Expression esthétique importée dans ses moules artistiques et ses règles de montage, le théâtre revêtu du costume africain s'est vite intéressé aux pratiques cultuelles du passé des peuples du continent. En effet, presque naturellement, les artistes se sont tournés vers les ancêtres pour exprimer leurs options scéniques et leurs rites. Il y a eu une sorte d'association qui fait alliance entre deux formes au départ distinctes, la structure théâtrale ramenée d'Europe et la culture des aïeux à l'intérieur de laquelle se combinent intimement les rituels transmis de génération en génération et les nouvelles sensibilités insufflées par le présent. Dans cette reconstitution - récréation du ton émotionnel, relativement récente par ailleurs - les croyances religieuses et autres formes anciennes ne sont que rarement absentes de ces représentations bâties sur les danses, transes, chants collectifs et ascensions de l'esprit vers les mystères de l'univers. Nombre d'œuvres proposées principalement après les indépendances, au tout début des années 1960, insistent prioritairement sur le caractère sacré du texte déclamé face au public, car il y en a plusieurs. Ces œuvres d'explorations esthétiques ne sont pas toutes réussies dans cette envie de dire son appartenance mais elles sont toutes acquises à l'idée que leur dramaturgie ne saurait être une photocopie de celle empruntée dans ses structures au vieux continent. Le griot (homme orchestre du spectacle proposé et artiste polyvalent) est marque de fabrique incontestée. Produit intrinsèque de la société qui l'entoure, il est surtout récupérateur chevronné du passé des anciens. Sur une scène généralement nue, il interprète pour la tête et l'âme à l'intérieur de thématiques et de cohabitations esthétiques qu'il sait lire et surtout maîtriser. Il est agitateur fécond et producteur de sens dans cette relation intime qui marie passé et présent. Le conteur répond à une demande précise. Il est à la fois passeur de traditions et témoin de ses temps. Ainsi, les archétypes traversent les périodes pour marquer leurs origines, leurs territoires et leurs masques d'interprétation et d'interpénétration. Dans ce théâtre à deux mamelles et plusieurs langues, ils sont liens identitaires multiples, mémoires affectives et points forts du discours esthétique et politique. Cette démarche articulant le « moderne » pour partie étranger, au local à multiples facettes, fournit ainsi au théâtre africain une substance originale où l'explicitation de l'identité revêt d'autres sens, une autre reconnaissance, d'autres alibis. Dans ce besoin d'enracinement dans une forme artistique qui est quelque part un miroir d'obsessions diffuses, les artistes de théâtre africain opèrent en tête du combat de la conscience culturelle noire des peuples de ce continent longtemps maintenu à la périphérie de la civilisation blanche. Les dimensions des œuvres tragiques qui interrogent l'histoire et ses avatars sont immanquablement irriguées par le souffle épique et ses penchants rituels. Dans ce régulier retour à l'exploration mystique des traces âges et à leurs illustrations mythologiques, il y a là indéniablement un appel incessant à une forme de résurrection (ou de revendication) insistante même si ici et là on opte pour les besoins du moment pour des pièces documents, des pièces liées à l'actualité immédiate, des pièces témoignages prioritairement versées dans l'écoute des pulsations des peuples, des pièces souvent suggérées par courant progressiste du théâtre d'avant-garde, brechtien notamment, comme ce fut le cas d'ailleurs dans pratiquement tout le tiers-monde. Inscrit donc dans cette double, voire triple appartenance, le théâtre africain parti au tout début des années 1930 du siècle dernier, principalement de Bingerville (Côte d'Ivoire) et de William Ponty (Sénégal), est à la fois un théâtre de l'ouverture sur son environnement politique mais aussi un théâtre qui n'a de cesse à revendiquer ses formes culturelles en partie empruntées aux rituels sacrés. Aspirant à un théâtre qui toucherait le maximum de gens, les artistes qui le pratiquent croient à ce qu'ils font et ils le font dans un but précis : exister. Ces plongées régulières dans le passé sont très souvent justifiées pour répondre à des questions lancinantes du présent. Un présent peu rose hélas pour des populations pas toujours associées à la confection de leur avenir, pas toujours averties sur l'importance de l'art des tréteaux. L'immense Wole Sowinka (romancier, poète et dramaturge nigérian connu à l'échelle mondiale, prix Nobel de littérature) avait prédit la douloureuse rupture d'avec les nouveaux maîtres des pays décolonisés. S'exprimant pour partie dans la langue de Shakespeare, il a parlé dans son théâtre des grandes désillusions qui ont balayé les espérances des après-indépendance. D'autres hommes de lettres et dramaturges à l'envergure avérée comme Tchikaya U Tamsi et Soni Labou Tansi ont opté pour des compagnies légères, des troupes indépendantes de toute tutelle pour exprimer leurs choix esthétiques et politiques et surtout dire le profond désenchantement qui frappe une majorité de leurs peuples face aux pouvoirs despotes des nouveaux maîtres.