La ville de Tamanrasset est, depuis trois jours, en état de siège. Des avions militaires parqués à l'aéroport, des 4x4 blindés circulant à vive allure en file indienne, suivis d'une longue procession de véhicules d'escorte et de nombreux barrages routiers filtrant les accès de la ville, devenue une véritable forteresse. Des mesures inhabituelles prises pour sécuriser la tenue, mercredi et jeudi derniers, de la réunion des chefs des armées du Mali, du Niger et de la Mauritanie avec Gaïd Salah, général de corps d'armée, chef d'état-major de l'ANP, qui s'est déroulée au siège de la 6e Région militaire. Tamanrasset. De notre envoyée spéciale Fermée hermétiquement à la presse, cette rencontre, à laquelle la Libye n'a pas pris part, avait pour ordre du jour « de faire le point sur la situation sécuritaire dans les différents pays participants et de se préparer à une offensive commune pour lutter contre la criminalité transfrontalière en général et le terrorisme en particulier », nous dit-on sur place, sans aller dans le détail. Chacune des délégations est composée d'au moins une dizaine d'officiers de haut rang, issus des différents services des armées de terre et de l'air et dirigée par le chef suprême de l'institution militaire. C'est la première fois qu'une telle rencontre réunit de si hauts gradés de quatre pays de la bande sahélo-saharienne, confrontée à une activité inquiétante des bandes du GSPC affiliées à Al Qaïda, mais également à une dangereuse prolifération des trafics en tout genre, notamment celui des armes, de la drogue et la traite des migrants illégaux. Pour l'Algérie, il est question de « prêter main-forte aux pays voisins du sud disposés à empêcher toute activité criminelle sur leur territoire. L'aide commence par la coopération dans le domaine du renseignement et de l'information, puis matérielle et technique », indique notre source, sous le couvert de l'anonymat. Pour elle, la réunion de Tamanrasset revêt un caractère très important dans la mesure où elle a permis aux pays participants d'évaluer la menace, mais aussi les moyens nécessaires pour la combattre et faire en sorte qu'elle soit totalement écartée. « L'idée d'une opération combinée commune au niveau de la bande frontalière est partagée par tous, pour peu que les moyens soient mis à la disposition de tous les pays. Les débats ont abouti à la préparation d'une offensive qui ne soit limitée ni dans le temps ni dans l'espace », précise notre interlocuteur. Pour ce dernier, il y a une prise de conscience telle qu'aucun pays ne peut aujourd'hui se croire épargné, même ceux qui ont toujours été utilisés comme zone de repli, comme cela a été le cas pour le Mali, par exemple, où les terroristes du GSPC ont non seulement exécuté un otage britannique qu'ils avaient détenu pendant des mois, mais aussi tendu une embuscade à une patrouille de militaires, tuant 26 d'entre eux. Durant cette opération, faut-il rappeler, le GSPC avait reconnu avoir enlevé des militaires maliens, dont la libération est actuellement en négociation. Quelques-uns auraient été libérés cette semaine, mais aucune information n'a filtré sur la contrepartie de ce geste ni d'ailleurs sur les conditions de leur remise aux autorités. Ces tractations pourraient d'ailleurs retarder toute opération sur le terrain du côté malien, où se concentre le plus grand nombre de terroristes faisant partie du groupe de Abou Zeïd et de celui de son frère ennemi, Mokhtar Belmokhtar. Des tractations pour libérer les otages maliens A ce titre, il est important de noter que les autorités maliennes, pendant longtemps réticentes à toute offensive contre Al Qaïda, sont aujourd'hui au pied du mur, obligées d'adopter une position de fermeté et d'intransigeance à l'égard de ceux qu'elles ont de tout temps ménagés pour une raison ou une autre. « Parce que nous avons perdu des hommes, personne ne peut nous taxer de collaboration avec ces terroristes (…). Nous avons la volonté de combattre », ont déclaré cette semaine les responsables maliens. Une volonté que leurs homologues algériens veulent voir concrétisée sur le terrain, en évitant que le nord du Mali serve de refuge aux hordes de Belmokhtar et d'Abou Zeïd, qui alimentent les maquis du nord de l'Algérie en armement et en logistique. Une logistique financée par les revenus des opérations d'enlèvement d'Occidentaux dans les pays du Sahel, dont la libération se fait toujours en contrepartie de rançons après négociation par l'intermédiaire d'officiels et de notables maliens. Force est de croire que la réunion de Tamanrasset pourrait aboutir à assainir les relations très tendues entre l'Algérie et le Mali pour passer à une nouvelle étape : celle de la lutte contre l'ennemi commun, à savoir les groupes terroristes et la criminalité transfrontalière. « C'est le premier pas vers la compréhension et la prise de conscience. Il faut maintenant aller de l'avant et faire en sorte que la sécurité de nos frontières soit la préoccupation des pays de la région et non des puissances extrarégionales », explique une source sécuritaire locale. Selon elle, la réunion des chefs des armées des quatre pays à Tamanrasset a été un succès, même si l'absence de la Libye « a quelque peu laissé un vide ». La même source précise que l'armée libyenne a de l'expérience dans le domaine et reste très influente dans la région. « Sa participation à de telles opérations est nécessaire. La lutte contre le terrorisme est une affaire qui implique tous les Etats et pas seulement ceux qui subissent la menace », conclut notre source. En début de soirée d'hier, une bonne partie des délégations étrangères était déjà sur le chemin du retour, en attendant la prochaine réunion du même niveau dont le principe a été retenu, sans pour autant fixer de date ni de lieu de sa tenue.