On m'a remis son dossier composé de sa thèse de doctorat accompagnée d'un résumé et de son C.V. détaillé, bien fourni, retraçant les différentes étapes de sa carrière pédagogique (modules enseignés, encadrement de mémoires de fin d'études et responsabilités) et de ses activités de recherche scientifique (publications, communications orales et affichées) accompagnées de documents justificatifs. J'ai été très heureux lorsque j'ai trouvé «habilitation universitaire» au lieu d'«habilitation à diriger la recherche», procédure appliquée dans d'autres pays. Je croyais qu'il était fait allusion dans 1'habilitation universitaire, non seulement à la valeur et à l'activité scientifiques du candidat, mais aussi à la qualité de sa participation à l'enseignement. C'est la vraie évaluation de l'enseignant-chercheur, car elle repose sur les deux missions de l'université, à savoir l'enseignement et la recherche. Et tenir compte uniquement de la recherche serait une évaluation compatible aux organismes qui n'ont pas une mission d'enseignement telle que les centres et les laboratoires de recherche. Comme c'est la première fois que je siège dans ce genre de jury, j'ai voulu me documenter afin de connaître les objectifs assignés à cette nouvelle procédure dans le cadre de l'organisation des études post-graduées dans notre pays. Ma surprise fut grande en découvrant, dans la circulaire n° 3 du 24 mai 2003, les modalités de cette habilitation ! Dans cette circulaire, il est stipulé et écrit en gras que la procédure d'habilitation repose sur le principe fondamental de la progression par la recherche et consacre finalement la capacité du candidat à encadrer des thèses et à diriger des recherches. Etre engagé dans la recherche est présenté dans ce document comme une condition sine qua non pour garantir un enseignement supérieur de qualité !Je me suis alors posé plusieurs questions, dont les plus importantes sont les suivantes : quelles sont les priorités de l'université algérienne ? Est-ce que l'excellence dans le domaine de la recherche entraîne nécessairement l'excellence dans le domaine de l'enseignement ? Est-ce que les objectifs, les processus et les résultats de l'enseignement sont les mêmes que ceux de la recherche ? Est-ce qu'il est possible de les mener toutes les deux à la fois à un certain niveau de qualité ?Sans plus tarder, je me suis mis à murmurer des réponses à mes questionnements. Dans nos universités, la priorité est donnée à l'enseignement, la recherche ne vient qu'en second plan.La preuve, c'est la modeste prime de recherche qui est sept fois moins que le salaire d'un enseignant, bien que les deux, ensemble, ne permettent pas à l'universitaire de vivre décemment. De plus, s'il y a recherche, dans la majorité des cas elle se fait dans un domaine et l'enseignement dans un autre, donc des activités différentes et peu complémentaires. Et exceller dans l'une ne signifie absolument pas exceller dans l'autre. La suprématie explicite ou implicite de la recherche dans l'évaluation des enseignants est responsable du peu d'engouement à l'enseignement. D'où la déficience et l'insuffisance chez un grand nombre d'enseignants universitaires, en didactique et en pédagogie (cours, TD et TP inadaptés aux objectifs fixés, incapacité de communiquer correctement, questions d'examen fantaisistes, etc.). La recherche ne favorise pas un meilleur enseignement, surtout lorsqu'il s'agit d'une recherche menée pour elle-même sans égards à la formation des étudiants (recherche dans un thème qui n'a pas de lien direct avec le module enseigné). Certains avancent même que l'enseignement se portera mieux une fois débarrassé de la préoccupation de la recherche et vice-versa. On ne peut courir deux lièvres à la fois ! Parmi les nombreuses difficultés rencontrées, la plus importante est la gestion du temps entre ces deux activités, car l'une va nécessairement se développer au détriment de l'autre. Autrement dit, s'investir dans des activités de recherche (paillasse, gestion du laboratoire de recherche, stages à l'étranger, réunions, préparation de rapports, sorties, rédaction d'articles, séminaires, etc.) mènera inévitablement à délaisser son enseignement. Cela pénalise injustement les étudiants et donne une mauvaise image de l'université. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant d'apprendre que nos universités soient moins attractives pour les élites. La recherche se portera également bien une fois débarrassée des activités pédagogiques, surtout si les conditions d'enseignement sont difficiles (nombre important d'étudiants, charge horaire conséquente, manque de postes budgétaires pour enseignants et/ou personnels techniques, emploi du temps inadéquat dû au manque de salles de cours, de laboratoire et/ou de moyens didactiques, langue d'enseignement différente de la langue maternelle et/ou de la langue littéraire, etc., sans parler des problèmes socioprofessionnels). L'enseignement à l'université ne se réduit pas à une simple transmission des connaissances aux étudiants (enseignement purement traditionnel). Bachelard(1) avait bien raison d'écrire depuis fort longtemps : «J'ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences (…) ne comprennent pas que leurs élèves ne comprennent pas les sciences (…). Les professeurs de sciences imaginent que l'esprit commence comme une leçon (…) et qu'on peut faire comprendre une démonstration en la répétant». Non, l'enseignement est une activité plus complexe qu'on ne le pense et les étudiants ont le droit de bénéficier d'enseignements de qualité, dispensés par des personnes ayant des compétences scientifiques de haut niveau dans leur discipline mais aussi être capables de les transposer didactiquement de manière adéquate. Je souhaiterais vivement que des procédures doivent être mises en place pour inclure systématiquement une formation initiale (et continue) professionnalisant les futurs enseignants universitaires et ceux qui sont déjà en activité, en particulier les jeunes. L'essentiel de cette formation devrait consister à leur faire acquérir les compétences suivantes : – Les compétences didactiques (triangle didactique, méthodologie d'appropriation du savoir et de transposition didactique, capacité de définir les objectifs et mise en application de méthodologies particulaires pour les atteindre, capacité de détecter des obstacles dans le processus enseignement/apprentissage et comment œuvrer pour les solutionner, maîtrise des différents modes d'évaluation des apprenants et l'autoévaluation, etc.) ; – Les compétences épistémologiques (qu'est-ce que sa discipline et comment est-elle constituée à travers l'histoire de la pensée ? Quelles méthodes de recherche utilise-t-elle pour accroître ses connaissances et quel rapport entretient-elle avec les autres disciplines ? Quels sont ses concepts-clés et comment s'agencent-ils dans une trame conceptuelle ? etc.) ; – Les compétences pédagogiques (connaissances psychosociopédagogiques de base adaptées aux adultes, connaissance des aspects réglementaires, des modes de délibération, des recours, etc.) ; – Les compétences communicationnelles (maîtriser les langues, l'outil informatique et les aides didactiques, connaître le contexte socio-économique et culturel des étudiants et le lieu dans lequel s'exerce l'enseignement, etc.). Et lorsqu'un candidat titulaire d'un doctorat (ou d'un diplôme équivalent) et qui est en position d'activité à temps plein à l'université présente un dossier pour son habilitation universitaire, une commission (relevant d'un organe compétent) doit tenir compte beaucoup plus de ses qualités didactiques et pédagogiques en présentant un descriptif de ses charges pédagogiques, le contenu et les objectifs des différents enseignements, la manière dont il conçoit le processus enseignement/apprentissage de sa discipline, ses notes de cours, de travaux dirigés et de travaux pratiques, sa maîtrise des langues et des aides didactiques, sa conception des questions d'examens et des critères d'évaluation, son évaluation par ses étudiants et par ses pairs par le biais de questionnaires, etc. Je pense que la recherche et l'enseignement peuvent vivre en symbiose à l'université pour des raisons de fécondation réciproque mais, à condition que cela se fasse dans un équilibre, dans le même domaine et dans un milieu favorable. Dans le cas contraire, c'est la notion de parasitisme qui prime, nous n'aurons que de faux chercheurs ou de faux enseignants. Dans ce dernier cas, leur association n'est pas bénéfique au bon fonctionnement de l'université.
Note : (1) Bachelard, B. (1938). La formation de l'esprit scientifique. P, 38, (11e édition). Paris : Vrin.