Dans le rapport Savoy-Sarr intitulé «Restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle» remis au président français, on note l'étonnante absence de l'Afrique du Nord. Rédigé par deux universitaires, une historienne de l'art française et un professeur d'économie sénégalais, bénéficiant d'un fort retentissement médiatique, le rapport Savoy-Sarr sur les restitutions a été remis au président Macron le 23 novembre ; intitulé : «Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle», il identifie les «formes historiques de spoliation», à savoir «butins, missions d'exploration» et «raids scientifiques, dons de particuliers». Se focalisant sur l'Afrique subsaharienne, il exclut l'Afrique du Nord et l'Egypte : l'étude du cas de l'Algérie – évoquée dans une note – est renvoyée à plus tard. Pourtant, l'Afrique du Nord et l'Egypte ont bien subi les mêmes formes de spoliation que l'Afrique subsaharienne. Le patrimoine de l'Afrique du Nord, – particulièrement mais non exclusivement celui de la période romaine –, a été largement transféré dans les musées français, même si la colonisation s'est accompagnée de la création de musées en terre d'Afrique : faut-il rappeler que le premier musée en Afrique a été le musée-bibliothèque d'Alger fondé en 1835, aujourd'hui Musée national public des Antiquités et des arts islamiques ? Pour autant, la création de ces musées, qui ont tous un intérêt, ne doit pas faire oublier qu'un grand nombre de pièces parmi les plus belles ont été envoyées au Louvre, par exemple la magnifique mosaïque de Constantine Triomphe de Neptune et d'Amphitrite longtemps exposée mais aujourd'hui invisible. Ouvrant de nouvelles perspectives juridiques visant à permettre les restitutions, le rapport suscite des espoirs et des interrogations : dans quelle mesure la diplomatie culturelle peut-elle servir les intérêts d'une politique muséale ? La restitution suffit-elle ? Quel sens lui donner ? Un don qui réparerait une injustice faite aux pays colonisés (comme le rapport le suggère) tout en faisant des obligés ou l'application d'une mesure de droit permettant aux Etats de conserver pour les transmettre les objets dont ils jugent qu'ils présentent une valeur historique, esthétique ou scientifique ? De nouvelles relations culturelles ? Que le rapport Savoy-Sarr s'inscrive dans une politique qui prône «une nouvelle éthique relationnelle» est une orientation qui répond à des demandes dont l'historique n'est pourtant pas fait. Pour autant, la question des restitutions avait déjà été âprement débattue en 2002 au moment de la publication de la «Déclaration sur l'importance et la valeur des musées universels» signée par les grands musées européens et anglo-saxons qui, sans s'interroger sur les conditions d'acquisition des objets collectés pendant la période coloniale, défendaient leur naturalisation sous couvert d'universalisme. «Au fil du temps, les œuvres ainsi acquises sont devenues parties intégrantes des musées qui les ont protégées et par extension du patrimoine des nations qui les abritent», peut-on lire. Un pas important est donc franchi avec le rapport Savoy-Sarr puisqu'il propose des solutions juridiques. L'outil de ces relations «éthiques» pourrait être des conventions de coopérations culturelles passées entre la France et l'Etat demandeur. Politique durable pour les auteurs du rapport, le dessein de «restituer le patrimoine africain en Afrique refonde une relation entre les Etats européens ̶ dont la France ̶ et les Etats africains, adossée notamment à l'écriture d'une histoire partagée. Le dessein politique de cette refondation commande, pour garantir la pérennité des collections africaines en Afrique, la formulation d'un droit commun entre la France et les Etats africains sur l'avenir des restitutions». Si on peut contester la vision d'une «histoire partagée» dans la mesure où l'expression efface les dissymétries et les violences de l'histoire, en revanche, le cadrage juridique constitue une avancée notable. Le rapport suggère aussi des ateliers au sommet pour accompagner les restitutions mais sans donner à la formation de cadres du patrimoine une place importante alors qu'elle est la condition d'une prise en charge réelle par les Etats africains de leur patrimoine. Faut-il rappeler qu'en Afrique du Nord, il n'y a eu jusqu'aux indépendances aucun directeur de musée «autochtone». Or, c'est là un socle sans lequel la politique événementielle préconisée ne ferait que reconduire des rapports dissymétriques. Conscience patrimoniale et politique de restitutions Pour autant, si l'établissement d'un cadre juridique est important, c'est au regard du sens de l'histoire que chaque Etat construit, d'une conscience patrimoniale. Il garantit la souveraineté culturelle d'un Etat, en l'occurrence la possibilité de disposer des œuvres (ou des restes humains) «témoins» de son histoire. Aussi la restitution en matière de patrimoine ne relève-t-elle pas de la psychologie mais des choix prospectifs d'un Etat : quelle(s) histoire(s) veut-il transmettre ? Le rapport prend des allures de manifeste post-colonial quand il fait référence au livre récemment paru de Karima Lazali Le trauma colonial ou à l'oeuvre de l'artiste Kader Attia : quel que soit leur intérêt dans l'ordre de la réflexion psychanalytique ou artistique, ces oeuvres ne concernent pas directement le patrimoine ; par la restitution, il ne s'agit pas de guérir des souffrances mais de donner à un Etat les moyens de mettre en scène et en sens son histoire. Si l'Algérie a demandé en janvier dernier la restitution des crânes d'Algériens (dont ceux des combattants de Zaâtcha en 1849) conservés au musée de l'Homme, c'est qu'elle estime cette restitution importante au regard de sa vision de la colonisation. L'argument de la «Déclaration sur l'importance et la valeur des musées universels» selon lequel des objets peuvent être recontextualisés dans des ensembles muséaux, réinterprétés n'est pas faux en soi mais ne constitue pas une réponse aux Etats demandeurs qui veulent l'application du droit international. Au lendemain de l'indépendance, les œuvres de la collection du musée des Beaux-Arts d'Alger ont fait l'objet de négociations dans le cadre des Accords d'Evian, liste par liste selon leur statut, les œuvres mises en dépôt regagnant leurs musées d'origine. La restitution comme toute question patrimoniale est fondamentalement politique. Que celle-ci se place dans la perspective d'une «éthique relationnelle» rappelle la nécessaire parité et l'acceptation d'une règle partagée.