En fait, pour qu'une entreprise, locale ou étrangère, soit un «leader économique» sur un territoire, il faut examiner les effets de ses activités sur le développement du territoire considéré et des populations qui y vivent. Pour cela, très succinctement, un «leader économique» doit être concomitamment : un acteur productif, c'est-à-dire créateur d'emplois et de richesses avec efficacité, et répartiteur de ces richesses avec justice ; un acteur responsable, c'est-à-dire soucieux des performances sociales et environnementales de ses activités ; un acteur citoyen, c'est-à-dire contribuant au développement humain et durable des populations et à l'expansion de leurs libertés réelles. Bien entendu, en l'état actuel de l'Algérie, rares sont les entreprises publiques et privées que l'on pourrait qualifier de «leader économique».Il y a bien, selon la terminologie «traditionnelle» quelques «fers de lance» du développement tels la Sonatrach (société pétrolière nationale), la Sonelgaz (société nationale de l'électricité et du gaz), le groupe privé Cevital (alimentaire, automobile, services…) et quelques autres PME. Mais cela reste nettement insuffisant compte tenu de l'ampleur de la tâche en termes de développement. Pourtant, au regard de leurs équipes dirigeantes et de leurs travailleurs, nombre d'entre elles pourraient rapidement devenir des leaders économiques dans leur branche, dans leur filière, sur leur territoire. A condition de se sentir épaulées dans leurs démarches et de constater, au quotidien, la levée des contraintes et blocages qui les empêchent d'atteindre cet objectif. Parmi les obstacles externes aux entreprises, citons en particulier : un environnement économique, financier et institutionnel inadapté aux activités productives ; une asymétrie du développement entreprenarial local (priorité aux entreprises exportatrices «traditionnelles», forte orientation des investissements vers les activités commerciales de court terme, prédominance des activités spéculatives sur les activités productives, concurrence déloyale des activités informelles…). A cela s'ajoutent les obstacles internes : productivité insuffisante (non maîtrise des coûts et des prix, problèmes organisationnels et techniques, innovation et recherche développement quasi inexistantes, politiques salariales inadaptées…) ; fragilité face à la concurrence étrangère (celle des entreprises et celle des produits importés) ; faible attrait pour les investisseurs étrangers (organisation juridique inappropriée, fragilité financière, faible qualification de la main-d'œuvre, équipements et produits obsolètes, difficultés de mise à niveau…). Dès lors, pour devenir des leaders économiques, les entreprises locales devront, elles aussi, montrer toutes leurs capacités à se restructurer de façon radicale, et à nouer, librement, et selon leurs propres stratégies, des partenariats, des alliances et accords de coopération aux niveaux local et international (recours aux IDE, sous-traitance, contrats de licence ou de franchise, ouverture du capital, prise de participation…). Dans ce cadre, l'Etat aura un rôle majeur : celui d'établir avec la participation de ces acteurs une véritable stratégie de développement, d'impulser et de soutenir toutes leurs démarches (y compris en termes foncier et fiscal), dans l'objectif de construire des filières technologiques intégrées, sur des territoires disposant d'infrastructures modernes et adaptées en termes techniques et organisationnels, de couvrir au mieux le marché intérieur, d'organiser une compétition saine et loyale, afin d'éviter le retour à la prédominance d'un seul secteur, voire d'une entreprise, à l'éclosion de nouveaux monopoles, et à la résurgence des activités informelles et spéculatives. Le rôle crucial de la diaspora Enfin, on ne peut examiner l'importance des nouveaux partenariats, comme instruments essentiels de mise en œuvre d'une nouvelle stratégie de développement, sans aborder la question du rôle, crucial, que doit y jouer la diaspora, plus communément appelée «la communauté émigrée». En fait, celle-ci renvoie à deux réalités distinctes : une communauté émigrée est davantage perçue en termes de flux, avec un objectif plus ou moins latent de retour au pays d'origine ; une diaspora est plutôt identifiée en termes d'installation durable dans le pays d'accueil depuis plusieurs générations, tout en conservant un attachement profond avec le pays d'origine. Cependant, généralement la première conduit à la seconde. Les flux migratoires algériens vers le reste du monde, et particulièrement vers l'Europe, datant de plus d'un siècle, on est désormais face à une véritable diaspora, structurée pour le long terme et complètement insérée dans les pays d'accueil. Actuellement, celle-ci représente, pour la seule Europe, une population de près de deux millions d'individus, soit 6% de la population algérienne. A titre de comparaison, la diaspora chinoise, pourtant redoutable en termes économiques, ne représente que 4% de la population chinoise continentale. Au-delà de ces chiffres, somme toute approximatifs, tant la réalité de la diaspora algérienne est difficile à cerner, il est essentiel de bien comprendre qu'au fur et à mesure du temps, celle-ci a profondément changé de structure. Elle fut longtemps une communauté de travailleurs immigrés, généralement peu qualifiés et inexpérimentés, concentrés dans quelques secteurs industriels (mines, sidérurgie, automobile, bâtiment) et quelques activités commerciales de proximité (épicerie, restauration, hôtellerie…) et regroupés, en termes d'habitat, autour de groupes issus des mêmes familles, des mêmes villages, des mêmes régions. Or, cette communauté est progressivement devenue une diaspora socialement, économiquement et professionnellement plus diversifiée, moins concentrée et composée pour une part de plus en plus importante de travailleurs qualifiés, de cadres, de professions libérales, d'universitaires, de chercheurs, de commerçants et d'entrepreneurs, disposant d'expertises réelles, acquises dans la compétition et la concurrence en économie de marché, parfois sur fond de racisme ambiant, ou à tout le moins de discriminations multiples. Résultat, son poids économique dans les pays d'accueil s'est démultiplié. Elle est présente en tant qu'acteur dans de nombreuses activités productives, y compris celles liées aux nouvelles technologies (de l'information, médicale, alimentaire, environnementale…). En termes financiers, cette diaspora contribue à la richesse nationale des pays européens pour environ 25 à 30 milliards d'euros par an, soit environ un tiers du PIB algérien hors hydrocarbures. Or, ces formidables potentialités sont largement sous-estimées, quand elles ne sont pas ignorées par leur pays d'origine. Pourtant, l'Algérie souffre cruellement d'un déficit chronique en ressources humaines, techniques, organisationnelles et même financières (malgré le niveau impressionnant de réserves de change). D'autant que l'on estime à plus de 400 000 le nombre de cadres ayant quitté le pays depuis le déclenchement des actions terroristes. En conséquence, la diaspora effectue peu d'investissements en Algérie. Elle transfère de moins en moins d'argent vers le pays (au moins à travers les circuits officiels). Son argent s'oriente plutôt vers la consommation de biens durables (habitat) et de services (tourisme familial). L'impact est parfois négatif : le change parallèle opéré par la diaspora contribue partiellement aux fuites de capitaux. Celles-ci sont estimées annuellement à un ou deux milliards de dollars, soit l'équivalent des montants annuels d'IDE. Les raisons de cette évolution sont multiples. Parmi les plus importantes, en Algérie, il y a, on l'a vu, la sous-estimation chronique de ce formidable potentiel, à laquelle se conjugue la multiplicité des blocages et contraintes qui découragent tout désir d'y réaliser un projet. Du côté de la diaspora, la dispersion des opérateurs économiques, leur manque d'organisation, l'indisponibilité d'informations fiables, l'absence de confiance en l'avenir, les informations ou rumeurs sur les échecs de certains projets, ne favorisent pas non plus, au moins jusqu'à ce jour, sa participation active au développement. Pourtant, comment se passer de ce formidable potentiel dans une stratégie de développement ? Comment ignorer davantage autant de partenaires potentiels, originaires du pays, disposant d'importantes et multiples ressources et désireux de contribuer librement, pleinement et activement au développement de l'Algérie ? Si les conditions économiques et politiques le permettaient, on estime que la diaspora serait en mesure d'investir, à travers les circuits légaux, seule ou en nouant des partenariats locaux ou externes, plus d'un milliard de dollars par an, dans les secteurs hors hydrocarbures, c'est-à-dire quatre fois plus que la France ! Comment ne pas voir que cette diaspora pourrait servir de véritable pont entre les deux rives de la Méditerranée ? Comment ne pas voir en elle un moyen exceptionnel pour drainer vers le pays à la fois la multitude de compétences dont elle est constituée, et de multiples partenaires qu'elle côtoie au quotidien dans les pays d'accueil et qui lui font confiance. Car, notre conviction est que les étrangers ne viendront investir et commercer durablement et efficacement en Algérie que le jour où sa diaspora s'y impliquera librement, en grand nombre et concrètement. Là encore, l'Algérie ne ferait pas figure d'exception. Tout le monde le sait, en Chine, la diaspora est parmi les plus grands investisseurs du pays, et un partenaire incontournable pour les autorités comme pour les étrangers.Au bout du compte, en 2009, la crise mondiale et ses répercussions sur l'Algérie pourraient donc avoir du bon si elles permettaient de repartir du bon pied et de faire que l'après-crise… soit aussi l'après-pétrole. L'auteur est ancien ministre, économiste