Charles Saint-Prot est docteur en sciences politiques, historien et spécialiste des relations internationales et de la géopolitique, notamment pour les questions du Proche-Orient et du monde musulman. Il est également directeur de l'Observatoire d'études géopolitiques (OEG) à Paris ; un centre de recherches sur les relations internationales. Il codirige avec Zeina El Tibi Collection études géopolitiques. Spécialisé notamment dans les questions liées à l'Islam et aux musulmans, il vient de publier un livre intitulé L'avenir de la tradition entre révolution et occidentalisation (ed. Du Rocher, 2008). Un manuel qui présente l'Islam comme une religion du « juste milieu », loin des clichés en cours dans le monde occidental. Dans cet entretien, il livre à El Watan ce que devrait être le propos du président Barack Obama aujourd'hui au Caire vis-à-vis du monde arabe et musulman. Quel pourrait être, selon vous, le message du président Obama au monde arabe et musulman ce jeudi ? Au cours de sa campagne électorale, Obama avait promis de s'adresser au monde musulman. Il devrait s'adresser à la fois au monde arabe et au monde musulman, mais cela révèle déjà une certaine ambiguïté. En effet, le monde musulman est immense : 1milliard et demi de personnes en allant de l'Indonésie au Mali, en passant par la Turquie, l'Iran, le monde arabe, etc. Le risque en s'adressant à cette immense communauté est de noyer le poisson et de ne pas évoquer les vrais problèmes : la Palestine, l'occupation de l'Irak, le drame afghan, le jeu des Etats-Unis pour mettre la main sur les richesses pétrolières stratégiques. En fin de compte, on n'attend pas d'Obama un discours lénifiant pour dire aux musulmans que les Etats-Unis les aiment, on attend des positions précises sur les problèmes du Proche-Orient. Pensez- vous qu'Obama puisse aller au-delà de ce qu'ont fait ses prédécesseurs pour la région du Proche-Orient ? Aller au-delà de ses prédécesseurs ne serait pas difficile puisque ceux-ci, soit ils n'ont rien fait et ont été les alliés inconditionnels et aveugles d'Israël, soit ils ont allumé des incidents et commis des crimes abominables contre les peuples arabes et musulmans, notamment en Irak. Il n'est donc pas difficile de faire mieux, mais la question n'est pas de faire des sourires et d'afficher un ton sympathique, la question c'est d'agir fermement et de prendre des décisions totalement différentes de ce qu'ont fait les Etats-Unis jusqu'à maintenant. On assiste à un semblant de tension entre l'Administration Obama et le gouvernement Netanyahou au sujet du démantèlement des colonies. S'agit-il d'un véritable entrechoquement des intérêts stratégiques des USA dans la région et ceux d'Israël, ou est-ce simplement une tension « feinte » destinée à booster la cote de popularité du président américain au sein de la rue arabe ? Il faut bien voir qu'Obama a été élu en réaction contre l'infâme politique de George W. Bush. Il y a aujourd'hui en Israël un gouvernement d'extrême droite allié à des fascistes qui est un peu ce qu'était le régime de Bush. Est-ce que l'on peut avoir été élu président des Etats-Unis sur un programme anti-Bush et s'entendre avec les clones de Bush en Israël ? La vraie question est de savoir s'il est prêt à modifier la stratégie des Etats-Unis, qui ont toujours fait d'Israël leur partenaire stratégique essentiel ? Par ailleurs, est-ce que M. Obama est prêt à ne plus opposer un veto systématique en faveur d'Israël à l'ONU ? Est-ce qu'il est prêt à faire appliquer le droit international et les résolutions des Nations unies ? Est-ce qu'il est prêt à couper les subventions à Israël si cet Etat continue sa politique de colonisation et refuse de libérer les territoires palestiniens ? Bref, est-ce qu'il est disposé à s'engager réellement pour une paix juste et durable au Proche-Orient, ce qui passe par de fortes et fermes pressions sur l'Etat israélien dont tout le monde sait qu'il ne veut pas la paix ? Jusqu'à quel point Obama pourrait-il aller dans son « bras de fer » avec Israël quand on sait le poids du lobby sioniste aux Etats-Unis (Aipac) ? Il y a le poids du lobby dont vous parlez et qui est très important. Mais il y a aussi des groupes d'intérêt divers – industriels, militaires, idéologiques, religieux (je pense aux évangélistes), etc., – qui font que même s'il en a l'intention – ce qui reste à prouver –, Obama aura besoin de beaucoup de volonté et de fermeté pour changer la politique des Etats-Unis au Proche-Orient. C'est sur ce dossier – Palestine, Irak, Afghanistan – qu'on pourra le juger et qu'on saura s'il n'est qu'un illusionniste de talent ou s'il est un homme qui peut changer l'histoire.