Les services de sécurité ont arrêté les auteurs du trafic de vestiges anciens comprenant six statuettes, des pièces de monnaie et un bracelet de la période numido-romaine. En 2006, toujours dans la wilaya de Constantine, 49 interventions ont abouti à 444 saisies, dont 325 pièces de monnaie ancienne (Quotidien d'Oran du 18 mai 2008). Les autres wilayas ne font pas exception à la règle, notamment Souk Ahras, la ville de Saint Augustin, M'daourouch, la ville d'Apulée de Madaure où pilleurs algériens, contrebandiers, collectionneurs européens vident notre patrimoine. C'est une véritable hémorragie. Le bilan parle de lui-même : 1282 pièces anciennes ont été récupérées en 2007 (Liberté du 29 octobre 2007). Un véritable crime contre l'identité nationale et une sérieuse atteinte à l'égard de l'héritage culturel et historique de l'Algérie. Un crime qui dépasserait les frontières lorsque l'on sait que les pièces volées, selon leur nature, profitent à des réseaux organisés et à une mafia qui n'a épargné aucun site historique ou culturel de l'Algérie profonde. Les traces des neuf statues volées le 26 décembre 1996 au musée de Skikda commencent à apparaître. Après avoir retrouvé et restitué aux autorités algériennes le buste de Marc Aurèle lors d'une vente aux enchères chez Christie's à New York, Interpol enquête sur une 2e statue dont les traces viennent d'être retrouvées en Allemagne. A Tlemcen et à Tiaret, plus exactement à Ghazaouet et à Médrissa, ce sont deux tableaux et un buste du célèbre peintre Picasso et un autre buste de la reine égyptienne Néfertiti qui ont fait l'objet de vol et de vente illégale, alors qu'à Batna ce sont plus de 100 objets, dont 49 pièces archéologiques, une statue de femme et des fragments de colonnes ainsi qu'une stèle représentant Saturne. A Aïn Temounchent, 424 pièces de fossiles et dents de requin ont fait l'objet de ventes illégales. A Oum EI Bouaghi, 155 pièces de l'époque numido-romaine, et des bijoux font l'objet d'une enquête enclenchée par les gendarmes. A Illizi et Tindouf, ce sont des moulins préhistoriques, un sac contenant des têtes de flèches et de lances en silex taillé, des météorites, un mausolée funéraire préhistorique qui ont été victimes de vente irrégulière. A Skikda, 230 pièces archéologiques découvertes fortuitement et non déclarées ont été saisies en temps réel par les gendarmes. Les douanes d'Illizi totalisent depuis le début de la saison touristique 2008 un record de 324 pièces saisies : pointes de flèches, haches polies, perles… mais aussi des gravures rupestres découpées au marteau et au burin (tentatives avortées à Youf Ahaket dans le Tassili et l'Ahaggar). Tant que dans les endroits du Sahara, notre plus grand et plus beau musée du monde à ciel ouvert, les pièces, objets préhistoriques et peintures rupestres ne sont pas répertoriés, enregistrés et diffusés, les efforts de récupération seront nuls. Il est souvent difficile de retrouver les biens volés d'un site non protégé, une fois localisés à l'étranger, parce qu'il est exigé leur authenticité pour prouver leur origine. C'est dire l'ampleur que prend le pillage de notre patrimoine, legs de notre héritage millénaire. Le profil des trafiquants est considérable : il suffit d'aller voir la partie apparente de l'iceberg sur internet où pullulent les sites de vente d'articles d'art ancien et contemporain. Pillage du passé, vandalisme, vol, partage du butin, exportation illicite : le marché de l'art est proche de la foire d'empoigne. Il est vrai que c'est un commerce dont le chiffre d'affaires dépasse actuellement le milliard de dollars. D'après un index publié par Sotheby's (la plus importante salle de ventes du monde), les prix des objets d'art ont été multipliés au moins en moyenne par dix au cours des vingt dernières années. Les collectionneurs ont les mains pleines, jouent et gagnent sur tous les tableaux. Ce bruit, cette fureur spéculative, ces surenchères se font, on le devine, souvent au détriment des œuvres mêmes et des cultures qui les ont vu naître. Les trésors archéologiques ou ethnographiques sont aujourd'hui dans la grotte d'Ali Baba dollar, loin des yeux, loin du peuple dont ils exprimaient l'essence. L'art est à la banque et les coffres-forts sont bien gardés. L'Unesco a toujours affirmé la nécessité de préserver le patrimoine culturel de chaque nation, a dénoncé l'impudent trafic des objets d'art qui vide les peuples de leurs chefs-d'œuvre comme un corps peut l'être de son sang. Elle a tiré, somme toute, la morale d'une fable amère, où l'on voit que l'art se vend d'autant plus qu'il n'a pas de prix et où l'on découvre, s'il n'a pas de frontières, qu'il ne manque pas pour autant de contrebandiers. Qu'y a-t-il de commun entre un Raphaël, un siège africain et des bijoux en or provenant de Turquie ? Tous ont été soustraits au patrimoine culturel d'un pays contre sa volonté. Un portrait de Raphaël avait été acquis par le Musée des beaux-arts de Boston en 1967 ; mais il fut restitué à l'Italie après que les autorités de ce pays eurent fourni la preuve des conditions illégales de son exportation. Peu après, le directeur du musée démissionnait. A son tour, l'Italie a rendu à l'Ethiopie dernièrement l'obélisque d'Aksem subtilisé du temps de Mussolini. La sépulture de Ramsès I, qui a atterri en Amérique vers le début du XIXe siècle au Musée de Niagara Falls, a été vendue à l'Egypte par ses derniers acquéreurs qui ont payé une somme colossale au musée. Ces restitutions doivent être un exemple pour d'autres civilisations mises à mal par la loi du plus fort. Elles ne sont hélas qu'une part infime de ce qui devrait être entrepris dans le cadre d'un vaste retour de mémoire aux peuples. Le siège plaqué or, principal symbole de la nation Achanti au Ghana, avait été saisi par les troupes britanniques en 1874. L'actuel chef des Achantis demande son retour au British Muséum. La Grèce réclame sans cesse la frise orientale du Parthénon d'Athènes, exposée elle aussi dans ce même musée qui refuse de s'en séparer malgré une intense campagne grecque. Cette frise, en marbre sculpté, unique au monde, avait été ramenée en Angleterre au début du XIXe siècle par Lord Elgin, ambassadeur britannique auprès de l'Empire ottoman et ce, avec l'aval des autorités turques qui occupaient la Grèce. Pour débattre et négocier la restitution des œuvres anciennes et pièces archéologiques, un comité intergouvernemental formé de représentants de 22 états a été créé en 1978. En mars 2008, sous l'égide de l'Unesco, s'est tenue à Athènes une conférence internationale, regroupant juristes, archéologues et conservateurs de musées pour le retour dans leur pays d'origine d'œuvres d'art pillées ou déplacées, le plus souvent dans des conditions d'occupation ou de colonisation. Les bijoux découverts à Usak, en Anatolie, font partie d'un trésor hydien du VIe siècle avant Jésus-Christ. Le gouvernement turc, qui tente de les récupérer, accuse le Métropolitain Museum of Art de New York de les détenir dans ses réserves depuis 1966. Un commerce à sens unique Ces exemples, notamment ceux de Raphaël et des bijoux hydiens, illustrent un phénomène troublant : la fuite des objets de valeur artistique vers les pays riches. Ainsi, les pays d'Amérique latine, où ont fleuri les cultures précolombiennes, sont radicalement dépouillés de leurs monuments anciens. L'île de Pâques s'est trouvée dégarnie de quelques «Moaï», ces statues géantes sculptées dans des monolithes granitiques. Leur acquisition par les musées américains, anglais, français est confirmée. On va jusqu'à mettre à sac des sites anciens dans la jungle, au moyen d'hélicoptères pirates qui emportent les monolithes sculptés des bas reliefs. Ce moyen de transport est utilisé en Papouasie Nouvelle-Guinée pour enlever des objets ethnographiques. Il en est de même en Afrique, comme le signale le directeur de l'administration des musées nigérians. C'est ainsi que les objets de valeur sont dirigés vers les marchés lucratifs du monde occidental. La Turquie, pays à multiples endroits historiques, n'est pas épargné du détournement des antiquités. L'un des responsables du département des musées déclarait, lors des réunions d'experts organisés sous l'égide de l'Unesco, que le trafic était aussi bien organisé que celui de la drogue. Un objet déterré peut être vendu ou écoulé dans les vingt quatre heures. Il est convaincu que le trésor d'Usak, évalué à près de un million de dollars, a été embarqué pour New York par le port méditerranéen turc d'Izmir où opérait un spécialiste du trafic des antiquités, connu sous le sobriquet d'Ali Baba. L'exportation illégale des objets d'art continue au Moyen-Orient, riche en art «primitif». Les musées d'Europe et d'Amérique sont propriétaires de fonds océaniens, africains ou asiatiques qui attestent que des pans de mémoire ont été de part en part spoliés. En novembre 2007, les responsables irakiens du patrimoine sont allés, au siège de l'Unesco à Paris, clamer leur désespoir. Depuis le saccage et le cambriolage du prestigieux Musée de Bagdad lors de l'invasion américaine, des réseaux puissants, parfaitement renseignés, perpétuent leurs razzias. Les trésors de toute la Mésopotamie, région plusieurs fois millénaire, l'un des plus brillants foyers de civilisation antique, n'ont pas été épargnés. Mme Amira Ida, directrice irakienne des antiquités, a dénoncé l'impunité des responsables de cette triste situation et reste impuissante devant la mise en vente des pièces de grande valeur sur Internet. L'Union africaine et l'Union européenne, lors du sommet de Lisbonne en 2007, ont débattu sur les produits et l'héritage culturels qui sont souvent l'objet de vols ou de détournements qui profitent aux collectionneurs privés. Certains pays africains ne protègent pas encore suffisamment leur patrimoine et demandent la collaboration de l'Unesco pour la formation de leurs cadres et la protection de leur richesse archéologique. En fait, le pillage s'exerce dans les pays qui n'assurent pas une protection suffisante des sites ou objets d'art par manque de fonds ou à cause de difficultés d'accès, de la corruption ou de la complicité officielle. Ce «commerce d'exportation» ne se limite d'ailleurs pas au tiers monde : l'Italie en est une des plus grandes victimes. Trois ans après l'affaire du portrait de Raphaël en 1972, le Métropolitan Museum of Art annonçait l'acquisition pour environ un million de dollars d'un superbe vase grec : le cratère d'Euphronios. La police italienne spécialisée est convaincue qu'après des fouilles illégales pratiquées dans une tombe étrusque, le cratère a été clandestinement sorti du pays. Le musée fait valoir, pour sa part, que le vase a été acheté légalement à un collectionneur libanais. Son directeur a cependant proposé de restituer le cratère aux Italiens si ceux-ci remboursaient la somme versée pour son acquisition. C'était une proposition très judicieuse, a estimé un peu cyniquement un de ses collègues, car il était fort improbable que le gouvernement italien trouve la somme nécessaire. Même aux Etat-Unis, première nation au monde importatrice d'objets d'art, on commence à se préoccuper du contrôle sur l'exportation des objets artistiques et historiques. L'administration du Musée des beaux-arts de Détroit estime que son pays devrait restreindre la liberté d'exportation en ce domaine. S'il y avait eu des lois dans ce sens, il est peu vraisemblable que l'ex-roi Farouk eut pu acquérir l'épée de George Washington. Le pillage des sites archéologiques et ethnographiques entraîne souvent leur détérioration ou leur destruction et nuit, par conséquent, aux recherches des savants. D'après le président de l'organisation des antiquités égyptiennes, il y a quelques années encore, des tombes anciennes étaient profanées par des voleurs qui emportaient une ou deux pièces pour les vendre à l'étranger. Afin de décourager ce trafic, l'exportation des antiquités à partir d'Egypte a été totalement interdite. Le professeur Ezzat Negahban, de l'Université de Téhéran, a fait remarquer que les pillages des sites préhistoriques entraînaient une détérioration du charbon des os et des cendres qui permettent la dotation au charbon 14, effacent les traces du plan des villages et font disparaître les premières manifestations de l'architecture, privant ainsi les archéologues d'informations précieuses. L'exportation des objets d'art prive un peuple de la possibilité de comprendre pleinement sa culture. Les populations des îles du Pacifique Sud se trouvent dépossédées de leur culture en raison de l'exploitation qui est faite de leur art et de leurs artistes. L'exportation massive d'objets ethnographiques entraîne de fâcheuses conséquences : «La jeune génération, vivant actuellement en Océanie, n'a jamais eu l'occasion de voir un objet artisanal de qualité fabriqué par ses ancêtres au siècle dernier ou auparavant», selon le directeur du Musée de Canterbury en Nouvelle-Zélande. L'exportation illicite de pièces ethnographiques authentiques se poursuit en Papouasie-Nouvelle-Guinée tout comme en Nouvelle-Zélande, malgré une loi de 1962 interdisant leur sortie. Une célèbre galerie d'art de Paris a organisé une exposition d'art primitif provenant de Papouasie-Nouvelle-Guinée et un certain nombre de pièces des Nouvelles-Hébrides. Parmi celles-ci, de grands masques saisissants, de superbes sculptures en bois et de gigantesques statues rituelles en fougère recouverte d'argile. Le directeur du Musée de Nouvelle-Zélande, de passage à Paris, s'était déclaré profondément choqué. Si ces pièces sont sorties d'Océanie au cours des dix dernières années, c'est qu'elles ont dû être exportées sans autorisation ; en effet, elles sont d'une qualité telle qu'aucun gouvernement digne de ce nom n'aurait permis leur départ et la Papouasie-Nouvelle-Guinée a des lois très strictes concernant l'exportation d'objets d'art… (A suivre) L'auteur est directeur retraité, ancien membre de l'association des amis du musée Cirta Constantine