Ne plus prendre ce monde au sérieux. Plutôt rire que pleurer. C'est à peu près ce que suggère Nozha fi ghadab (promenade dans une colère) du Théâtre national algérien (TNA) adaptée par Nabil Assli de deux textes du Roumain Eugène Ionesco et de l'Espagnol Fernando Arrabal. Autrement dit, de l'absurde à l'état pur. Djamel Guermi, metteur en scène, a ajouté sa petite louche à la grande chorba ! Cela donne une comédie noire où le grotesque est un mets principal. Plongée dans une atmosphère vert glauque, la pièce commence par des chants décousus. Des comédiens, à l'allure de marionnettes, chantent à travers trois lucarnes et deux portes (sans douter pour souligner une certaine idée de l'ouverture). Le rythme est algérien. Deux sentinelles, en blanc et en noir, sillonnent la scène à la manière des vigiles des hauts palais, mais dont le rôle est ambigu. Deux tableaux se superposent, s'enchaînent et s'entrechoquent parfois. D'une part, il y a ce couple «heureux» qui s'offre des cadeaux à la pelle, se frotte, s'affronte, s'aime, se déteste et entre en conflit en raison d'une mouche tombée dans un plat. Le couple est entouré d'un serveur «très à l'écoute» de ce qui se passe au sein du ménage. De l'autre, il y a ces deux militaires plongés dans un front quelque part. L'un d'eux, aux manières fines, ne sait pas pourquoi il fait la guerre. Il est pris en otage. L'autre ressemble au brave soldat Shweïk, le drôle de personnage du roman de Jaroslav Haek. Il reçoit sur le front même ses parents tout aussi désaxés que lui. Avec ses gros sabots, son foulard et sa jupe droite, la mère rappelle la fameuse Olive, compagne de Popeye. Les parents confondent le front avec un lieu de camping. Ils adorent manger et dormir. Les deux soldats qui s'affrontent comme l'auraient fait deux enfants simples d'esprit. La guerre n'est-elle pas une stupidité inventée par les hommes ? Et puis, il y a cette présentatrice qui vient annoncer une nouvelle urgente sur la guerre, sur la paix et sur la fin du monde. La violence et la peur, amplifiées parfois par les médias, sont soulignées par ce missile qui marche sur les planchers main dans la main avec la présentatrice. Un missile qui va se saouler ! Comme deux oiseaux de mauvais augure, deux ramasseurs de morts courent civière en main et dans tous les sens de la folie au cri de «Mouta, mouta» (des cadavres, des cadavres). Dans le monde globalisé, la mort est elle-même devenue «une marchandise». «Les grands dirigeants regardent les peuples comme s'il s'agissait d'enfants. Le théâtre a une valeur politique», relève le metteur en scène. Selon lui, le plus difficile dans la pièce a été de montrer au public le jeu. «On n'interprète pas, on est dans la dérision. Il s'agit de masques. L'âge des comédiens ne dépasse pas les 24 ans. Ils ont vécu la tragédie des dernières années. Cela les a aidés à mieux jouer. Nous sommes dans un monde où personne n'est à sa place», a ajouté Djamel Guermi qui a monté la pièce en deux mois. Djamel Guermi est un adepte de l'école du Russe Constantin Stanislavski (ce dramaturge a écrit le célèbre essai La formation de l'acteur). Douze comédiens ont «porté» la pièce Nozha fi ghadab ; il s'agit de Yasmine Abdelmoumen, Najib El Bassir, Adila Bendimerad, Redouane Merabet, Mohamed Bendaoud, Wassila Arridj, Adila Soualem, Aïssa Chouatt, Khalil Aoun, Zoheir Krimiri et Jafar Benhalilou. Ils ont joué avec cœur. Ce jeu honnête a déplacé en second lieu certaines failles. La scénographie de Mabrouk Badri, quelque peu simpliste, a tenté de refléter l'absurdité du jeu. La pièce se termine par un effondrement après un festival. Comme pour dire que le futur peut ressembler au passé. Il n'y a que les enveloppes qui changent. Ionesco n'avait-il pas soutenu que «l'avenir était dans les œufs !»