Les musées portent d'ailleurs eux-mêmes une part de responsabilité. Un conservateur qui se refuse à acheter une peinture volée et dénonce le vol ne se tracasse surtout pas pour des pièces archéologiques ou ethnographiques de provenance douteuse. Une chose est claire, conclut le directeur des musées nationaux de France : « Un coup d'arrêt serait donné au marché illégal des œuvres d'art si les cinquante plus grands musées du monde décidaient d'agir d'une manière plus scrupuleuse. » Pour aider les conservateurs, le Conseil international des musées, affilié à l'Unesco, a publié récemment un manuel intitulé La Protection du patrimoine culturel qui contient les textes législatifs régissant les transactions d'œuvres d'art dans différents pays. D'autres accusés ont été mis en cause lors de la réunion de Bruxelles et, notamment, les diplomates qui abusent de leurs privilèges. Michael N'kanta, directeur de l'administration des musées du Nigeria, affirma que bon nombre d'ambassades utilisaient la valise diplomatique pour exporter des œuvres d'art dont le départ n'aurait jamais été autorisé autrement. A l'autre bout de l'échelle sociale, on déplore également des malversations : dans certains pays par exemple, et d'une manière quasi-institutionnalisée, des douaniers mal payés se font quelque argent supplémentaire en fermant les yeux sur le trafic organisé par des « experts » plus que douteux. Une autre sorte d'escroquerie mineure est pratiquée par des personnes bien moins désargentées qui donnent des certificats d'honorabilité à des objets volés ou passés en fraude, en affirmant qu'ils appartenaient à une collection de « leur famille ». Enfin, il y a des collectionneurs privés qui, tout comme certains musées, ne se préoccupent pas outre mesure de l'origine des pièces qu'ils acquièrent. C'est ainsi qu'un des plus grands collectionneurs privés contemporains, un multimillionnaire californien, n'hésite pas à avouer qu'il a acheté des objets volés. En 1972, il a acquis une statue indienne en bronze du Xe siècle. Cette œuvre, dérobée dans un temple de Sivapuram (Etat de Madras) en 1957, était sortie de l'Inde vers les années 1960. A la question de savoir s'il était prêt à restituer le bronze, il répliqua : « S'il y avait pour cela des raisons valables et s'il était possible de faire cesser la fraude, je le ferais... » Mais souvent ce sont les pays eux-mêmes qui encouragent la fraude. Cela leur rapporte beaucoup. Ils ont l'habitude de pousser les hauts cris, mais laissent le pillage se poursuivre. « Ils devraient commencer par renforcer leur législation. » Prenant au mot le collectionneur, le gouvernement indien a engagé des poursuites contre lui aux Etats-Unis mêmes. Les efforts du gouvernement indien sont un exemple précis de la lutte qui doit être menée pour protéger le patrimoine. Mais comme le confiait un spécialiste du marché de l'art, tous les gouvernements ne sont pas aussi attentifs : « Ils savent ce qui se passe et choisissent de ne rien faire. Dans de tels cas, la question du trafic devient un problème de ‘‘politique nationale''. Tant que les œuvres artistiques et ethnographiques pourront être achetées ou vendues librement, elles finiront toujours par traverser les océans. » Des mesures de protection En novembre 1973, le professeur de l'Université de Téhéran, Ezzat Negahban, a présenté au cours de la réunion d'experts organisée par l'Unesco, à Bruxelles, un programme de lutte contre le vol et la fraude d'objets de valeur artistique, historique ou culturelle : organisation dans les musées du monde entier d'expositions itinérantes qui, en apportant un complément aux collections de chaque pays, contribueraient à ralentir la course aux acquisitions menée par les conservateurs ; délivrance d'une licence de fouilles pour toute expédition archéologique afin d'assurer une juste répartition des découvertes entre les missions des fouilles et les pays d'accueil ; création d'unités spéciales de la police nationale pour combattre les délits ayant trait à l'art et aux antiquités ; recensement, par tous les pays, de leurs sites archéologiques et de toutes les œuvres importantes de leur patrimoine culturel. interdiction absolue d'attribuer une valeur commerciale aux découvertes archéologiques. Nombre de ces mesures sont déjà plus ou moins appliquées par divers pays. La directrice du département du patrimoine culturel à l'Unesco a rappelé que l'organisation encourageait activement l'échange d'expositions entre musées de différents pays. D'autre part, l'obligation pour les expéditions archéologiques d'obtenir une licence de fouilles est maintenant très répandue ; enfin, des unités spéciales de police existent déjà et ont aidé à retrouver des œuvres volées en Angleterre, en Allemagne, en France et en Italie. Dans tout plan contre le vol et le trafic, le recensement des richesses culturelles est essentiel : il permet en effet une identification sûre des œuvres. Un précurseur en ce domaine est le Japon où un inventaire, entrepris voilà plus de soixante-dix ans, est régulièrement tenu à jour et complété. D'autres pays, comme la Belgique, se préoccupent activement de dresser des inventaires analogues. L'épiscopat italien, pour sa part, a décidé récemment de mettre sur pied un vaste fichier photographique inventoriant paroisse par paroisse, toutes les églises présentant une valeur artistique. Le gouvernement turc, de son côté, fait établir un répertoire des richesses artistiques soutenues dans les édifices religieux de la Turquie. L'Unesco ne demeure pas en reste, puisqu'elle apporte son assistance pour l'établissement d'inventaires dans différentes parties du monde. La Confédération internationale des négociants en œuvres d'art (CINOA), qui groupe dix pays européens plus les Etats-Unis, avait vivement recommandé à ses membres d'être scrupuleux sur la provenance des objets mis en vente et proposa les services de cette association pour aider gouvernements et musées à couper l'herbe sous le pied des trafiquants. Elle suggéra que les œuvres existant à plus d'un exemplaire dans les collections nationales soient vendues à l'étranger. L'ancien président de l'organisation des antiquités égyptiennes, Gamal Mokhtar, a fait connaître que son pays offrait chaque année trente à quarante spécimens exceptionnels de son patrimoine archéologique à des hommes d'Etat en visite qui les remettaient par la suite à des musées. L'Egypte a même fait don de temples entiers : cinq d'entre eux ont été offerts à différents pays en connaissance de leur contribution à la campagne sur la sauvegarde des monuments de Nubie. Un autre moyen d'aider les conservateurs à enrichir leurs collections incomplètes est de leur proposer des reproductions ou des copies d'œuvres originales. La seule solution Afin de favoriser une appréciation plus désintéressée des œuvres d'art, les experts ont invité instamment l'Unesco à propager, par le biais de ses activités éducatives, le respect du patrimoine culturel de chaque nation. Plus important, l'organisation est priée de redoubler d'efforts pour faire adopter par un plus grand nombre de pays la convention de 1970, visant à empêcher le commerce illégal des trésors culturels. Chez nous, un travail de sensibilisation par la presse, la radio et la télévision, par des expositions, visites de musées et lieux de réminiscence, rencontres avec les scolaires, les universitaires, les éducateurs reste à entreprendre pour combattre la marginalisation du domaine archéologique, l'ignorance et la négligence de la préservation. Certaines de nos villes ne possèdent pas leur musée. L'agrandissement de certains devient nécessaire. Constantine, ville millénaire, ville de vestiges, son unique musée est à l'étroit. Ces greniers de l'histoire, ces temples de la mémoire doivent servir de points de repère à nos jeunes qui y glaneront les joyaux du passé et du présent pour la formation de l'esprit et de la sensibilité. La sensibilité se forme comme l'esprit et est également nécessaire : « Un bon esprit cultivé est, pour ainsi dire, composé de tous les esprits des siècles précédents. Ce n'est qu'un même esprit qui s'est cultivé pendant tout ce temps-là. » Notre effort aura atteint son but, si l'enfant algérien est devenu sensible à cette beauté partout présente dans les œuvres de l'homme et permis le déclic de se déclencher pour la préservation des trésors antiques et l'archéologie. L'éveil à l'archéologie est cet acte pédagogique qui consiste à faire sentir aux élèves que l'analyse du monde est une nécessité. Il doit être non pas un apport de savoir, mais l'outillage mental et le vocabulaire qui permettront à nos potaches d'apprendre et comprendre leur temps. Evoquer ses ancêtres sur lieux où ils ont vécu n'est-ce pas la seule manière de présenter l'histoire comme une résurrection ? Les vieilles pierres parlent à l'imagination de qui les contemple. Elles l'émeuvent plus que des récits ou des gravures vite oubliées. Rappelant ses longues visites au musée, Michelet s'écriait : « C'est là et nulle autre part que j'ai ressenti la vive intuition de l'histoire ! » Du point de vue émotionnel, le sens historique correspond à une certaine façon dont l'enfant doit prendre connaissance des choses du passé, et surtout des vestiges authentiquement historiques. Le sens historique, dans le domaine des émotions et des sentiments, est la faculté de s'émouvoir devant les témoignages du passé devant les efforts des 10 hommes à travers les siècles. Du point de vue intellectuel, le sens historique est la conscience d'un certain devenir dans le temps. Son acquisition chez l'enfant dépend alors de l'intensité de l'émotion qu'on est capable de faire naître chez lui. Nos élèves comprendront ainsi notre solidarité avec les peuples d'autrefois, et sans doute sentiront-ils le devoir que cette solidarité nous impose : ajouter notre effort à ceux de nos ancêtres pour transmettre à nos descendants les trésors de civilisation, enrichis et embellis, que nous à légués le passé.