Farouche résistante qu'elle a été durant la lutte de libération, à 75 ans, elle refuse de se laisser traîner dans «la boue» d'une histoire qu'on continue encore à falsifier. Digne et courageuse, Mme Ighilahriz a sommé Yacef Saâdi de revenir sur son «égarement ou de se démettre de son statut de sénateur qui l'abrite sous le manteau de l'immunité parlementaire pour affronter une action en justice». Hier lors d'une conférence de presse qu'elle a animée à la Maison de la presse, à Alger, très en colère, elle a lancé : «S'il ne démissionne pas, c'est un lâche. Yacef, sois un homme, ne te cache pas, sors et viens vers moi.» La contre-offensive de la moudjahida Ighilahriz intervient suite aux déclarations faites par Yacef Saâdi. Le sénateur, désigné par Bouteflika, a récemment déclaré n'avoir pas connu Louisette Ighilahriz pendant la guerre de Libération et qu'elle «cherche seulement à se faire connaître et à faire de la Révolution un fonds de commerce». Plus pathétique, il a poussé l'outrecuidance de dire : «Qu'elle montre des traces de balle sur son corps», provoquant la fureur légitime de Louisette Ighilahriz qui a courageusement résisté à la torture et aux sévices de l'armée coloniale. «Concernant sa dernière sortie au sujet de mes blessures, en dépit des affirmations de la presse coloniale de l'époque, je n'irai pas jusqu'à l'indécence de me déshabiller devant l'assistance pour le confondre», a-t-elle lâché non sans susciter l'émotion de nombreuses résistantes venues exprimer le soutien à leur camarade de lutte. Très sûre d'elle et de son combat pour l'indépendance de l'Algérie, Mme Ighilahriz a bravement riposté : «Plus d'un demi-siècle après l'indépendance, Yacef Saâdi, à travers des propos insultants, ignominieux et diffamatoires, me dénie la qualité de moudjahida. En a-t-il le droit, tout en prétendant ne pas me connaître ?» Rappelant son parcours tumultueux fait de souffrance, de privations, d'enfermement et de déportation, la résistante s'est interrogée sur les raisons qui ont amené le sénateur à lui «enlever» la qualité de moudjahida. «Qu'est-ce qui a poussé Yacef Saâdi à tenir de tels propos à plus de 50 ans de distance ? Est-ce une réaction à la réalisation du documentaire (El Fidaïyate) qu'il considère comme un empiètement sur son monopole en narration historique autour de la guerre de Libération dans la Zone autonome d'Alger ?» s'est-elle demandé. Et, plus crûment encore : «N'y a-t-il pas des opacités entretenues, des failles et des zones d'ombre dans le parcours de certaines personnes qui ont été saisies de panique suite à mes nombreux procès contre certains généraux français ?» De quoi donner le vertige aux détracteurs d'aujourd'hui de cette courageuse femme qui a défié les redoutables chefs tortionnaires qu'étaient Massu et Aussaresses et leur soldatesque de la 10e division de paras. «Jeune, j'ai lutté. Aujourd'hui grand-mère, mon engagement n'a pas changé. A son tour, Yacef Saâdi doit aller jusqu'au bout de ses allégations et assurer sa condition d'homme public responsable. Il est trop aisé de lancer à tort et à travers des déclarations fantaisistes quand on a la quasi-certitude de ne pas être poursuivi pour diffamation», a défié la «porteuse de feu». Tel un volcan en éruption, Louisette Ighilahriz ne s'arrête pas là. Evoquant son parcours de combattante, elle fait un témoignage qui pourrait accabler Yacef Saâdi : «Lorsque j'ai été arrêtée, le 28 septembre 1957, au cours d'un accrochage à Chebli, dans la Wilaya IV, et après avoir été torturée pendant deux mois et demi, j'ai été incarcérée à Barberousse. Et là, alors que je refusais de parler, l'officier Grazziani m'a dit : pourquoi tu t'obstines à te taire ? Les autres ont tout dit, en me montrant les photos de Yacef Saâdi et de Zohra Drif.» Plus menaçante, la moudjahida a révélé avoir des documents très compromettants qu'elle compte remettre à la justice lors d'un procès qu'elle envisage d'intenter contre Yacef Saâdi. Il faut dire que l'attaque dont fait objet Mme Ighilahriz a suscité l'indignation de nombreux militants de la Révolution, dont Fatouma Ouzeguène, qui a accusé Saâdi d'avoir été «retourné par le CDECE (services de documentation extérieure et de contre-espionnage français)». De son côté Arezki Basta, figure nationaliste dans l'Algérois, n'a pas caché sa colère. «Il est dommage que quelqu'un comme Saâdi s'attaque à une femme pareille. Je l'appelle à demander pardon à Louisette», a-t-il exhorté, en soulignant que «toute la famille Ighilahriz s'est engagée dans la lutte pour l'indépendance de l'Algérie». De 1957 à 1962, Louisette Ighilahriz, son père, sa mère, ses sœurs Malika et Fatima, son frère Ferhat, ses trois oncles maternels étaient incarcérés dans différentes prisons françaises. C'est une saga que Louisette et ses sœurs de sang et de combat entendent défendre avec la même ardeur révolutionnaire que durant les années de guerre.