La circulation automobile sur la RN 30 qui mène à Beni Yenni est dense. Le tronçon routier réputé pour ses faux barrages est sécurisé. Un important cantonnement de gendarmes surveille le fameux pont de Takhoukht, au-dessous duquel une dizaine de bambins se baignent dans la rivière. Dans le lit du large oued asséché coule un mince filet d'eau sans interruption. Les forêts sont denses et les montagnes impressionnantes. Mais, les touristes ont oublié cette destination. La réputation touristique de la région est ternie, car cette dernière est non entretenue. Les bijoux et l'orfèvrerie qui incitaient par le passé à faire le détour ont perdu de leur éclat. La fête annuelle du bijou est annulée cette année. La petite ville aux rues étroites se réveille au lendemain d'une dizaine de jours d'activités culturelles. Les Racontes art ont été une manifestation de dimension internationale. Mais, en dehors des habitants, il n'y a pas eu une grande affluence, a-t-on déploré. Les bijoutiers, avec lesquels on a discuté, haussent les épaules en signe de dépit en évoquant leur activité artisanale. Hassan Metref, président de la ligue des arts cinématographiques et dramatiques de Tizi Ouzou et animateur culturel connu, présente sa région natale : « Beni Yenni, c'est ces montagnes du Djurdjura, les bijoux kabyles, l'hôtel Le Bracelet d'argent et aussi le pèlerinage et le recueillement sur la tombe de Mouloud Mammeri. » Mais, cette mirifique carte-postale est loin de la réalité. L'un des cimetières les plus connus d'Algérie est à l'abandon. Les deux escaliers, nord et sud, sont jonchés de tessons et des bouteilles de bières vides. Les paliers sont transformés en vespasiennes. Tristes décors. La mémoire de celui qui est considéré comme un éminent intellectuel et une autorité scientifique en matière d'anthropologie, Mouloud Mammeri, est souillée. Rien ne différencie sa tombe des autres. Il fallait la chercher pour se rendre compte combien l'amnésie est frappante. De l'herbe sèche recouvre la tombe. Le géranium planté, il y a sûrement des années, fait de la résistance contre l'oubli. Les téméraires pétales se fanent les unes après les autres et le tronc prend des rides. Les organisateurs des Racontes art n'ont pas pensé la fleurir, ne serait-ce que pour l'occasion. Quelques mètres plus bas, les courants d'air traversent le restaurant du Bracelet d'argent. L'activité de l'établissement, classé 3 étoiles, tourne au ralenti. Amar L'Hani, le directeur, présente son hôtel : « Nous avons 10 chambres de 20 lits, 60 couverts au restaurant, une terrasse, un salon familial et un bar. Nous avons 24 salariés, et nos recettes sont assurées lors de la haute saison qui va du mois de mai au mois d'octobre. » Le Bracelet d'argent est le seul établissement touristique à caractère économique dans la région. Le directeur assure que la clientèle ne manque pas. Les travailleurs attendent dans le doute quant au maintien de leur poste de travail. La privatisation de leur hôtel s'annonce avec certitude. En attendant, l'on guette une hypothétique manifestation culturelle pour assurer de l'animation au bar au moins. Des nuits poétiques sont prévues au village Taourirt L'Hadjdj, et des journées théâtrales seront organisées à Agouni Ahmed, vers la mi-août. Les Ath Yenni sont apparemment décidés à paver la route d'une destination longtemps oubliée. Comme l'est la colline d'en haut, tout comme Mouloud Mammeri.