1. L'inadaptabilité du système d'écriture arabe à tamazight Le système phonologique de la langue amazighe contient des oppositions impossibles à représenter par le système d'écriture arabe. A titre d'exemple, comment représenter avec les caractères arabes ce qui signifie en tamazight «j'ai laissé»/«j'ai guéri», «elle a planté» / «elle a grillé», «tu es rassasié» / « tu as troublé» ? En caractères purement arabes, on écrira respectivement : L'on voit bien que les énoncés donnés en pairs sont écrits sans distinction aucune, ce qui provoque de l'ambiguïté. Certains diront qu'on peut modifier les caractères arabes d'une façon à les rendre adaptés au système phonologique amazigh, comme cela s'est déjà fait pour certaines langues indo-européennes comme le kurde, le persan, etc. Sachant que les caractères arabes sont déjà chargés de signes diacritiques, tout ce que l'on y rajoute ne sera qu'une charge de plus qui rendra lesdits caractères très lourds et surtout inesthétiques, voire illisibles sous une forme réduite de l'écriture. Pour ceux qui s'appuient sur l'argument selon lequel les Kurdes, les Perses, les Pakistanais, etc., ont adopté l'alphabet arabe modifié sans problème, la réponse est que les systèmes phonologiques de ces langues sont dépourvus de phonèmes emphatiques et de certaines affriquées qui posent problème dans la tentative d'adapter l'alphabet arabe à tamazight. Contrairement aux caractères arabes, les caractères gréco-latins sont légers en ce sens qu'ils ne contiennent pas de signes diacritiques, ce qui les rend facilement modifiables et sans créer des lettres lourdes, moches et illisibles et surtout sains risque d'ambigüité. Cela est observable dans des énoncés comme ceux donnés plus haut, regardez : «ggiy» / «jjiy», «yezza» / « /yezza», «terwid» / «terwiçl». En plus de cela, ne représentant pas les voyelles graphiquement et ne démarquant pas avec précision les limites des mots, le système d'écriture arabe adapté à tamazight engendrerait de nombreux faux homographes et ou faux homophones que même le contexte ne pourrait parfois éclaircir, à côté de nombreux mots difficilement identifiables. A titre d'exemple, comment écrire sans confusion, en caractères arabes, les mots et la phrase qui signifient en kabyle «écrire / enfanter», «il lui a entièrement troublé le cerveau avec de mauvaises idées» ? Pour les deux premiers mots, vous obtiendrez deux formes similaires donc ambiguës ; pour la phrase, vous obtiendrez tantôt une succession de fragments de mots mêlés à leurs affixes, en raison de la cursivité très imparfaite de la graphie arabe, et tantôt une agglutination de plusieurs mots, ce qui rend ceux-ci difficilement identifiables dans la chaîne parlée, et le lecteur, même le plus averti ne peut alors qu'être égaré.(2) 2. L'ancienneté de la tradition d'écriture en caractères gréco-latins L'usage du système d'écriture à base latine remonte à plus de 150 ans. Depuis les premières années de l'invasion française de l'Afrique du Nord, des sociologues et des linguistes venus d'Europe et travaillant sous les ordres des autorités militaires, sillonnaient les territoires berbérophones dans le but de connaître la société et la langue amazighes pour mieux maîtriser les Berbères qui leur montrèrent une farouche résistance. Comme résultat des missions effectuées par ces Européens-là, beaucoup d'ouvrages (recueils de textes en berbère, manuels de grammaire, dictionnaires bilingues) transcrits en alphabet latin modifié, virent le jour. Après l'indépendance, des intellectuels kabyles — tous francophones — prirent la relève et se lancèrent dans l'écriture en leur langue en utilisant des caractères latins ou gréco-latins. Et, au fur et à mesure de la pratique, le système s'améliorait jusqu'à devenir de nos jours très homogène, du moins parmi les praticiens kabyles. Pour cette raison, et de surplus en raison de l'absence sur le terrain de tout autre système d'écriture concurrent sérieux(3), le système à base gréco-latine s'impose par lui-même. Il va de soi que le choix de tout autre système signifierait un retour en arrière de plus d'un siècle et demi. Telles sont donc, M. Addi, les raisons pour lesquelles l'avenir de tamazight ne pourra jamais se jouer dans sa formalisation en langue écrite avec l'alphabet arabe. Le choix du système d'écriture gréco-latin ne nous a été dicté ni par la francophilie ni par l'arabophobie. C'est un choix basé sur la continuité d'une tradition ; c'est un choix basé sur plusieurs études linguistiques et soutenu par la pratique des locuteurs de tamazight. Vous n'avez qu'à faire un tour dans les bibliothèques et les librairies pour reconstater cette réalité que vous voulez à tout prix et malhonnêtement dissimuler aux Algériens pour des considérations idéologiques. Et puis, d'autres peuples musulmans, comme la Turquie, la Bosnie et l'Indonésie ne nous ont-ils pas précédé dans l'adoption de ce système universel que vous et vos semblables nous ressortez à chaque fois comme une preuve de notre haine pour tout ce qui est arabe ? Note : 1. La position de Addi n'est donc pas différente de celle de certains islamo-arabistes qui, à défaut de ne plus pouvoir empêcher l'émergence de tamazight écrite en Algérie en raison des pressions des mouvements berbéristes, veulent entraver son développement avec un système graphique archaïque et inadaptable. En 1989 déjà, des Djaballah et des Chadli ont déclaré hypocritement que «nous ne sommes pas contre tamazight, mais qu'elle soit écrite en arabe», la raison selon eux étant que «nous sommes des Berbères arabisés par l'Islam» ! 2. Le problème avec la graphie arabe ne se limite pas uniquement à l'écriture cursive, mais s'étend également au script qui est généralement produit avec une machine. Ainsi, les mots et la phrase sus-mentionnés seront écrits approximativement de la manière suivante : Or, de tels problèmes ne se posent pas avec la graphie gréco-latine, observez: «aru / arew», «yerwi-as akk allay-is s yir tiktiwin». 3. L'usage actuel par l'Etat algérien de graphie arabe sur la chaîne amazighe TV-4 n'est fondé sur aucune étude et n'est guidé par aucune norme. Cette graphie ne peut être considérée comme une concurrente de la graphie gréco-latine et l'initiative des autorités algériennes n'est destinée que pour semer la zizanie entre les usagers de tamazight dans l'espoir de retarder encore le développement de celle-ci.