Tout au long de la voie, des champs de blé et d'orge, encore jeunes pousses, s'étalent à perte de vue et renseignent sur les vastes terres de la commune où s'alignent des oliviers, Haïzer est réputée pour la qualité de son produit oléicole, et, ici et là, des arbres fruitiers, principalement des amandiers, des néfliers, des abricotiers, des figuiers, et… des rangées de ceps, nouvellement plantés.Thaqaâts, tout comme sont «configurés» les hameaux kabyles, est entourée de plusieurs villages. A l'est, les villages Allouane, Thanagout, Izumourène, Boumcharaf, Slim, Ighil Zougaghène, Guentour. Au nord, Thighilt N'Seksou, L'mahsar, Thifthissine, Au nord-ouest, Aguersif et Thiqesra. A l'ouest, Tikboucht, Thighilt N' Tleswith, Ras Touila et L'Aâch Oufalkou. Au sud, Lemroudj et Thazemourth. Le fourgon transportant les voyageurs s'arrête. Halte à l'entrée de la ville, à proximité de l'école de police. Déjà, les premiers signes de mutation. Les habitations individuelles qui composaient, il y a peu de temps, l'essentiel des foyers «archaïques» sont maintenant «étouffées» par d'imposants immeubles collectifs. Un peu plus loin, un centre culturel, ou plutôt un semblant de centre culturel, tant la vétusté de ses façades renseigne sur le laisser-aller et le délabrement de ce lieu aux multiples avantages. Puis, trois établissements scolaires (un CEM, un lycée et une école primaire) semblent ouvrir la voie et annoncer la couleur d'une région avide de savoir. De l'autre côté, les sièges de l'APC et de la daïra, récemment remis à neuf, donnent l'impression d'une ville qui cherche à faire sa mue. Derrière, un centre de santé que cache mal le siège communal et…les fourgons alignés de manière anarchique en attendant les voyageurs à destination de Bouira. Les cafés, qui prolifèrent, bordent la route principale et les voies secondaires. Ils ne désemplissent pas. Des hommes, surtout des jeunes, y viennent pour «tuer le temps». C'est le seul espace qu'ils peuvent investir sans risque d'être dérangés. Il est vrai que le problème du chômage, à l'instar des autres municipalités de la wilaya, touche de plein fouet cette masse qui attend désespérément une providence. Plus de 70% des jeunes de cette localité sont livrés à eux-mêmes. Aucune entreprise, étatique ou privée ni aucune usine capable de réduire le nombre sans cesse grandissant des sans-emploi, n'existe aux alentours. En attendant, les jeunes noient leur déception et leur ras-le-bol dans une espèce d'oisiveté qu'ils ne voulaient pas. Ahmed, la vingtaine largement dépassée, sirote son café «bien dosé». Je l'aborde. Il accepte volontiers de se confier. «Tu sais, dit-il, dans un kabyle qu'il maîtrise à la perfection, tout en sortant d'une des poches de son pantalon un paquet de Rym froissé, à Haïzer, les jeunes ont déjà vieilli avant l'âge à force de tourner en rond. C'est notre seule occupation car la quête d'un emploi qui était notre seule préoccupation, est devenue maintenant une chimère». Il allume sa cigarette puis ajoute : «Pourquoi les jeunes se soulèvent-ils ? Tu penses que c'est pour le plaisir ? C'est l'écart qui sépare le citoyen des pouvoirs publics qui en est le déclencheur. Ils sont aux antipodes de la réalité qui nous accable !». Plus loin, je sollicite un sexagénaire. Il apparaît surpris par ma question : «Comment voyez-vous Haïzer ?», «Hé bien, rétorque-t-il, Ighouraf est d'abord ma région natale. J'y ai vécu toute ma vie. Elle a changé de manière considérable. Mais elle reste une partie de moi-même». Une réponse naïve mais d'une extrême sincérité. Pour lui, c'est clair, Haïzer est «sa» région qu'il ne quitterait pas pour l'or du monde. Je ne veux pas en savoir plus. Il a tout dit. Il a dit tout l'amour qu'il porte à Ighouraf. Kaci, ma prochaine «cible», est un autre chômeur d'une trentaine d'années, lui, ne va pas avec le dos de la cuillère pour exprimer sa répulsion pour tout ce qui est «autorité», il le montre à travers ses paroles. «Les jeunes, dit-il, sont livrés à eux-mêmes et les autorités locales ne font rien pour remédier à cette situation. Ils sont là, bien installés dans leurs bureaux climatisés sans se soucier du sort de cette jeunesse». Deuxième halte. Au siège de l'APC. Nous demandons des renseignements sur la région auprès d'un responsable local. Celui-ci nous dira : «La commune de Haïzer est une région exclusivement agricole, d'une superficie d'environ 84 km2, pour une population estimée à quelque 17 754 h». Les problèmes ? Haïzer ne déroge pas à la règle. Elle les vit. Elle les subit. «Les problèmes de notre commune, poursuit notre interlocuteur, ne sont pas spécifiques. Ce sont les mêmes que rencontrent la quasi-totalité des autres régions du pays, à savoir le chômage, le problème du logement et celui de l'eau». Concernant ce point, l'eau, le problème serait, apprenons-nous, réglé puisque la source d'Aghbalou et les forages de Haïzer seraient sur le point de résoudre, définitivement, ce problème et c'est tant mieux pour les habitants. Haïzer est, pour ainsi dire, confrontée aux problèmes qui existent à travers tout le pays. Des problèmes qui inciteraient à dire «Allah ghaleb». Comme une espèce de fatalité tant ils sont partagés par tous. Pourtant, et il suffit de s'y rendre pour s'en apercevoir, Thaqaâts est prête à offrir, de par sa situation géographique (elle est située à une vingtaine de kilomètres de la montagne), un des meilleurs cadres d'accueil pour les touristes qui désireraient se rendre à Tikjda, station de ski en hiver et lieu de détente en période estivale. Il suffit aux autorités d'avoir un tant soit peu d'ingéniosité, le courage d'agir et une bonne dose de volonté pour faire de cette région un espace de transit entre les grandes agglomérations où la vie est stressante et le Djurdjura aux vertus inégalables : repos, détente, vue panoramique, air pur… La construction d'hôtels et, pourquoi pas, d'un parc d'attraction ne rendrait qu'un immense service à cette région et à ses habitants. Déjà qu'une piscine semi-olympique existe. Il est quasiment certain que les touristes et autres estivants y trouveraient leur compte et les jeunes en quête d'emploi aussi. Plus nous avançons dans Haïzer, plus nous nous rendons compte que tout n'est pas rose. Beaucoup reste à faire, notamment l'état lamentable des routes dites secondaires et qui traversent les quartiers de la ville. Bitume gangrené, crevasses, nids-de-poule… On nous apprend, cependant, que cette situation est temporaire et que la réfection de ces voies d'accès serait entamée «juste après l'installation du gaz de ville».