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Ath Yahia, Béni Yenni, Aït Chaffaâ, Azzefoun… la mémoire des collines oubliées
Publié dans El Watan le 06 - 09 - 2008

Samedi 30 août. 13h50. Nous quittons Yakouren en mettant le cap sur Aïn El Hammam (ex-Michelet). Nous traversons difficilement la ville d'Azazga en raison d'un bouchon monstre à hauteur de l'hôpital. Mourad, notre accompagnateur, fait un détour par l'agence BDL qui avait été attaquée le 23 mars 2004. Il estime que le banditisme «de droit commun» s'est mélangé au terrorisme dans ce genre d'affaires. Imposant barrage militaire à l'intersection des routes de Mekla et Ifarhounane. Des fûts et des pneus sont mis à contribution pour donner consistance au check point. Au-delà de ce barrage, la route ne fera que monter à travers un entrelacs de virages tortueux. Nous roulons une bonne demi-heure au milieu d'un paysage vertigineux. Impression d'un territoire en chantier avec toutes ces maisons en construction, ces fers d'attente hérissant les terrasses de carcasses inachevées, contrastant avec les vieilles masures en pierre, d'allure traditionnelle, coiffées de tuiles rouges. On notera que les collines et les valons que nous enfilons n'arborent pas de marques d'incendies à l'exception de certains buissons. «C'est que le feu a tout dévoré l'année dernière», commente un habitant de Beni Zmenzer.
14h55. Nous arrivons enfin à Ath Hichem, village connu pour sa fête du tapis. On enchaîne sur Ath Yahia, une zone difficile où il y a eu quelques attentats comme ce guet-apens tendu le 5 juillet 2007 au wali de Tizi Ouzou et auquel ce dernier avait miraculeusement échappé. D'ailleurs, un important barrage contrôle le carrefour principal d'Aït Yahia, un barrage mixte ANP-gendarmerie soutenu par une unité de gardes communaux. Un chemin vicinal reliant Aïn El Hammam à Aït Yahia est carrément obstrué par un tronc d'arbre et un monticule de terre. Derrière la barricade s'élève une caserne. Un ébéniste travaillant dans une menuiserie jouxtant ce barrage raconte : «Ils ont barré la route juste après l'attentat des Issers. Depuis, les affaires marchent moins pour nous.» Un cafetier à Michelet lance pour sa part : «Ici, c'est la loi de l'euro», allusion au rush des émigrés et à l'apport de la diaspora kabyle en France qui contribue à monter de petites affaires au village. Notre ami croit savoir qu'Aït Ahmed – dont c'est le fief – est venu incognito dans son village. «C'est un grand monsieur», fait-il.
Sa majesté le Djurdjura
15h30. Nous quittons Aïn El Hammam pour Ath Yenni en transitant par Souk El Had, alias Yatafène, commune enfoncée dans une sorte de cuvette. Une route discrète mène d'El Had vers Ighil Bamas, le village d'Aït Menguellet. Une escouade de gardes communaux occupe l'artère principale de Yatafène. Le tronçon El Had-Ath Yenni qui se fraie un chemin en plein maquis n'est pas très animé. Il y règne une pesante tranquillité mâtinée d'une appréhension diffuse. Au terme de 7 km de virages, nous voici à «Atranchi», intersection entre le village d'Ath Yenni et celui d'Ath Eurbah qui annonce la commune d'Iboudrarène et la «thadarth» de Ouadnane, le village d'Ouyahia.
Tikjda : 31 km indique une plaque. Un impressionnant barrage mixte gendarmerie-ANP contrôle cet important carrefour. Des militaires sont embusqués dans des guérites en forme de buses tandis que des sentinelles sont tapies derrière des sacs de sable. Pour rappel, le 4 mars 2007, un convoi de la brigade de gendarmerie de Béni Yenni en provenance de Takhoukht était tombé dans une embuscade meurtrière qui avait fait sept morts parmi les darkis.
16h45. Nous voici enfin dans la capitale du bijou berbère. Des hauteurs d'Ath Yenni, la vue est imprenable. Le Djurdjura émerge à présent dans toute sa majesté, dominant somptueusement une mer de crêtes verdoyantes serties de villages immaculés qui se transforment la nuit venue en guirlandes de lumière semblables à des constellations d'étoiles terrestres illuminant toute la Kabylie. Rien n'indique qu'en contrebas de ce magnifique belvédère est tapie l'infanterie du GSPC. Le soleil continue de darder ses rayons par-delà les collines oubliées. Le portrait tutélaire de Mouloud Mammeri est partout. Le village (il s'agît plutôt d'une
confédération de 13 villages) connaît une ambiance douceâtre de fin de vacances, entre torpeur pré-ramadhanesque et chassé-croisé des grands vagues des émigrés qui viennent passer un séjour au bled. Ballet de jeunes filles en fleurs flânant allégrement en toute quiétude tandis que les jeunes vaquent à leurs papotages favoris dans l'hospitalité des cafés. La brigade de gendarmerie est toujours là, affichant une présence discrète.
«Ils n'oseront pas s'attaquer à la population»
La fête du bijou qui s'est déroulée du 24 juillet au 1er août a été un succès, à en croire ce bijoutier qui nous déclare : «Il y avait du monde, mais les gens achètent moins. Les Algériens sont saignés. Le kilo d'argent qui faisait 2,4 millions de centimes a grimpé à 54 000 DA en l'espace de six mois.» Il ajoute : «Globalement, il y a eu tout de même moins d'affluence ces derniers temps en raison d'un important ratissage qui a eu lieu il y a deux mois. Quand les gens voient ça, ils concluent à un climat de guerre alors qu'il n'en est rien.» Et de citer cette anecdote : «Lors d'un ratissage, il y avait un commandant qui, en découvrant le relief de la Kabylie, a reconnu qu'il n'avait jamais vu un tel maquis auparavant. C'est ce qui explique que les terroristes viennent se terrer ici. Mais ils n'oseront pas s'attaquer à la population. Ça leur serait fatal.» Notre bijoutier soupçonne des terroristes d'être planqués dans le lit de la rivière de Verkmouche qui se déverse dans la vallée de Takhoukht. «Ils sont probablement en bas. J'ai un cousin qui cultive de la pastèque autour de l'oued de Verkmouche et il les a rencontrés plusieurs fois. Ils ne lui ont rien fait. Il leur est même arrivé de lui acheter des pastèques», confie-t-il. Notre interlocuteur est persuadé que les éléments du GSPC qui essaiment la Kabylie ne sont pas des Kabyles. «Même s'il y a des Kabyles parmi eux, ils n'oseront pas s'afficher», poursuit-il. Nous passons la nuit à l'auberge du Bracelet d'argent, magnifique petit hôtel avec vue sur le paradis. La paix totale.
Takhoukht, la vallée de la peur
Dimanche 31 août. 9h15. On quitte Béni Yenni pour redescendre par la route de Takhoukht, zone ultra-sensible, éprouvée par un nombre incalculable d'attaques terroristes. «Nous, on circule ici même la nuit, sans crainte aucune», nous rassure notre ami bijoutier tout en nous conseillant de rester prudents en tant que presse. La vallée de Takhoukht, près des Ouacifs, est dominée par un campement militaire dont on aperçoit aisément les baraquements. Un barrage bariolé renforcé de blocs de béton ferré veille jalousement sur le pont de Takhoukht.
Pas de mouvement inhabituel. R.A.S. On tourne à droite pour prendre la route qui débouche sur un autre barrage, hydraulique celui-là : le somptueux barrage de Taksebt. Celui-ci s'étale comme un lac artificiel. «Civisme = pérennité du barrage» décline un panneau en bleu. Des bancs publics surplombant l'ouvrage hydraulique proposent une halte romantique aux gens de passage. Ainsi, la route qui va de Taksebt à Béni Yenni et qui pousse jusqu'à Tikjda s'impose comme la route touristique par excellence de la Grande Kabylie. Encore faut-il que les investissements suivent comme le préconisait le maire de Yakouren.
10h05. Nous descendons jusqu'à Oued Aissi avant de transiter par la zone industrielle. Rififi autour de l'immense bidonville de Oued Aissi. «On veut les déloger pour installer la voie ferrée qui va desservir la banlieue de Tizi Ouzou», explique Mourad. Les rails de la nouvelle voie sont visibles sur la route menant vers Fréha. Petit détour par Tala Amara et la maison de Smaïl Yefsah, avant de recouper la RN12 pour nous retrouver au beau milieu de la plaine de Fréha. Nous nous engageons ainsi sur la route d'Aghribs avant de rouler jusqu'à Azzefoun en passant près du village d'El Anka dont le portrait orne un café culte de la région.
Sur la tombe de Djaout
A Azzeffoun, les estivants continuent d'affluer vers les plages. En revanche, celle de Sidi Khelifa est clairsemée en cette veille de ramadhan. Nous perçons jusqu'aux collines reculées de la commune d'Aït Chaffaâ. Nous passons près d'Oulkhou où repose Tahar Djaout, premier écrivain et journaliste assassiné (le 26 mai 1993). Nous continuons ainsi jusqu'au village d'Igoujdal qui a été l'un des tout premiers voire le premier à avoir constitué un groupe de Patriotes. El Hadj Ahmed, ancien membre de l'ALN et doyen des Patriotes d'Igoujdal nous reçoit gentiment et se prête à nos questions (lire portrait). Après une heure délicieuse avec Si Ahmed, nous reprenons la route. Dans les valons d'Aït Chaffaâ, on nous indique un hameau isolé, à flanc de montagne, toujours déserté par ses habitants qui l'ont quitté nous dit-on, en 1994. Sur le chemin du retour, recueillement solennel sur la tombe de Djaout. Repose en paix, Poète !
15h passées. Nous quittons Azzefoun pour Tigzirt en surfant sur une jolie bande côtière. Tigzirt, située à 40 km au nord-est de Tizi Ouzou, affiche une ambiance festive de fin d'été à l'image de l'ancien port réaménagé en zone balnéaire au grand bonheur des estivants, et dont les bassins sont envahis par les nageurs. Les plages de la ville sont très sollicitées. «Les gens profitent parce que c'est la fin des vacances et le ramadhan est aux portes», dit un réceptionniste de l'hôtel Le Numide.
Interrogé sur l'impact du dernier attentat perpétré à Tigzirt (le 10 août dernier, une bombe avait explosé au passage d'une patrouille de gendarmes, faisant trois blessés), le réceptionniste commente : «Cela n'a pas affecté la saison touristique. Nous avons même eu des clients étrangers, des Français, des Italiens, des Canadiens, des Espagnols. Toutefois, précise-t-il, nous avons moins travaillé depuis la mi-août. L'hôtel tournait à 80%. Cela est dû au fait que les gens ont de lourdes dépenses à affronter, entre le ramadhan et la rentrée scolaire.» Notre interlocuteur nous annonce une baisse brutale des prix dès le 1er septembre à concurrence de 50%. Et de conclure : «Vous savez, les gens sont habitués. Voilà presque vingt ans que cette situation dure, ce n'est pas quelque chose de nouveau pour nous.»


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