Napoléon III s'empare de la Nouvelle-Calédonie afin de créer une colonie pénitentiaire et d'accueillir ces «indésirables». Elle présentait l'avantage d'être loin de l'Europe et de l'Afrique, elle était vierge et sa colonisation serait vue d'un bon œil puisque la vie sur ce territoire était encore à l'état sauvage. Une fois la colonisation du pays entamée, il fallait créer un centre de colonisation pénale, le choix s'est fait sur le village naissant de Bourail qui se développa petit à petit à partir de 1850. Ce n'est qu'en 1871 que le territoire de Bourail s'est transformé en véritable centre de colonisation pénitentiaire communément appelé «La pénitentiaire». Dans l'esprit de colonisation de ce pays, le centre pénitentiaire agricole servirait à mettre en place un foyer d'accueil pour les déportés et transportés en fin de peine pour les inciter à vivre et à fonder des foyers dans ce pays nouvellement colonisé. Les structures de «La pénitentiaire» se sont multipliées et dispersées dans la région. En 1877, le centre pénitentiaire de Bourail comptait déjà 816 condamnés et libérés. Des concessions de quelques hectares de terres sont accordées aux libérés qui désiraient s'installer dans ce pays. A cette date, ils sont 148 concessionnaires libérés ou en fin de peine, installés avec leurs familles dans leurs terres. Pour parfaire cette œuvre de colonisation pénale et de peuplement, les autorités coloniales autorisent la venue dans ce pays de femmes issues de la Métropole uniquement, soumises ou non à la transportation. Le regroupement familial a aussi été favorisé. Les Algériens n'étaient pas concernés par ces mesures sociales. Les transportés algériens et français, ainsi que les déportés algériens issus de la révolte de Kabylie de 1871 et les déportés français issus des événements de la commune de Paris de la même année, constituent le gros de ce centre pénitentiaire. Dans le but de créer les conditions idéales d'enracinement de ces familles métropolitaines en priorité, des structures administratives d'état civil sont mises en place. En général, les mariages sont souvent groupés, une vingtaine par cérémonie. Le 22 février 1873, quinze unions sont célébrées par l'officier d'état civil. Ce jour-là, deux Algériens célèbrent leur mariage, Ali Ahmed Ben Foulah avec Fanny Saumont et Kaddour Mohamed Ben Yamina Ben Hadj avec Amélie Moussard. Beaucoup d'autres Algériens en fin de peine feront de même par la suite. Les Calédoniens utilisent le terme générique «Arabes» pour désigner les descendants de déportés et transportés venant du Maghreb. Cette appellation n'est pas du tout conforme aux réalités historiques, elle ne représente pas toutes les composantes de cette population. Les historiens et les descendants de déportés algériens ont souvent été confrontés à des polémiques autour de cette appellation. Il est tout à fait légitime de faire référence à l'Algérie et de parler de descendants de déportés algériens et non de privilégier une ethnie par rapport à une autre. L'écrasante majorité de ces déportés maghrébins est issue d'Algérie. Bourail Le peuplement de Bourail va s'accentuer, il se fera dans la diversité forcée et inévitablement au détriment des tribus locales indigènes. Ces tribus se révoltent, mais, faiblement armées, elles seront toutes vaincues et repoussées vers des réserves lointaines hostiles. Un des grands chefs de tribus révoltées Ataï sera décapité le 1er septembre 1878, un martyr qui deviendra un symbole pour les nouvelles générations kanaks. Entre 1867 et 1889, on estime à environ 1500 le nombre d'Arabes transportés en Nouvelle-Calédonie, dont la grande majorité est issue d'Algérie. Quelques dizaines seraient venus du Maroc, de Tunisie et même du Yémen. Ces derniers, les Yéménites, seraient venus dans ce pays comme chauffeurs sur les navires à vapeur assurant la liaison avec l'Europe. L'arrière-grand-père de l'actuel président de l'Association des Arabes de Nouvelle-Calédonie, Salem, était originaire du Yémen. En Nouvelle-Calédonie, la tradition orale véhiculée à ce jour confond souvent les condamnés à la transportation et les déportés politiques de l'insurrection kabyle de 1871 initiée par El Mokrani et le cheikh Mohand Amézian El Haddad. Celle-ci entraînera à partir de 1873 la déportation de plus de 120 révoltés algériens condamnés par un tribunal d'exception militaire siégeant à Constantine. Boumezrag Mokrani, le frère du leader de la révolte, Mohamed, Azziz et M'hamed, les fils du cheikh Mohand Amézian El Haddad, leader de la révolte et de la confrérie des «Rahmania», feront partie de ce lot de déportés. Après quelques années de détention, certains Algériens, devenus concessionnaires, s'installent définitivement dans ce pays d'adoption et fondent des foyers. La superficie des concessions est de 4,5 hectares environ, réparties autour du village de Bourail avec une grande partie dans la vallée de Nessadiou (appelée autrefois la Vallée du Malheur). En 1895, Bourail compte 41 concessionnaires d'origine arabe (probablement tous d'origine algérienne), la liste est donnée en annexe, l'orthographe des noms des registres des concessions de Bourail a été conservée. Le registre des concessions rurales du centre pénitentiaire de Bourail donne plus de détails, dont voici quelques exemples : «Ameur Ould Chaouffa, concessionnaire du lot n° 39 de superficie 4,40 ha, a été mis en concession le 27 août 1883, libéré le 18 avril 1885, il devient concessionnaire définitif le 27 août 1888». «Mohamed Ould Bel Kissous, concessionnaire du lot n° 38 de superficie 4,20 ha, a été mis en concession le 27 août 1883, a bénéficié d'une remise de peine, il devient concessionnaire définitif le 27 août 1888. Il s'est marié le 15 mai 1893». «Bachir Ould Sghir Ould Saïd, concessionnaire du lot n° 40 de superficie 4,50 ha, a été mis en concession puis libéré, en 1890 il devient concessionnaire définitif». Miloud Ben Abdallah, un concessionnaire au-dessus du lot Miloud Ben Abdallah, fils de Abdallah ould Moussa et de Aïcha Bent Saïd, est né en 1837 à Righas, arrondissement de Blida. Déjà marié en Algérie à Kheira Bent Haya, deux enfants, profession : journalier. Taille : 1,81 m, borgne de l'œil gauche, illettré. Le 5 juin 1867, jugé pour meurtre, il est condamné à 10 ans de travaux forcés par la cour d'assises de Blida, il sera déporté en Nouvelle-Calédonie où il arrivera le 11 février 1868 à bord du Fleurus. Il sera libéré de la section n°1 le 9 juin 1877, mis en concession le 10 mai 1886 sur le lot numéro 77 de Nessadiou de 6 hectares de superficie. Il devient concessionnaire définitif le 10 mai 1891. Le 24 décembre 1892, il obtient un lot supplémentaire de 2,40 hectares, le n° 77 planté en caféiers. Il se marie le 5 juillet 1882 à Bourail avec Hobigand Cécile Lodoïska, dite «Berthe», elle-même transportée de France. De cette union, naîtront 6 enfants. Miloud décédera à Bourail le 4 juin 1900. Miloud travaillera dur, à force d'efforts, d'abnégation, d'ingéniosité et de persévérance, il devient un concessionnaire modèle aux yeux de l'administration pénitentiaire. A propos de la concession réussie de Miloud, le registre des concessions rurales de Bourail indique les observations suivantes : «De tous les concessionnaires de Nessadiou, le libéré Miloud est l'un des premiers qui aient entrepris la culture du café. Les résultats obtenus sont déjà des plus satisfaisants et on ne peut que le louer de sa persévérance à poursuivre un essai de culture que la nature des terrains de Nessadiou ne paraissait pas devoir mener à bien. L'exemple de Miloud a entraîné la majeure partie des concessionnaires de la section. «Excellent concessionnaire». – L'auteur est : Chercheur