« Ma vie à contre-Coran », c'est le titre, sciemment provocateur, qu'a donné Djemila Benhabib à son premier essai qui-même s'il est largement autobiographique, ne restitue pas moins la complexité de cette période de folie dans laquelle a été plongé le pays par l'irruption de l'Islam politique. Le sous-titre « Une femme témoigne sur les islamistes », rend mieux compte du contenu de cet ouvrage de 270 pages paru en mars 2009 dans la collection « Partis pris actuels » chez VLB, éditeur du Québec (Canada). Depuis la parution de son livre, l'Algérienne Djemila Benhabib est désormais un nom connu au Canada. Cette jeune auteure est maintenant invitée dans aussi bien des cercles restreints que dans des clubs de réflexion ou des enceintes universitaires où elle poursuit un combat dont le présent livre n'est qu'une forme de lutte parmi d'autres. Déjà, avant son livre, elle se déplaçait beaucoup dans différentes régions du Québec mais aussi du Canada anglophone pour parler des conditions imposées aux femmes dans les pays musulmans et en Occident dans les milieux de l'immigration ou pour expliquer ce qui se passait dans son pays transformé par l'intégrisme en terre de désolation et d'immobilisme. Les 270 pages de l'essai de cette ex-journaliste d'El Watan sont voulues comme une charge sans concession contre les pratiques politiques et sociales de l'ensemble de la mouvance islamiste et pas uniquement contre ses courants les plus violents. Elles sont à ce titre une réponse et une réaction qui se veut des plus déterminées : « On ne frôle pas une dictature sans être quelque peu, sinon beaucoup, transformé, et pour toujours », écrit-elle dès les premières lignes de son introduction (p.11) Elle réaffirme sa détermination un peu plus loin : « Je n'étais pas venue au monde ni pour baisser les yeux ni pour courber la tête. L'adversité ne me fait pas peur. Lorsque je tombais, je me relevais… » Et elle raconte comment sa vie a été bouleversée, voire totalement transformée. « Coupable d'être femme, féministe et laïque », elle a subi ce qu'ont subi des millions d'Algériennes et d'Algériens de tous âges durant la fameuse décennie rouge-sang. Elle rappelle cela dans sa dimension la plus dure avec des phrases hachées d'où sourd encore une douleur qui semble toujours intense : « La terreur islamiste, je l'ai subie. Il n'y a pas de mots pour la décrire. Cette terreur-là, elle m'habitait jour et nuit, voulait s'imposer entre la vie et moi, érigeant des murs de laideur ». (P.11) Le livre parle d'elle-même comme d'une somme d'identités et d'expériences qui font d'elle un être transfrontalier, à ancrages multiples, enrichi des apports de plusieurs cultures dont le legs politique de ses parents qui ont milité dans les rangs du Parti de l'avant-garde socialiste (PAGS). Elle est née à Kharkov en Ukraine de mère chypriote grecque et de père algérien. Elle vécut un peu partout, en URSS, à Chypre, en Algérie où elle a fait l'essentiel des ses études à Oran, en France pour l'université et depuis la fin des années 90 au Canada. Ses expériences vécues avec autant de référents culturels l'ont transformée en combattante. Son livre semble avoir été conçu comme l'épée d'Athéna et ses phrases retentissent tels des youyous vindicatifs : « Il n'y a pas de terrain d'entente entre eux et moi ». (P.32) Pourquoi une telle charge ? Elle s'insurge : « Les musulmans sont-ils condamnés à reproduire des coutumes barbares, tels l'esclavage, la loi du talion, la crucifixion, la lapidation, l'amputation et la flagellation qui étaient encore en vigueur dans la société tribale de l'Arabie du VIIè siècle ? » Divisé en trois parties comptant huit chapitres, une introduction et une conclusion, l'essai passe en revue un grand nombre d'aspects culturels, politiques ou de civilisation. Elle traite, par exemple, sur près d'une vingtaine de pages de la contrainte faite aux femmes de porter le voile. Elle rappelle à ce propos ce fait monstrueux de la police saoudienne qui tenta d'empêcher des filles de fuir un incendie puisqu'elles risquaient de sortir non voilées. Le livre s'attarde sur nombre de pratiques aberrantes de l'intégrisme et revient sur cet horrible et triste décompte des crimes islamistes à travers le monde ou encore sur le sort fait aux femmes et aux jeunes filles musulmanes, y compris en Europe et dans tout l'Occident et dont certaines sont encore, au XXIe siècle, victimes de crimes dits d'honneur. Rejetant les politiques communautaristes, Djemila Benhabib tente de sensibiliser la société civile et les politiques occidentaux contre ce qui pourrait devenir des exceptions ainsi que des brèches ouvertes dans les législations de ces pays. Elle pense même que « les revendications du fascisme vert contaminent le Canada ». Elle prône la mobilisation « contre les intégrismes religieux » et conclut que la laïcité est la « seule voie de cohabitation possible ». Djemila Benhabib, Ma vie à contre-Coran, VLB éditeur, Québec 2009, 270 pages