Johannesburg (Afrique du Sud) De notre envoyé spécial Depuis que la compagnie Khalifa Airways est morte et enterrée, les Algériens, qui font le va-et-vient entre leur pays d'origine et leur nouvel eldorado, l'Afrique du Sud, passent par des compagnies étrangères. Pour notre part, nous faisons le voyage à bord d'un avion de ligne aux couleurs d'Egypt Air, après avoir pris une correspondance au Caire. Au bout de 12 heures de vol et quelques heures d'escale passées sur un bateau restaurant flottant sur le Nil, l'appareil atterrit à l'aéroport OR Tambo, de Johannesburg. La première impression est renversante vu l'immensité du bâtiment, son caractère ultramoderne et l'affluence multinationale qui l'anime. Si l'aéroport constitue la vitrine d'un pays, l'Afrique du Sud doit être un grand pays. Tout au long de la route qui mène vers la métropole, l'impression est amplement confirmée. Servi par l'absence du décalage horaire et les quelques informations recueillies auprès d'un immigré algérien, avec lequel on vient de faire le voyage, on garde les yeux ouverts scrutant le moindre détail pouvant confirmer ou infirmer tout ce qu'on dit sur ce pays classé première puissance économique de l'Afrique. De Helvetia Court, le nouveau quartier bohème de Jo'burg, au Mandela square, des manoirs de Greenside et Rosebank au vitrines sulfureuses de Sandton City Mall, le plus grand centre commercial d'Afrique, le faste s'exhibe et souligne le modèle franchement occidental. Il faut abandonner les sentiers battus des itinéraires touristiques pour aller à la découverte du township de Soweto et les restes de bantoustan situés aux polygones de la métropole, pour relativiser cette image satinée aux couleurs de carte postale. Mais quelle que soit la beauté de Johannesburg et les attractions qu'on peut y trouver, le must des destinations sud-africaines est peut-être ailleurs. Cape Town, l'enchanteresse Au pied de Table Mountain brille la mère des villes, Cape Town. C'est ici qu'ont débarqué pour la première fois en 1652 les colons hollandais qui s'établiront autour de la station de ravitaillement des navires naviguant entre l'Europe et l'Inde. Auparavant, c'est le navigateur portugais Bartolomeo Dias qui atteint le premier le cap de Bonne Espérance en 1488 suivi en 1497 par son compatriote Vasco de Gama. Après des siècles de conquêtes et de conflits, l'ancien comptoir maritime est devenu aujourd'hui une ville moderne qui attire touristes et candidats à l'immigration du monde entier. C'est à Cape Town qu'on peut déguster le meilleur poisson et découvrir les pitas aux calamars et autres plats raffinés aux fruits de mer. La myriade de restaurants qui longent la corniche affiche toujours complet en cette période estivale. En effet, nous sommes en février, dernier mois de l'été dans l'hémisphère Sud et il est rare de trouver une chambre dans les nombreux hôtels de la côte. Cape Town est époustouflante avec son chic et son charme. Se distinguant par ses buildings et une infrastructure impeccable, Cape ressemble, à bien des égards, à Baltimore l'américaine. L'aménagement moderne du port Victoria en a fait le nouveau centre de la ville grâce à l'ouverture d'espaces branchés de loisirs et de shopping et une animation artistique de toutes les couleurs. Les ballades diurnes et nocturnes sont très agréables sur les lieux où se trouve, le nec plus ultra, le point de départ des ferrys touristiques vers Robben Island, l'ancienne prison où était détenu Mandela, aujourd'hui transformée en musée. A l'instar de Johannesburg, Pretoria ou encore Durban et Port Elizabeth, Cape Town est une vitrine plutôt impressionnante d'une Afrique du Sud qui émerge comme un pays fort et une destination intéressante, quoique de plus en plus américanisée, à l'autre bout du continent africain. Pays de Nadine Gordimer, John Coetzee et des quatre Nobel de la paix : Mandela, Tutu, De Clerc et Luthuli, pays de Charlize Theron, des champions du surf, du rugby, du criquet, la Rainbow Nation et les safari, l'Afrique du Sud semble avoir posé les bases d'une véritable démocratie et s'affirme comme une locomotive pour le continent. En tous cas, son rôle au sein de l'UA et du Nepad lui accorde une visibilité internationale incontestable en dépit de sa situation géographique à l'extrémité australe du continent. La tenue de la XIIIe Conférence internationale sur le sida à Durban, en juillet 2000, et ensuite le Sommet mondial du développement durable à Johannesburg en 2002, reflètent le poids politique régional. Pour les peuples des pays voisins, du moins, c'est l'exemple à suivre. Cap sur le Mondial A Cape Town toujours, le stade en construction, copie de San Siro le Milanais, abritera les joutes du Mondial 2010, dont l'organisation a été confiée à l'Afrique du Sud, premier pays du continent à avoir l'honneur d'organiser un événement footballistique aussi prestigieux et aussi énorme. Des stades pareils, rivalisant en beauté architecturale, sont en construction partout ailleurs dans les grandes villes censées accueillir les finales. De gros moyens ont été déployés par le gouvernement qui compte faire de ce rendez-vous planétaire l'occasion de montrer au monde, comme l'a fait la Chine lors des Jeux olympiques de Pekin, le nouveau visage du pays et obtenir le quitus pour faire partie d'une catégorie supérieure dans le classement des nations. L'Etat a investi également dans l'amélioration de l'infrastructure routière en prévision de l'activité créée autour de l'événement, sachant que l'Afrique du Sud possède le meilleur réseau sur le continent. Les aéroports de Cape Town et Durban subissent également des travaux d'extension et devront être fin prêts pour accueillir les délégations et les milliers de supporters attendus. L'équipe locale des Bafana Bafana, championne d'Afrique en 1996, aspire à jouer les premiers rôles en 2010, mais le pays est connu surtout pour son équipe de rugby, deux fois sacrée championne du monde, ou encore le criquet, sport le plus pratiqué dans la rue, et le surf, véritable attraction sur les plages de Durban, notamment à North Beach où jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, sprintent sur les vagues. La tendance pourra bien être inversée, à considérer l'effort déployé par les médias lourds à l'image des nombreuses chaînes de télévision qui consacrent le plus gros de leurs programmes au football pour en faire le sport roi. En plus du championnat local, les matches des championnats européens les plus prestigieux défilent à longueur de journée, pour gagner manifestement un public plus large à la cause du Mondial, de quoi faire une fête, pourquoi pas à la brésilienne. Des panneaux électroniques sont partout accrochés, affichant le compte à rebours pour le jour «J» . Bref, on ne lésine pas sur les moyens pour assurer la réussite de l'événement. Le pays recèle des atouts pour réussir cette prouesse et s'appuie sur sa dynamique tous azimuts qui mobilise la société pluri ethnique née de la réconciliation post apartheid. Dans la rue, comme dans les salons feutrés et des musées, l'art et la culture en général portent en eux les éléments de cette dynamique inédite. La créativité se manifeste sur les murs et les créateurs foisonnent dans un paysage culturel cosmopolite et généreux. Brink, la voix de «l'incrimination positive» Depuis les premières élections libres et l'intronisation du parti ANC à la tête du pouvoir exécutif en 1994, d'importants efforts sont consentis pour améliorer les conditions de vie de la majorité noire et promouvoir l'équité dans une société multiraciale. Malgré la faiblesse du rand, l'inflation, la fuite des cerveaux et quelques problèmes structurels, l'économie sud-africaine est classée première du continent africain, selon le rapport 2007 de la Banque mondiale, avec un PIB de 277,581 milliards de dollars US, soit le quart du produit intérieur brut (PIB) de l'Afrique. Le modèle libéral soutenu par le gouvernement de gauche a permis de préserver l'outil capitaliste de production et libérer des contraintes les industriels et les agriculteurs locaux qui font montre d'une compétitivité remarquable sur les marchés internationaux. L'agriculture permet non seulement l'autosuffisance en matière alimentaire mais dégage aussi une plus value générée par les produits destinés à l'exportation. Idem pour l'industrie qui, au-delà de l'extraction et l'exportation de l'or et du platine (dont l'Afrique du Sud figure parmi les premiers exportateurs mondiaux), maîtrise les process dans plusieurs secteurs et alimentent la demande locale avec des produits de qualité. Quinze ans après la fin de l'apartheid, des exploits ont été réalisés et beaucoup de résultats sont palpables sur le terrain. Mais les insuffisances de la politique du gouvernement de Thabo Mbeki, conjuguées à d'autres sources de problèmes ont engendré des fléaux sociaux qui freinent l'élan du développement. Le black empowerment, concept lié à la politique de la discrimination positive dans les domaines de l'enseignement et de l'emploi et visant à transférer le pouvoir économique des Blancs vers les Noirs, a produit des effets pervers tout en réalisant des résultats maigres par rapport aux objectifs tracés. Si une nouvelle classe moyenne noire, les Black Diamonds, a émergé, il n'en demeure pas moins que les inégalités sociales ont été aggravées, d'où un taux de 40% de la population vivant dans une extrême pauvreté, selon les chiffres livrés par le directeur exécutif de la commission des droits de l'homme, Tseliso Thipanyane. Cette situation favorise, selon lui, une forte criminalité. Rien qu'en 2008, on a compté, 18 000 assassinats, 50 000 vols et 56 000 tentatives de meurtres. L'autre plaie sociale demeure incontestablement le sida, véritable casse-tête du gouvernement qui ne sait plus quoi faire devant les chiffres effarants : (1700 nouveaux cas infectés par le virus/jour, 1000 morts/j, et 5,7 millions atteints du virus), dont une partie est issue des mouvements migratoires. Face à ces bémols rebutants, vus de loin, comment conforter la belle idée d'un pays arc en ciel ? C'est l'illustre écrivain André Brink qui, dans ces colonnes même, avait apporté une réponse en incriminant la politique de discrimination positive et toute la politique gouvernementale depuis 1994. Dénonçant entre autres la corruption et l'arrogance des nouveaux tenants du pouvoir, Brink décrète avec une note d'espoir que «les ego ne permettent pas de voir à long terme. Mais les possibilités et les espoirs sont toujours présents.»Cela semble être le destin d'une Afrique du Sud fébrile et promise à un avenir aux scénarios excitants.