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J'ai honte Monsieur le Président
Publié dans El Watan le 11 - 11 - 2010

A l'heure où je vous écris, les élites surdiplômées et hautement qualifiées de la diaspora algérienne s'organisent en Europe comme aux Etats-Unis et occupent, bon gré mal gré, des postes de haut niveau obtenus par leur seul mérite. L'époque de la politique algérienne de coopération ne faisant appel qu'aux étrangers est révolue. Pourtant, les nouveaux enjeux du partage des savoirs et des progrès technologiques semblent échapper aux responsables en Algérie. Ces derniers n'acceptent pas les compétences que cette élite est disposée à mettre au service d'un pays auquel elle reste attachée. Ils préfèrent faire appel à ceux dont ils prétendent s'être émancipés en leur faisant les plus viles concessions.
Il faut s'armer de toute son ironie pour ne pas s'indigner du fait qu'à quelques exceptions notables, ceux qui sont reçus avec tous les honneurs à Alger n'hésitent pas à exercer des formes de discrimination objective à l'égard de l'élite de la diaspora algérienne en France. Les uns et les autres deviennent alors alliés objectifs. Les premiers par complexe colonial et par peur de dévoiler leurs insuffisances à des Franco-Algériens. Les seconds, par peur de voir cette force vive, en dépit des difficultés, devenir une concurrence tout en contribuant au développement de son pays d'origine.
Pour illustrer mon propos, je voudrais citer quelques exemples qui ont trait à mon domaine.Vous aurez sans doute eu connaissance d'un documentaire diffusé récemment sur une chaîne du Golfe, qui met à l'honneur les élites arabes dans le monde. L'ironie veut qu'une large place y soit faite à un médecin algérien exerçant en France…
Des collègues marocains qui me sollicitent régulièrement pour contribuer à maintenir le haut niveau de leur pratique ne comprennent pas le déni dont l'élite algérienne de l'étranger est l'objet dans son propre pays, alors qu'elle est sollicitée dans beaucoup de domaines dans les pays voisins ou lointains. Ils atteignent le comble de l'incrédulité lorsque, par exemple, ils entendent des médecins français affirmer que j'ai été évincé du programme de formation que j'avais initié dans un hôpital d'Alger et qu'ils sont eux-mêmes actuellement en charge de ce programme. D'ailleurs, les chirurgiens dudit hôpital se sont lancés dans des techniques chirurgicales, ailleurs routinières, sans avoir été préalablement formés.
La première patiente a passé plusieurs semaines en réanimation suite à des complications dues à la non-maîtrise de la technique. De telles pratiques irresponsables illustrent malheureusement trop bien le vieux proverbe : «Apprendre la coiffure sur la tête des orphelins.» Lors d'un récent colloque organisé à Alger, les deux principaux invités étaient, bien entendu, Français. L'un d'eux doit se demander pourquoi le seul Franco-Algérien leader dans le domaine de la greffe pulmonaire en France n'a pas été sollicité. L'autre ne s'embarrasse pas de tels scrupules : il a des attitudes que l'on ne peut pas éviter de comparer à celles qui ont prévalu durant la colonisation.
Que penser lorsqu'à Alger certains chirurgiens prétendent se lancer dans la greffe pulmonaire alors qu'ils ne savent pas pratiquer les techniques chirurgicales non invasives les plus élémentaires qui permettent d'apporter un diagnostic et un
traitement ? Des centaines de patients décèdent chaque année, faute d'actes chirurgicaux spécialisés élémentaires, alors que la greffe pulmonaire ne concerne qu'une poignée de patients.
La greffe est une spécialité de très haut niveau et extrêmement coûteuse, qui ne peut se concevoir et se pratiquer que par des équipes médicales multidisciplinaires et hautement qualifiées. Greffer un patient sans un suivi compétent, c'est le condamner à mort et condamner dans le même temps tous les patients qui auraient pu, avec le même budget, bénéficier d'une chirurgie thoracique de base par des chirurgiens formés dans les règles de l'art.
On ne se lance pas dans la construction d'un avion quand on ne sait même pas fabriquer un vélo. Que cherche-t-on ainsi à prouver, sinon à flatter son ego au mépris du coût humain et financier d'une telle posture ?
Dans le même registre de l'aberration, l'envoi excessif des malades algériens à l'étranger coûte excessivement cher au pays. Beaucoup d'entre eux pourraient être traités en Algérie par des médecins algériens, préalablement formés selon les normes internationales.
Alors, pourquoi ne pas faire preuve d'humilité et de pragmatisme, définir un plan de santé publique axé sur les pathologies dont on ne devrait plus mourir faute de soins ou pour lesquelles on devrait plus transférer les malades à l'étranger ?
Cela implique de combler d'urgence le déficit de formation là où il s'impose par des enseignants compétents, dévoués, qui possèdent le sens de la transmission du savoir.J'ai honte Monsieur le Président, comme beaucoup d'entre nous, parce nous sommes conscients des conséquences préoccupantes de ce climat d'incompétence et de lâcheté, et écœurés parce que nous savons ce que certains pensent de l'Algérie, des Algériens et du parti qu'ils peuvent tirer du maintien d'un tel niveau de dépendance.Voilà le constat alarmant que je souhaite vous exposer avec l'espoir qu'un jour, toutes les Algériennes et les Algériens puissent avoir localement accès à une médecine moderne et équitable.


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