A Arlit, la petite bourgade poussiéreuse qui propulse le Niger au rang de deuxième producteur mondial d'uranium règne un climat de psychose et d'insécurité. Vivant entre les montagnes de déchets d'uranium, ses 70 000 habitants sont depuis des années confrontés aux affres du sous-développement, de la ségrégation raciale, de l'injustice, de la misère, et plus récemment, du banditisme et du terrorisme. Une poudrière aux portes de Tamanrasset… Arlit (Niger). De notre envoyée spéciale Située à plus de 1200 km au nord de Niamey, la capitale nigérienne, Arlit, se trouve à 260 km au nord d'Agadez, le département dont elle dépend. Et c'est de cette ville que nous la rejoignons par route. Une route fermée à la circulation et qui reste tout aussi dangereuse que durant la rébellion (entre 2007-2009). Des bandes armées s'attaquent aux passagers pour les détrousser de tout ce qui est vendable avant de leur prendre les véhicules. Pour la traverser, il est obligatoire de se faire escorter par les convois militaires puissamment armés qui font les allers-retours quotidiennement, sauf le mardi qui est jour de repos. Le service est payant pour les bus (l'équivalent de 3000 DA) et les camions (1500 DA). Avec notre guide, un ancien combattant de la rébellion qui connaît parfaitement le secteur, nous attendons l'escorte à la sortie de la ville pour éviter les postes de contrôle contraignants. Il est déjà 8h30. Le premier convoi de camions et de bus est déjà parti. Nous attendons celui des véhicules légers. En contrebas de la chaussée, des femmes et des enfants proposent plein de produits alimentaires aux couleurs repoussantes. Cela va de l'eau dans des sachets, jusqu'au thé, en passant par de la viande cuite sur la braise ou le pain. «Ces gens font plus de 13 km à pied pour gagner un peu d'argent. Il n' y a rien ici…», lance notre guide. L'attente sous un soleil de plomb est très longue. La tenue targuie m'est imposée «pour passer inaperçue et éviter d'être livrée à Al Qaîda», explique notre accompagnateur. Des camions chargés de cheptels et de passagers devancent la file d'attente de plus d'une vingtaine de voitures, parmi lesquelles certaines sont marquées du logo du corps diplomatique et d'autres de l'insigne d'Areva et d'ONG. Une demi-heure plus tard, le premier véhicule vert, surmonté d'une arme lourde à trépied, transportant cinq militaires avec des bérets rouges, arrive. Il se met au bout de la file. Les camions continuent à arriver et forment une longue procession. L'officier en treillis panaché donne le signal pour partir. Le convoi d'un kilomètre est encadré par trois véhicules de l'armée. Nous traversons la première localité d'Achou Nicha, où se trouve la centrale à charbon de Areva, visible à travers les poteaux électriques et les nuages de fumée qui s'élèvent au ciel. «Il n'y a ni eau ni énergie. Les quelques nomades qui y vivent sont dans le dénuement le plus total, alors que l'électricité passe à côté», raconte notre guide. La même désolation est visible au village Inkaf que nous dépassons. La route est un véritable circuit de ski où il faut slalomer pour éviter les grandes crevasses sur des dizaines de kilomètres. Imourane, l'une des plus grandes régions minières, est reconnaissable à travers les poteaux électriques et téléphoniques qui longent ses accès et ses sorties, sans pour autant alimenter les maisons se trouvant à proximité. Le convoi s'arrête à Amou Makra. Nous atteignons Arlit à 13h25. De nombreuses montagnes aux couleurs noire et chocolat apparaissent à l'horizon. Il ne s'agit pas de montagnes naturelles, mais de déchets d'uranium qui se sont accumulés depuis plus de 40 ans au point de donner à cette bourgade du désert l'aspect d'une ville montagneuse. La poussière irrite les yeux et les narines. Elle rend l'atmosphère très lourde. Les larges rues de sable sont traversées d'une manière anarchique par des hommes, des femmes souvent voilées et des voitures. De nombreux enfants et des chèvres courent sur les talus de déchets qui envahissent les allées. Une longue chaîne de jeunes en tenue traditionnelle attend devant un étal où l'on vend ces morceaux de foie et de viande épicés à la poussière des voitures et au sable, cuits sur une pierre à béton, au bord du trottoir, avant d'être enveloppés dans du papier journal. Des camions surchargés et des dromadaires pénètrent également dans la ville à la veille de la fête du sacrifice. Les produits vendus ici proviennent en majorité de Tamanrasset, la ville la plus proche. A quelques centaines de mètres du centre, des quartiers encore plus pauvres, les boukokis, abritent des milliers d'anciens nomades, rescapés de la grande sécheresse de 1984, qui a disséminé leur cheptel. Leur vie est un enfer perpétuel. Les plus chanceux survivent grâce aux revenus de la contrebande de pâte et de carburant venus de Tamanrasset ou du trafic des sans-papiers à destination de l'Algérie. Terroristes et bandits de route contrôlent les accès et les sorties de la ville L'accès au centre est contrôlé par un poste de police où sont contrôlées les pièces d'identité. Les notres sont confisquées. Il faut attendre la fin de la prière du vendredi pour pouvoir les récupérer. Au commissariat, l'officier nous pose une série de questions pour s'assurer de l'objet de notre visite. «Vous connaissez la situation. Vous exposez votre vie en vous aventurant ici», nous dit-il. Une fois les papiers récupérés, nous partons à la recherche d'un hôtel. Nous faisons le tour de la ville, mais rien. Tous n'ont pas d'hôtel et même le bétail ne peut pas y passer la nuit sans attraper de maladies. Notre guide nous propose de dormir à la belle étoile à la terrasse de la maison d'un de ses amis. Durant la première nuit, la ville vit une vraie psychose. Une rumeur sur une expédition nocturne d'Al Qaîda s'est répandue comme une traînée de poudre, suscitant une vive inquiétude chez la population. «Ne sortez pas la nuit et enfermez-vous bien. Des gens nous ont dit avoir vu des véhicules Stéchen (Station), venir en direction de la ville. Ils vont certainement prendre des otages», lance, terrorisé, un jeune Targui. Sa crainte est légitime. Un membre de sa famille a été parmi les personnes prises en otages lors de l'enlèvement des cadres d'Areva, le 15 septembre dernier à la sortie de la ville. Il avait été relâché à une trentaine de kilomètres de la ville en plein désert, après avoir subi le pire. «Tout le monde savait qu'il y avait des étrangers, des Arabes, qui rodaient en ville. Ils sont rentrés dans la base de vie sans aucun problème, alors qu'elle était gardée par des militaires. Ils ont mis des sacs sur la tête des captifs, les ont embarqués à bord des 4x4 dans lesquels ils sont venus, puis ils sont partis sans aucune résistance de la part des vigiles sans armes, ou des militaires. Ils avaient des listes de noms et des adresses. Ils ont même pris d'autres gens qui résidaient plus loin que la base. Il est certain qu'ils ont été aidés pour mener à bien leur action. Ils se sont regroupés pour prendre les otages dans au moins une dizaine de 4x4, puis ils se sont dispersés pour prendre la fuite et aller en direction de la zone frontalière entre le Niger, l'Algérie et le Mali, où d'autres les attendaient», raconte notre interlocuteur d'une voix basse, de peur que son témoignage ne soit entendu par des personnes malintentionnées. D'autres témoignages font état de l'incursion sporadique de ceux qu'ils appellent les salafistes. Abou Zeid est plus célèbre dans cette contrée que le président nigérien. Sa bande est composée de plusieurs nationalités. Des Nigériens, Maliens, Algériens, Libyens, Burkinabés, et même des Nigérians appartenant au groupe extrémiste, dit «beaucoup haram». Tous sont reconnaissables à leur accoutrement d'Afghans, mais aussi à la richesse qu'ils exhibent volontairement à travers les 4x4 puissants, mais également à leur grande «générosité», une générosité qui leur permet d'acheter le silence, et surtout de faire leur propagande. Les bandits de route trouvent leur compte avec eux. Ils se transforment souvent en «agents de renseignements» pour ne pas dire en mercenaires. A Arlit, tout est confus. On ne sait plus qui est qui. L'insécurité est totale. D'un côté, des bandes armées composées de coupeurs de route qui pillent, volent, agressent et violent les femmes qui osent faire la route, et d'un autre, les terroristes qui font la chasse aux étrangers, dans l'objectif de les échanger contre des rançons. Les deux sèment la terreur et mettent la population dans une situation de vulnérabilité extrême en profitant de l'inertie de l'armée. D'ailleurs, bon nombre de nos interlocuteurs affirment que celle-ci ne fait rien pour faire basculer la peur. «L'escorte militaire quotidienne des convois de camions et de bus rapporte des sommes colossales. Maintenir un climat d'insécurité permet de garantir cette manne mais aussi celle qui provient de la corruption, puisque les personnes, et elles sont nombreuses, qui tentent de faire la route sans escorte sont contraintes de payer chèrement, dans le cas où elles sont interceptées par les patrouilles», explique Ahmed, qui a été dans les rangs de la dernière rébellion. Il estime que les militaires peuvent facilement mettre un terme aux bandes armées mais ils laissent faire. Les bandes armées ont déjà tué un hydrogéologue, alors qu'il était escorté d'un militaire, blessé lors de l'attaque. Les assaillants ont délesté les victimes de leurs véhicules et argent à quelques kilomètres des bases d'Areva. Les vols, les rançonnement de passagers, souvent à l'intérieur même des cités minières se sont multipliés alors que les vols de véhicules ont lieu, y compris sur les chantiers. L'armée a de tout temps refusé le recours aux sociétés de gardiennage privées et estime que les 350 hommes en armes mis en place sont à même de faire instaurer la sécurité pour peu qu'Areva l'aide financièrement et matériellement. Ce qui pousse certains à voir derrière la dégradation de la situation sécuritaire la volonté de l'armée nigérienne de profiter de la manne financière. Mais d'autres accusent plutôt la France de jouer la carte du pourrissement pour faire venir ses soldats sur place et de «maintenir le Niger dans une éternelle position de faiblesse pour mieux contrôler ses richesses». Entre les explications des uns et des autres, la situation ne fait que s'aggraver, isolant chaque jour davantage la ville. Le commerce a sensiblement diminué. Une grande partie des produits importés légalement ou dans le cadre de la contrebande de Tamanrasset n'alimente plus les étals. A la veille de la fête de l'Aïd, le marché des moutons n'a pas été fructueux. Les maquignons ont eu du mal à acheminer leur cheptel vers le Nord. Les attaques des bandes armées qui épient les sorties et les entées d'Arlit avec des jumelles à la recherche de cibles faciles se sont multipliées. Ahmed, nous l'appellerons ainsi pour lui éviter des représailles, nous parle longuement de la misère dont souffre sa communauté, mais également de la ségrégation imposée par les dirigeants du géant minier français Areva, qui détient la principale et unique activité industrielle.Une ségrégation dans le recrutement qui, désormais, passe par des agences sous-traitantes qualifiées de «négrières» au regard des rémunérations humiliantes qu'elles offrent aux rares recrues et sans prise en charge sociale. La haine de la France est exprimée à chaque coin de rue. D'abord, pour avoir reconduit le système de collège qu'elle a utilisé sous l'ère de la colonisation. La ségrégation et la misère ont attisé la haine de la France «Il y a une grande différence entre les cadres expatriés et ceux du Niger. Ni leurs maisons ni leurs salaires ne sont les mêmes. Il y a trois catégories de bases de vie. Celles des expatriés, qui sont les plus chics avec des jardins et des piscines. Celles des cadres nigériens, des espaces très réduits sans verdure, et à peine dotées d'électricité, d'eau et de gaz. Les autres résidences sont repoussantes et ne disposent ni d'énergie ni d'eau, et encore moins de réseaux d'assainissement. Ce sont comme des ghettos, de vraies plaies pour Arlit. Cette discrimination n'a fait que susciter le sentiment de haine envers les expatriés. Et il n'est pas étonnant que des jeunes puissent en contrepartie d'argent aider les terroristes à faire la chasse aux étrangers», déclare un enseignant, dont le père, un ancien mineur, est décédé il y a quelques années à la suite d'un cancer. L'héritage légué par Areva est tellement lourd qu'il a fini par accentuer le sentiment de rejet à son égard, mais également à l'égard du pouvoir central, accusé de laxisme. Les fausses couches, les cas de céphalées, de conjonctivites, d'allergies respiratoires, de maladies dermatologiques, de malformations congénitales constituent le lot quotidien des prises en charge sanitaires au niveau des deux hôpitaux de la ville. Le temps paraît très lent à Arlit tant la peur est perceptible sur tous les visages. Notre présence est mal vue aussi bien par ceux qui ont accepté de nous parler, par crainte pour notre vie, que pour les autorités sécuritaires qui voient d'un mauvais œil nos allées et venues. Poursuivre la collecte de témoignages devient de plus en plus dangereux. Toute la ville est au courant de notre passage. Nous décidons de quitter les lieux à destination de Tamanrasset. Les militaires nous refusent l'accès. «C'est très dangereux. Vous attendrez le convoi de l'armée après l'Aïd», nous lance l'officier. La route, ou plutôt la piste, reliant Arlit à Assamaka, la ville frontalière avec Aïn Guezzam, est souvent prise d'assaut par des bandes armées ou des terroristes. Pour nous, il est plus dangereux de rester à Arlit que de se risquer sur les 230 km qui séparent celle-ci de Assamaka. Notre salut est le chauffeur du consul du Niger à Tamanrasset. Il doit rentrer, lui aussi, avant l'Aïd, à bord du véhicule officiel du consulat. «L'armée est en embuscade dans cette région. Il y a des opérations de ratissage. Ce qui veut dire que le risque d'attaque est très réduit», nous dit-il. Sans aucune hésitation, nous décidons de le suivre. Des militaires nous arrêtent à un poste de contrôle. «Vous êtes fou de partir sans escorte maintenant et avec une étrangère à bord ?», dit-il à mon accompagnateur. «Elle est algérienne et nous suivons le véhicule du consulat du Niger à Tamanrasset», répond le guide. L'officier lance une phrase lourde de sens : «Si vous êtes algérienne, vous allez vous entendre avec votre famille alors...». En parlant de famille, le militaire faisait référence aux terroristes bien sûr. La réponse ne s'est pas fait attendre. «Ce sont certes des membres de nos familles, mais nous les avons chassés de la maison et vous vous leur avez offert le gîte.» Il nous fait signe de partir. Nous dépassons la base d'Areva, celle attaquée il y a deux mois par les terroristes. Un dispositif de sécurité impressionnant l'entoure. Personne ne s'y approche. Durant tout le trajet, nous n'avons cessé de transpirer. La vue de «Stéchen» nous paralyse, et oblige le chauffeur à faire des détours pour trouver refuge derrière les dunes, le temps que les véhicules suspects disparaissent dans la nature. Le scénario se répète à trois reprises. Le 4x4 du consulat est déjà loin. Durant les quatre heures de piste, nous restons aux aguets et très nerveux. Le danger nous guette à chaque nuage qui s'élève de loin. Nous croisons quelques nomades qui nous parlent des attaques de la veille, sans pour autant évoquer la situation du jour. 11h30, nous arrivons à Assamaka. Tamanrasset apparaît à l'horizon. Les formalités de passage des frontières sont faites après avoir glissé quelques billets, histoire d'activer la procédure. En face, des dizaines de véhicules venus de Tamanrasset attendent d'être revendus. Des 4x4 transportant du carburant viennent d'arriver. La contrebande d'essence n'a jamais été aussi lucrative que ces dernières années. Ici, avec de l'argent, vous pouvez tout acheter, le silence, les papiers, les hommes et les responsables. Tout comme à Arlit. Une vraie poudrière juste aux portes de Tamanrasset.