Nous quittons le bitume et traversons un immense désert où la première ville nigérienne, Assamaka, apparaît au loin, à quelques kilomètres seulement. Des hommes en uniforme vert, assis avec des civils, et d'autres en tenue kaki, entourent un poste de contrôle de la gendarmerie. Ici, tout est payant, même les formalités les plus banales. Si certains qualifient ces pratiques de corruption, d'autres l'assimilent à du racket, parce que même si on est en règle, on est obligé de s'acquitter de cette «dîme» sous peine de rester bloqué au niveau de la frontière pour une raison ou une autre. Nous payons l'équivalent de 3000 DA pour pouvoir quitter le poste. La ville n'est qu'un immense quartier, qui ressemble beaucoup plus à un bidonville qu'à une cité, où l'électricité, l'eau et les conditions d'hygiène relèvent du luxe. C'est le lieu de passage et d'échange privilégié des contrebandiers et des trafiquants en tout genre. La chaleur et la poussière rendent l'air irrespirable. Nous poursuivons notre traversée à travers la piste. Le danger nous guette de toutes parts. Parfois, l'échange de regards entre le chauffeur et le guide, suivi de manœuvres pour se cacher derrière une dune ou la contourner nous donne des sueurs froides. A la vue de deux véhicules 4×4 «Stéchen», notre voiture rebrousse chemin et s'arrête pour mieux identifier la procession. Un soupir de soulagement est exprimé par le chauffeur. D'autres véhicules apparaissent au loin. Nous nous rapprochons d'eux. Ce sont des Touareg algériens qui viennent d'Agadez. «Aujourd'hui, la traversée a été facile. Nous n'avons rien remarqué», nous disent-ils. Propos qui nous rassurent sans pour autant diminuer de la vigilance du guide et du chauffeur. Nous ne sommes pas loin de Tamesna, région frontalière avec le Mali. Elle reste la plus fréquentée par les brigands, les trafiquants et les terroristes. Quelques nomades ont dressé des tentes alors que des enfants jouent tranquillement avec des pneus usagés. L'espace ressemble à In Abangharif, cette localité où les chameaux s'abreuvent, et d'où l'humanitaire français Germaneau a été enlevé au début de l'année (puis exécuté en juillet dernier). Le défunt était très estimé dans cette région très pauvre. Il a aidé à construire une école où des dizaines d'enfants apprennent à lire et à écrire, dans un pays où l'analphabétisme touche plus de 80% de la population, notamment celle du Nord. Quelques centaines de kilomètres plus loin, des troupeaux de vaches sauvages nous coupent la route. Des vaches aux longues cornes, des zébus, principal élevage des Peuhls, une communauté que l'on qualifie de «gitans» des Touareg, qui fait dans la transhumance à travers une quinzaine de pays de l'Afrique de l'Ouest, mais également au Tchad, en République Centrafricaine et au Soudan. Les nombreux puits financés par la Libye ont fini par sédentariser une bonne partie de cette population et son bétail sur les territoires du nord, où l'eau se raréfie d'une manière inquiétante en raison de l'industrie minière. D'ailleurs, à quelques dizaines de kilomètres, notre guide est surpris de voir une nouvelle usine d'Aréva sortir du néant, dans la région de Tizeli Fanfou. Elle est entourée par une immense muraille et longée par de nombreux poteaux électriques. Nous venons d'achever les 500 km qui nous séparent d'Assamaka, en passant par Ingal. Nous arrivons à Agadez. A l'entrée de la ville, des gendarmes gardent la barrière qui coupe la route fermée. Une vérification sommaire du véhicule puis des papiers. L'officier nous fait comprendre qu'il faut payer. Nous lui laissons l'équivalent de 2000 DA. La barrière est hissée. A quelques dizaines de mètres, un immense panneau publicitaire apparaît. «La corruption est un mal qu'il faut refuser et dénoncer» est-il écrit. Agadez ou Aghdes, la ville poussière, carrefour de routes et de civilisations, n'est autre qu'un immense quartier aux maisons éparses de couleur ocre et aux ruelles que se partagent voitures, hommes et bétail. Le plus gros des étals vient de l'Algérie, plus précisément de Tamanrasset, avec laquelle une relation ancestrale est entretenue. Durant des siècles, Agadez servait de lieu de rencontre des caravanes commerciales en provenance des villes du Nord par le Hoggar ou le Fezzan en Libye. Le seul aéroport qui existe ne reçoit que deux fois par semaine un vol d'Air Algérie et un vol de fret de la Libye. La ville est triplement isolée. D'abord de Niamey, la capitale, distante de 1200 km, qu'il faut rejoindre sous escorte militaire, et d'Arlit, située à plus de 200 km, qu'on ne peut également rallier qu'escorté de militaires, puis de l'extérieur. Les habitants se retrouvent comme piégés dans une ville où se mêlent tous les fléaux liés à la pauvreté comme l'analphabétisme, les maladies, l'injustice et l'exclusion qui ont été à l'origine des deux rebellions des années 90, puis 2006. Les rêves brisés de tout un pan d'une jeunesse désabusée par des promesses non tenues font d'Agadez, aujourd'hui, une poudrière prête à exploser à n'importe quel moment. Une poudrière prête à exploser Le porte-parole de la Coordination des anciens résistants, Boutali Tchiwerin, exprime son inquiétude face à la situation qu'il qualifie de désastreuse. Il nous accompagne pour nous faire constater de visu les conditions de vie inhumaines dans lesquelles se débattent ses anciens compagnons d'armes. Il est à chaque fois interpellé d'une manière virulente et brutale. «Vous nous avez obligés à quitter la rébellion et maintenant nous sommes livrés au chômage. C'est pire qu'avant la guerre», lui lance un ex-rebelle. Père d'une famille nombreuse, celui-ci n'arrive plus à assumer ses obligations vis-à-vis de ses enfants. Abondant dans le même sens, un autre lance ironiquement «Je viens d'arracher le diplôme de chômeur. Je vais même être décoré de la médaille du meilleur chômeur». En fait, depuis octobre 2009, des milliers d'ex-rebelles n'ont pas été réintégrés, comme l'a promis le gouvernement lors des accords sous l'égide de la Libye. Les activités du tourisme qui faisaient vivre beaucoup d'entre eux sont mortes. «J'avais la possibilité d'accompagner les touristes là où ils ont peur d'aller. Mais depuis le dernier rapt, aucun étranger n'est venu. C'est une malédiction», déclare Ahmed, lui aussi un ancien cadre de la rébellion. Cette année, aucun touriste n'est venu à Agadez, qui a pourtant une vocation touristique. Les hôtels risquent de mettre la clé sous le paillasson et bon nombre d'entre eux ont déjà libéré leur personnel. C'est le cas de l'établissement «Etoile du Ténéré», un bijou architectural, qui affichait complet à chaque saison, mais qui cherche désespérément des clients depuis des mois. Boutali craint beaucoup pour la région. Selon lui, «il y a trop de rancœur et de misère, les principaux ingrédients du pire. De nombreux jeunes risquent de basculer dans les rangs d'Al Qaîda ou des brigands faute de travail. D'ailleurs, certains y sont déjà. Le calme que nous vivons est vraiment précaire…». Il est vrai que l'Islam pratiqué dans ces contrées n'a rien voir avec celui des salafistes. Des sujets tabous, comme l'utilisation des préservatifs pour se prémunir du sida, font l'objet de grandes affiches publicitaires dans les espaces publics, alors que les bars et les mosquées se côtoient sans soucis. Néanmoins, la politique d'entrisme des wahhabites, à travers le financement d'écoles coraniques du type de celles des talibans, sous couvert de l'alphabétisation, a fini par ouvrir des brèches dans la société nigérienne du nord. D'ailleurs, dans les rues d'Agadez, le long et large voile islamique est en train de remplacer progressivement les tenues traditionnelles comme le boubou ou le chèche. La misère criante, l'ignorance et l'analphabétisme constituent le terreau du recrutement au sein d'Al Qaîda, mais également dans les rangs des narcotrafiquants. Les rues et les marchés d'Agadez sont envahis par des enfants en bas âge qui mendient durant toute la journée dans l'espoir de glaner quelques sous, alors que les femmes font des kilomètres et des kilomètres pour vendre quelques broutilles, du thé, ou du pain, aux passants souvent pressés au point d'ignorer leur existence. Les quelques jours passés dans cette ville nous permettent de constater que le flanc sud de l'Algérie est au bord de l'explosion. Exploitées depuis des décennies par Aréva, le géant français de l'uranium, les richesses de cette ville ne profitent pas à sa population en dépit du fait qu'elles propulsent le Niger au rang de deuxième producteur d'uranium dans le monde. Force est de constater que les mines d'Arlit illuminent la vie des Français, tout en assombrissant l'avenir des Nigériens.