. Pour la première fois, le Secrétaire général fut élu par le CC sur proposition de Messali. Jusqu'ici, la fonction de Secrétaire général n'existait pas. Pratiquement, c'était Lahouel qui l'assumait depuis sa libération en 1946. Le nerf de la guerre Devant les activités multiples du Parti et face à la nouvelle situation de l'OS, les rentrées financières s'avéraient nettement insuffisantes. Il fut signalé à la direction l'existence d'une forte somme d'argent à la poste d'Oran par des militants employés dans l'établissement. Après accord de la direction, le feu vert fut donné par Lahouel à Aït Ahmed, chef de l'état-major de l'OS, pour s'en emparer. Lahouel était assisté par Ali Abdelhamid, chef de l'organisation politique. Aït Ahmed fut secondé par Ben Bella dans l'exécution de l'opération qui mobilisa plusieurs militants de l'OS. L'action rapporta un peu plus de trois millions de francs (centimes), au lieu, dit-on, de 80 millions annoncés et auxquels les auteurs de l'opération, dans leur précipitation, ne prêtèrent pas attention. Mohammed Khider, député MTLD au Parlement français, fut chargé par Lahouel de se rendre à Oran pour ramener le butin. Conscient de l'enjeu, Khider utilisa sa voiture dont le pare-brise affichait la cocarde officielle tricolore : bleu, blanc, rouge qui lui assurait l'immunité parlementaire. L'argent fut versé à la trésorerie du Parti. La police ne connaîtra que bien plus tard l'affaire, par un militant de l'OS arrêté et torturé, et qui avait pris part à l'opération. Au cours de l'année 1949, un fait important est à signaler : la parution de L'Algérie libre, le 18 août 1949. Venant après El-Ouma édité à Paris, et Le Parlement algérien, édité lui à Alger en 1939. L'Algérie libre, organe central du MTLD, allait jouer un rôle de premier plan dans la propagande du Parti et son rayonnement. Le démantèlement de l'OS L'année 1950 fut un véritable séisme pour le Parti. L'OS fut découverte et démantelée par la sécurité française. Une expédition punitive, à Tébessa, contre un élément de l'OS, par quelques-uns de ses partenaires aboutit à un fiasco ; la police réussit à arrêter plusieurs membres de l'organisation locale de l'OS et à tomber sur le premier maillon de la chaîne. L'événement se produisit en mars 1950. De fil en aiguille, par arrestations successives, la police put remonter le filière et parvint à mettre la main sur la quasi-totalité de l'état-major et de son chef, Ben Bella. En mai 1950, il y avait entre 300 et 400 militants arrêtés aussi bien dans l'OS que dans l'organisation politique du PPA-MTLD. Toutes ces arrestations en chaîne opérées en mars, avril, mai 1950, se traduisirent par le démantèlement de l'OS et la saisie d'un nombreux matériel : mitraillettes, chargeurs, pistolets, cheddite, cordons bickford, mèche lente, grenades de modèles variés, postes émetteurs de radio, documents, manuels militaires… L'Administration disposait désormais des preuves concrètes sur l'existence organique de l'OS, ses membres, son armement, sa structure hiérarchique, son financement et notamment sa subordination étroite au PPA-MTLD. Celui-ci courait le risque d'être dissous et décapité, ainsi que l'ensemble des ses associations sociales et culturelles : étudiants, femmes, Scouts musulmans, comités de soutien aux victimes de la répression (CSVR), commerçants, sportifs, médersas… C'est alors que la direction réagit promptement par une vigoureuse campagne de dénonciation à travers ses élus et sa presse, qualifiant l'opération policière de «complot colonialiste» et accusant ses promoteurs de préparer un nouveau génocide, «un nouveau 8 mai 1945». Les élus UDMA et quelques journaux d'opposition s'associèrent à cette campagne. Les députés MTLD saisirent le Gouvernement et le Parlement français dont ils étaient membres. L'Administration en Algérie finit par reculer. Le Parti fut sauvé. Mais les dégâts furent considérables : ce fut un véritable démantèlement de l'OS. Dans son journal El Jarida, Mohammed Boudiaf, l'unique rescapé de l'état-major, écrit : «Avec du recul, on peut se demander comment l'OS n'a pas pu mieux résister à l'offensive coloniale, même si les méthodes employées par la police furent violentes : tortures systématiques, etc.» (El Jarida, n° 15, nov-déc, 1974, p.6.) Le Comité central, quant à lui, se réunit en février 1951 pour faire le bilan. Décapitée par l'arrestation de son état-major, privée d'un tiers de ses effectifs capturés, l'OS n'offrait plus de sécurité à ses rescapés. On assista à une disparition de fait de cette organisation. Le CC constata que la faute première revenait à la direction du Parti elle-même qui a entretenu un appareil clandestin pléthorique, alors que les conditions de passage à l'action armée n'étaient pas encore réunies ; la deuxième responsabilité incombait à l'état-major : recrutement non sélectif, manque de précautions et de vigilance incompatibles avec les règles d'une organisation ultra-clandestine, absence de réaction rapide pour enrayer le flot des arrestations. Le Comité central avait désigné, au cours de sa réunion, une commission présidée par Messali. Après délibération, la commission est revenue avec une décision rapportée par Messali et adoptée par le CC : – le principe de la lutte armée est indiscutablement maintenu, en attendant la restructuration de l'OS sur de nouvelles bases, maintien des structures de l'OS non découvertes par la police, et suspension de leurs activités, – reversement des éléments de l'OS dans l'Organisation-mère du PPA, – Les zones où l'organisation de l'OS n'avait pas été touchée par la répression demeurèrent intactes. Ce qui leur permit d'entrer en action le 1er novembre 1954, – Boudiaf, Didouche, Maroc et d'autres militants de l'OS sont affectés en France et intégrés à la Fédération du Parti. Le Congrès d'Avril 1953 Un an après, en mars 1952, le Comité central se réunit pour examiner la situation. Ce n'était plus le PPA de 1937 qui se livrait, pour l'essentiel, à la propagande et à l'agitation et qui s'efforçait à s'implanter dans le pays. C'est un parti qui a grandi et qui s'est considérablement développé sur toute l'étendue du territoire national, et en France, malgré la répression sous toutes ses formes qui s'abattait sur lui. Des problèmes nouveaux se sont posés à lui et auxquels le Comité central doit faire face : – la reprise de l'OS sur de nouvelles bases, – l'union nationale préalable à la lutte armée, – le lancement d'un syndicat national regroupant travailleurs et ouvriers algériens face à la CGT d'obédience communiste, – l'insuffisance notoire des finances devant l'ampleur de la tâche, – la politique du Parti chez les élus, – les perspectives sur les plans culturel, politique, social, économique, religieux et fondements idéologiques du futur état algérien, – la stratégie de lutte, – les statuts du Parti et les prérogatives des organes dirigeants : Président, Comité central, Bureau politique (ou Comité directeur), Congrès, etc. Autant de questions vitales qui ne pouvaient être que du ressort d'un Congrès, organe souverain du Parti. La décision fut prise de réunir le Congrès, et la date fixée à juillet 1952. Nous avions quatre mois devant nous pour le préparer. Une commission fut désignée à cet effet : Abdelmalek Temmam, Mustapha Ferroukhi, Moulay Merbah. Au lieu d'aider la commission dans sa grande tâche d'élaboration du rapport, Messali ne trouve pas mieux que d'exprimer le désir de faire une tournée en Algérie. Au Bureau politique, nous jugions que le moment était inopportun. Une provocation policière de l'Administration n'était pas à écarter, et conduirait fatalement à son arrestation. Plus que jamais, nous tenions à sa participation. Sans quoi, le Congrès perdrait de son autorité, Messali exerçant sur le Parti une influence psychologique énorme. Mais Messali insistait. Connaissant son caractère emporté et sa propension aux bains de foule, nous nous résignâmes à lui recommander de limiter ses réunions aux militants et aux personnalités locales proches du Parti. Messali visita Blida, Soumaâ, Ksar El Boukhari. Ce que redoutait la direction survint le 14 mai 1952, à Chlef (ex-Orléansville). Ce fut là que fut tendu le piège. 3000 personnes attendaient le «chef national». La police laissa passer la voiture de Messali, puis se rua sur la foule. Coups de crosse, fusillades. Bilan : deux morts, plusieurs blessés, nombreuses arrestations, proclamation de l'état d'urgence dans la région. Messali est arrêté et transféré en France, à Niort, où il fut placé en résidence surveillée. Et alors un va-et-vient incessant entre Alger et Niort où la direction s'efforcera coûte que coûte d'associer Messali aux travaux du Congrès. Celui-ci, prévu en juillet 1952, est reporté jusqu'à avril 1953, entraînant des effets négatifs sur le moral des militants. Une fois le Congrès tenu, la nouvelle direction ne vit le jour qu'en juillet 1953. Messali mit trois mois pour se décider à désigner le candidat au poste de Secrétaire général, selon la règle du Parti. Sur proposition de Messali, Ben Khedda fut élu Secrétaire général par le Comité central ; il forma son équipe composée de Lahouel, Kiouane, Abdelhamid, Ferroukhi avec l'approbation du Comité central. Par la même occasion, celui-ci désigna la commission chargée de relancer l'OS : Messali, Lahouel, Ben Boulaïd, Ben Khedda, Dekhli. Dès le lendemain de la réunion du CC, je pris soin de convoquer Lahouel, Ben Bouaïd et Dekhli pour leur annoncer leur désignation à la commission de l'OS. Nous procédâmes tous les quatre à l'examen de cette organisation. Nous tînmes compte des erreurs du passé : un effectif pléthorique, qui alourdissait la machine, augmentait les dangers de fuite, et débouchait sur l'activisme sans résultats. Nous nous arrêtâmes au schéma d'une organisation de cadres qui dispenserait à ses éléments une formation et une instruction militaires solides. Cette organisation, limitée par le nombre, ne devait commencer à recruter que quelques mois seulement avant la date du déclenchement insurrectionnel. L'OS agirait ainsi au moment propice : conflit extérieur ou tout autre contexte sur le plan international ou intérieur. Lahouel fut chargé de renouer avec les anciens de l'OS. Il se rendit à Paris, rencontra Boudiaf et Didouche et leur demanda de rentrer pour remettre l'OS sur pied, tout en leur expliquant l'importance de la décision. A mon tour, une semaine après, je pris l'avion pour Niort où je mis au courant Messali des travaux du CC, répondant à ses questions, lui révélant la composition de la commission de l'OS dont il était membre et notre point de vue sur sa réactivation. Messali se contenta de dire : «Si j'ai soulevé cette question (de l'OS) c'était pour attirer l'attention de la direction.» Je lui remis les rapports destinés au CC qui devait siéger dans une dizaine de jours, et sur lesquels il était tenu de donner son opinion. C'était en juillet 1953. Je déclarais en outre à Messali que je me tenais à son entière disposition pour noter ses réflexions, répondre à ses questions, transcrire ses observations, ses critiques et ses propositions et en faire part au CC, aussi fidèlement que possible. En réponse, celui-ci demanda le report du CC à une date ultérieure. Ensuite, il réclama Moulay Merbah. J'avais cessé, donc, d'avoir sa confiance. De ce fait, le CC, subissant du retard, ne put se réunir que du 12 au 16 septembre 1953, c'est-à-dire deux mois après notre rencontre de Niort. Cette réunion allait marquer la cassure entre Messali et le Secrétaire général d'abord ; une cassure qui s'élargira rapidement à la direction d'abord, au CC ensuite. C'était le début de la scission. Messali refuse de collaborer aussi bien avec le Comité central qu'avec la commission de l'OS. Il réclame les «pleins pouvoirs» pour diriger le Parti. Le CC s'en tient à la direction collective. C'est la crise ouverte. Le Parti est scindé en deux : partisans de Messali et partisans du Comité central (Centralistes). Le différend descend dans la rue. Des bagarres éclatent. Il y a des blessés. Beaucoup de militants sont écœurés de voir leurs frères de lutte s'entredéchirer. Et c'est alors l'apparition d'une troisième tendance qui se veut neutre, et qui appelle à l'unité : le CRUA (Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action). Le CRUA Peu de gens savent que Lahouel a été l'un des initiateurs du CRUA avec Boudiaf, Dekhli, Abdelhamid. Les quatre se proposaient au départ de réunifier les deux tendances dans un Congrès. Sid-Ali Abdelhamid laissa le soin à Lahouel de rester en rapport avec les autres membres du groupe auxquels se joignirent Mustapha Ben Boulaïd et Ramdhane Bouchbouba. Boudiaf fit alors preuve d'une activité intense : il multiplia les contacts avec les membres de l'OS et rencontra en Suisse ceux de la délégation extérieure du PPA-MTLD, Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella et Mohammed Khider. Un événement international considérable vint décupler les efforts de Boudiaf : la bataille de Dien Bien Phu au Vietnam où la France avait subi une défaite cuisante. Cette défaite agit en puissant détonateur sur les éléments de l'OS en vue de l'insurrection immédiate pour dépasser la crise. C'est alors que ces derniers, et à leur tête Boudiaf, décident de l'action armée à court terme. Il n'est plus question de Congrès unitaire. Pour eux, l'unité se fera dans l'action. Le CC estimait que l'insurrection devait être préservée des aléas de la précipitation et qu'il fallait au préalable réaliser l'unité de l'Organisation et élaborer une plate-forme d'Union nationale. Les militants avaient opté pour Messali dans leur presque totalité tant en Algérie qu'en France. Par deux fois, Lahouel avait demandé à Boudiaf de retarder la date du déclenchement afin de se donner le temps d'établir une plate-forme d'union, de se doter d'une direction et d'étoffer les groupes de combattants. Mais le CRUA était pressé d'agir. Lahouel, dans les kasmas qu'il avait visitées en compagnie de Boudiaf expliquait aux militants la position du Comité central et les mettait très loyalement devant un choix : action immédiate soutenue par Boudiaf, action retardée soutenue par le CC. La conception de Lahouel était de ne pas forcer les militants et de les laisser libres de se prononcer. La scission du PPA-MTLD est consommée en été 1954. Les Messalistes tiennent leur Congrès à Hornu, en Belgique les 13, 14 et 15 juillet ; le Congrès des Centralistes, quant à lui, se tient à Alger les 13, 14, 15 et 16 août 1954. Toutes les tentatives d'unité ont échoué. Le CRUA, fort de son autonomie, avait rapidement évolué vers une orientation franchement activiste. Il n'est plus le mouvement d'opinion pour un congrès large et démocratique, mais un mouvement qui brûle de passer à l'action. Son impatience est d'autant plus exacerbée que les événements de Tunisie et du Maroc font la «une» des journaux. Aux yeux de Boudiaf et des éléments de l'OS, l'action armée attirerait la répression coloniale sur les deux protagonistes : c'était la seule façon de rétablir l'unité du Parti. Le nouveau Comité central du PPA-MTLD issu du Congrès d'Alger fait paraître un journal La Nation Algérienne dont il confie la direction à Hocine Lahouel. L'organe sortira dix numéros en tout du 3 septembre au 5 novembre 1954. Du Caire, Abd-Ennasser pousse notre délégation extérieure – qui a opté pour les thèses du CRUA – à passer à l'action immédiate. Le Comité central est averti de l'imminence du déclenchement de la lutte armée. Il décide d'envoyer au Caire une mission chargée de s'assurer des garanties offertes par Abd-Ennasser, et de s'informer de la nature et de l'importance des moyens que celui-ci promettait de consentir à l'action insurrectionnelle en Algérie. Le CC désigne à cet effet Hocine Lahouel et M'hammed Yazid, parce que très proches du CRUA. Quand ils arrivent au Caire, le 29 octobre 1954, les dés étaient jetés. Deux jours plus tard, c'était la grande explosion. (A suivre) Note de renvoi : – (1) La présente contribution nous provient de la Fondation Benyoucef Benkhedda L'auteur est ancien président du GPRA