Badadroum ou les aventures de Sakarai du Niger met d'emblée le conteur au centre du fait théâtral. Le héros de cette pièce, empruntant à la comédie tous ses ressorts farcesques, est à la fois protagoniste de l'histoire contée et griot conteur de premier plan. Il dit ce qu'il va jouer et joue ce qu'il dit sur une scène qui s'est suffit de très peu d'accessoires pour vibrer sous ses pas de danse et récits anciens exhumés pour l'occasion. Kotondou Cheikh Amadou, le metteur en scène, réalise une pièce avec beaucoup d'économie de moyens. Deux banquettes, quelques tissus pour réaliser les changements de situation et de posture et le tour est joué dans cette pièce où les tableaux sont reliés grâce à la présence d'un musicien instrumentiste qui sait faire parler toutes les percussions et faire bouger tous les corps. Sakarai, le personnage principal de cette pièce à trois comédiens, veut à tout prix devenir riche et pour le devenir, la légende lui commande de séduire les héritières d'Eve et surtout d'aller au lit avec le maximum de femmes, quitte à faire l'amour aux femmes sans domicile fixe et aux femmes folles. Toute la trame de cette pièce de 45 minutes, par certains aspects parodique, est tissée autour de ce vœu. Confronté à des situations inattendues, le héros trébuche mais n'abandonne pas jusqu'au pire, lui, que la légende a nourri d'espoirs fous, lui, qui, malgré sa délicieuse verve, a cru qu'il suffisait de faire jouer son charme pour prétendre à la richesse matérielle. Agréable à suivre parce que sans prétention, le spectacle nigérien passe bien la rampe avec des comédiens qui, sans forcer, donnent la pleine mesure de leur talent d'acteur. Un bon moment de détente. Avec La Musaraigne, les spectateurs du théâtre Mahieddine Bachtarzi sont conviés à un autre registre. En effet, la pièce burkinabée pose de manière crue la question du pouvoir. Ecrite par Jean Pierre Daoguo Guinguané et mise en scène par Luca Jiovanni Maria Fusi, artiste italien installé depuis longtemps au Burkina Faso elle, aborde de manière intelligente la « gestion » « des luttes souterraines qui se livrent pour la prise du pouvoir en Afrique et les coups bas qui vont avec, notamment, dans des pays déchirés par toutes sortes d'épidémies et dont la plus caractéristique demeure la dictature de petits chefs voulant à tout prix grandir sur leur fauteuil surdimensionné. De facture classique dans le déroulement de l'histoire, la pièce jouée par la troupe théâtrale de la « Fraternité » -la doyenne des troupes privées- est de bonne facture esthétique. Avec Viva Mama jouée dans la coquette petite salle Hadj Omar dépendante du TNA, les acteurs égyptiens appartenant à la compagnie privée « El Moussaharatie » nous ont conviés à partager la vie d'une famille peu ordinaire, une famille installée près de ses morts, une famille installée près du souvenir, une famille proche de tous ses êtres qui ne sont pas là mais qui existent pleinement par le rappel des faits et la réappropriation du souvenir. Pièce bâtie pour partie sur la parabole, Viva Mama s'inscrit d'emblée dans le théâtre intimiste et également interactif car dans leur démarche de partage et de participation, les personnages invitent les spectateurs à prendre part à cette cœxistence réelle-irréelle menée en vase clos. Une cohabitation, à première idée insolite, où on bouge peu pour pas que les morts protestent, pour que ces mêmes morts, momentanément absents du monde des vivants, disent leurs mots sur le monde des vivants, le monde que nous vivons dans ses spectres et ses contradictions.Viva Maria est dans l'allégorie et la démarche est loin d'être inintéressante. Dans Kondo le requin , pièce théâtrale signée par Tola Kouikou, la troupe Kaidara du Benin convie le spectateur algérien à une intéressante rétrospective romancée de l'histoire du Benin, anciennement Dahomey. Pièce montée à la manière d'une fresque historique, « Kondo le requin » raconte la prodigieuse épopée d'un jeune roi contrarié dans son envie de se libérer des forces coloniales européennes, notamment françaises. L'histoire est bien rendue dans une mise en scène traditionnelle au sens aristotélicien du terme (un peu trop) où le chant et la danse se taillent la part du lion. La scénographie (costumes et lumières) est particulièrement soignée au profit du jeu des trente-cinq interprètes à majorité jeunes et pleins d'allant. Pour leur part, les comédiens de la compagnie « La voix de l'Est » évoquent, dans leur spectacle. Les Cornes de Samirla de Abdourahman Ismaïl Abdi, le drame de l'excision qui continue de sévir dans certains pays africains surtout du côté de l'est du continent de Lucie. Théâtre-document ou encore théâtre de la dénonciation afin d'atténuer les dérapages et combattre l'obscurantisme, Les Cornes de Samirla donne principalement place à la parole engagée, la parole-témoin pour dire les méfaits que provoquent toutes les légendes mal assimilées dans un continent pas toujours en phase avec les transformations qui s'opèrent de par le monde. La distribution est réduite dans une mise en scène elle aussi économe en gestuelle et effets scéniques. L'essentiel est dans le mot tout comme l'est la seconde pièce A la recherche de la perle rare de Aïcha Mohamed Robleh, mise en scène par Fardouza Moussa Egueh. Cette seconde pièce émanant toujours de la compagnie La voix de l'Est intervient sur les sempiternels problèmes de cohabitation liés aux nouveaux couples. Ecrite dans la langue de Molière mais sans les envolées lyriques, dans un style narratif, puisé de la langue de tous les jours, son auteur tente d'insister sur les pesanteurs socio-économiques qui contrarient aujourd'hui la vie des époux. Là, également, la pièce proposée au public de la salle Mougar ne pouvait prétendre au grand spectacle. Tout est dans l'économie de moyens sauf le verbe. Une pièce sandwich en somme qui nous rappelle, à bien des égards, nos dramatiques nationales que l'on garde spécialement pour le mois de Ramadhan. Histoire de mieux digérer.