La planète finance revient au business as usual, faramineux bonus aux traders et profits en hausses, alors que les politiciens de tous bords ne savent plus que faire, répétant lamentablement les mêmes litanies de «reprises», de «relances»… prêtant l'oreille aux habituelles officines économiques totalement dépassées depuis la crise de 2008. Quel que soit le continent (France en préparatifs électoraux et Canada en pleine campagne) on voit «droites» et «gauches» adopter des positions «centristes», les unes pour paraître plus «sociales», les autres pour donner des gages de «pragmatisme économique». Hélas, les dernières années montrent que rien ne fonctionne : les crises métastasent (Grèce, Espagne, Portugal…menace de décote des USA…) aucune «politique» ne semble en mesure de sortir notre monde du marasme installé depuis 2008. C'est tout simplement que l'économique néolibéral a atteint ses ultimes limites. Quatre raisons sont à l'origine de cette situation. La première est que tout l'édifice économique néoclassique devenu néolibéral, adopté depuis le milieu du XIXe siècle, est basé sur la prémisse insoutenable qu'il peut y avoir croissance infinie. Nul n'est besoin de savantes démonstrations pour comprendre que dans le monde fini qu'est le nôtre, il ne saurait exister quoi que ce soit d'infini. Nul ne peut réaliser d'infinis profits sur l'exploitation de forêts infinies, ni de bancs de morues infinis. Notre planète ne donne rien de maximum ni d'infini. L'idée de «croissance permanente» ne se peut que si l'on accepte celle de destruction permanente : les «profits» impliquent désormais, globalement, moins de qualité de vie, d'emplois, de santé de la nature… et plus de spéculations financières donnant les résultats que l'on sait depuis 2008. La seconde cause réside dans le fait que la biologie nous enseigne que la nature «fonctionne» selon la loi incontournable des équilibres stationnaires et des boucles de rétroactions négatives. Ainsi, si nous prenons un bosquet avec loups et lièvres, cette loi implique que les populations de ces deux espèces évoluent entre deux seuils : celui où les loups dépassent la capacité de reproduction des lièvres et celui où les lièvres permettent aux loups de se nourrir et se reproduire. Rien d'infini, rien de maximum. Il ne viendra à l'idée d'aucun loup de «lancer une entreprise» pour capturer le maximum de lièvres, sous hypothèse que leur croissance est constante ! Le premier loup venu comprendrait que ce serait là, à terme bref, la fin des loups eux-mêmes. La troisième cause touche aux lois de l'énergie. En effet, la thermodynamique montre (principe d'entropie) que nous ne faisons que dégrader l'énergie qui est, en termes utilisables, constante à l'échelle de l'univers. Nul ne saurait «fabriquer» du pétrole, du gaz naturel ou de la houille ! Nous ne pouvons que les utiliser. Toute autre forme d'énergie devient «liée» (non utilisable directement comme les énergies fossiles) nécessitant une autre énergie avant d'être utile : panneaux pour l'énergie solaire, centrales nucléaires pour celle de l'atome… ce à quoi il faut ajouter l'énergie nécessaire pour contrôler les conséquences d'usage des énergies liées : déchets et accidents nucléaires, par exemple, avec leurs retombées inestimables sur la nature, l'air, l'eau, la santé… C'est la non-durabilité et la fuite en avant vers des sources d'énergie de plus en plus… énergivores et destructrices. Enfin la quatrième concerne la financiarisation de l'économie. La crise de 2008 a montré la différence entre économie réelle et économie virtuelle. On s'est mis à parler de «capitalisme financier» et ses «débordements». Il s'agit de l'inévitable transformation de pans entiers de l'économie réelle en économie de spéculation (croissance oblige). Les profits continus-maximaux ne sont pratiquement que bricolages financiers et produits dérivés, de bulles en bulles, jusqu'aux subprimes en 2008. «Economie-casino» qui ne peut durer sans «crises» plus dévastatrices. Les plans de sauvetage du système financier mondial n'ont été que réalimentation de l'insoutenable cercle vicieux : «Offre de crédit – emprunt-dette – consommation.» Pour y remédier trois propositions : D'abord au niveau mondial. Les multinationales (grandes employeuses) doivent payer des salaires décents dans le tiers monde. Comme l'a établi Keynes, «le meilleur salaire économique n'est pas le plus bas, mais celui qui fait vivre dignement le producteur». Ce salariat «large-global», sera la «demande effective» capable de soutenir les cycles de l'économie réelle, permettant épargne et consommation, contrairement à l'enrichissement infini des riches. Ensuite au niveau macro et à l'instar des pays régulièrement classés plus compétitifs (Europe du Nord, Japon…) inscrire les politiques économiques dans les constitutions, comme la «cogestion» en Allemagne. Ce qui assure stabilité industrielle, productivité et collaboration entre acteurs économiques, incluant syndicats et Etat. Enfin au niveau méso-micro. Que les profits soient «raisonnables» et n'impliquent ni pollution, ni chômage, ni pauvreté… ni évasions fiscales; pratiquer un intéressement systématique des employés (unique source de valeur ajoutée et de qualité) aux résultats de l'entreprise avec formation-qualification permanente. C'est dire combien les gauches et droites sont dépassées, parce que les prémisses économiques sur lesquelles elles continuent de s'appuyer le sont : il n'y a pas plus de lois de marché autorégulé que de croissance infinie, voilà un premier pas à franchir pour aller vers des politiques plus intelligentes. Omar Aktouf. Professeur titulaire HEC Montréal