A mes profondes racines, ma véritable appartenance, ma famille Le développement local, même considéré dans sa dimension économique, est d'abord affaire d'acteurs et surtout d'acteurs locaux. En effet, chaque lieu énonce par ce qu'il est, profère par milles signes, une physionomie et un esprit édifiés génération après génération par la collectivité des populations qui l'habitent. Populations locales, élus et fonctionnaires, cadres dirigeants et travailleurs, même lorsqu'ils ne sont que récemment arrivés ou qu'ils ne sont que de passage ou saisonniers, sont membres d'une communauté de vie et de culture dont tous partagent le patrimoine culturel naturel et humain. Un territoire est ainsi le produit de toute une histoire naturelle et humaine, et les conditions de son développement, en particulier les conflits qui l'agiteront, découleront de cette histoire. Tout territoire, s'il est déterminé sans respect pour ses composantes patrimoniales, ne pourra servir de base à un développement local équilibré et durable. De la notion de patrimoine Jusque dans les années quarante, la notion de patrimoine englobait uniquement l'ensemble des grands monuments. C'est après la Seconde Guerre mondiale que les secteurs sauvegardés ont été développés et que l'on s'est intéressé aux bâtiments plus modestes. Progressivement le souci du patrimoine rural s'est également imposé et a été incorporé dans cette définition plus large qui voit le patrimoine comme l'ensemble des biens matériels et immatériels à caractère naturel, culturel et architectural, que nous transmettons aux générations futures. C'est, dans cette notion plus large du patrimoine, au patrimoine rural en tant qu'outil pour le développement local et durable que les lignes qui suivent s'intéresseront. Du patrimoine rural Longtemps restreinte, pour le patrimoine rural, aux édifices associés à l'exploitation agricole, la notion de patrimoine a également évoluée et relève à présent de domaines aussi divers que l'histoire, les arts, la culture, les techniques, le savoir-faire, l'agriculture, les produits de terroir, la faune et la flore, ou encore l'architecture ou les paysages, naturels ou construits. Font donc partie de ce patrimoine les immeubles formant l'architecture rurale (villages, hameaux, habitats et édifices dispersés) ; les paysages façonnés au cours des âges par les gens vivant de la terre et de l'exploitation des ressources de la nature ; les produits du terroir adaptés aux conditions locales et aux besoins des hommes qui les ont élaborés ; les techniques – outils et savoir-faire – qui en ont permis la création et en demeurent indispensables pour l'entretien, la restauration, la modification et la modernisation dans le respect de la logique ayant présidé à leur construction et de l'esthétique de l'ensemble immeubles-habitat-paysage. C'est dire que ces techniques s'étendent à des symbolisations et à des significations culturelles au sens plein du terme. De même, on ne saurait parler de patrimoine rural sans se référer à une double évidence : même si les hommes qui s'en servent, en vivent et ont souvent pris une part décisive à sa survie ont la conscience de plus en plus claire et affirmée qu'il leur appartient, l'espace rural, avec le patrimoine qu'il représente et contient, devrait néanmoins désormais être considéré à parts égales comme le bien et le lieu de tous les hommes, ceux des villes comme ceux des campagnes. De la sorte, un bien patrimonial quel qu'en soit le lieu est celui dans lequel les hommes se reconnaissent à titre individuel et collectif, et qu'ils considèrent à la fois significatif de leur passé et précieux pour leur avenir. Ainsi, chaque lieu ajoute la singularité qui lui est reconnue dans le système réglé par des coordonnées socio-spatiales. Son identité est à la fois interne – image façonnée par le site et le temps – et externe – donnée par le rapport à d'autres lieux : le paysage du passant n'est pas celui du résident permanent en cela que le vécu local passe par un ensemble original composé à la fois par les formes paysagères et la représentation très forte que s'en fait l'habitant. Il est en conséquence artificiel de séparer le bâti du paysage car il en fait partie, le structure, l'anime ; et le continuum édifice-village-site ne doit pas être brisé sous peine de le voir perdre sa cohérence en même temps que son authenticité. Enoncées succinctement, les considérations qui précèdent se résument à cette affirmation essentielle : le milieu rural ainsi que son patrimoine, qui a toujours été un "espace de vie", doit le rester. Cette notion est l'élément essentiel qui a guidé la réflexion et l'action de sauvegarde et de réhabilitation d'un ensemble bâti du patrimoine rural à l'abandon et sa transformation en outil de développement local et durable dont il sera fait état ci-après. Du patrimoine rural comme outil du développement local et durable : (exemple de réhabilitation d'une ancienne ferme agricole à l'abandon en structure pédagogique) L'exemple est celui de la ferme-pilote qui faisait partie de l'ensemble de l'Ecole régionale d'agriculture de la ville de Skikda, construite en 1900 et implantée dans la vallée du Zéramna, à 4 kilomètres de la ville. Aujourd'hui partie du patrimoine bâti de l'université du 20 Août 1955, cette ferme a fait l'objet d'une opération novatrice de réhabilitation et de reconversion de ses locaux. La réhabilitation de la ferme école et de ce qui restait de ses corps de bâtiments dans le respect du style architectural du site et son intégration au bâti d'une université du 20 Août 1955 en pleine expansion, a été l'initiative de la pensée de tout un groupe d'enseignants et de responsables administratifs de l'université auquel se sont joints certains élus locaux. Cette équipe a identifié en les structures agricoles un élément-clé en matière d'insertion et de développement du milieu rural. Aussi, la préservation et la mise en valeur de l'identité architecturale du patrimoine a-t-elle constitué la première priorité de l'action de l'université. Réhabiliter ce patrimoine ne pouvait pourtant constituer une fin en soi. Il convenait systématiquement de le faire (re)vivre et ainsi de le replacer dans une réalité d'usage présent et d'avenir. L'objet de la restauration de la ferme-pilote était donc de redonner vie au vieux bâti, symbole de ce qui est mis de côté par un monde dit moderne, mécanisé et rationalisé, car c'est en vivant, c'est-à-dire en ayant une utilisation – qu'il s'agisse d'habitat, d'activités économiques, sociales, culturelles ou touristiques –, que ce patrimoine pouvait voir sa pérennité assurée. L'objectif visé était, tout en conservant du mieux possible leurs éléments architecturaux essentiels, de rénover et de réaménager l'intérieur des corps de bâtiments initialement conçus pour une fonction autre, afin de les vouer à un nouveau rôle, ici pédagogique et scientifique. La relation historique et forte entre l'équipe de planification de l'université du 20 Août 1955 et ce patrimoine rural a résidé dans la volonté, dans ce projet, de lier la composante humaine – personnel de l'université, étudiants, mais aussi populations rurales – au processus d'aménagement du nouvel espace. Fait intéressant qui mérite d'être souligné, force a été de constater, lors des chantiers, le fort attachement des populations d'origine rurale y vivant encore, même en indus occupants, ou n'y vivant plus, à leur patrimoine. En effet les indus occupants bien que se rendant compte que le changement de fonction de la ferme agricole les conduirait fatalement à en être délogés, se sont néanmoins impliqués dans le processus de réhabilitation en apportant leur savoir-faire et leur culture mémorielle rurale. Cette participation s'est avérée d'autant plus cruciale que ce patrimoine portait en lui les traces d'une fabrication, d'un entretien et d'un usage, réservés souvent exclusivement aux habitants eux-mêmes et non aux spécialistes. En d'autres termes, l'expérience de développement et de réhabilitation qui s'est faite avec la participation effective, active et consciente de la communauté qui détient ce patrimoine, n'aurait peut-être pas pu se faire sans elle. Enfin, cet ensemble d'édifices qui se trouvaient hors jeu de l'insertion et de l'usage a rendu possible, par sa réhabilitation, des chantiers largement concurrentiels aux entreprises, et a représenté une occasion intéressante pour l'organisation de la formation, de l'insertion et d'une éducation à la citoyenneté de tous les concernés. Les corps de bâtiments de la ferme école étaient l'emplacement d'une cave viticole, de silos à grains, d'abris et d'un parc pour les animaux de la ferme (bergerie, étable, porcherie). A leur réception par l'université du 20 Août 1955, ces corps de bâtiments et leurs espaces attenants, laissés à l'abandon durant de nombreuses années, étaient dans un état de délabrement avancé. Démolir les énormes étuves de l'ancienne cave à vin et reprendre les anciennes bâtisses d'hébergement des animaux ainsi que les anciens silos à grains et les réaménager tout en restaurant dans son état premier l'aspect extérieur de chaque corps de bâtiment, tel était le défi. Les corps de bâtiments de l'ancienne ferme école font à présent place à un espace pédagogique de 1300 places qui s'ajoute aux réalisations modernes que connaît l'université du 20 Août 1955. Cet espace, par son aspect extérieur historique conservé, contribue à donner à l'université un cachet particulier. Ainsi, l'ancienne cave à vin est devenue un bel amphithéâtre de 210 places pédagogiques. Les anciennes bâtisses : étables, bergerie et porcherie, ont été transformées en six salles de cours spacieuses de 60 places chacune et en deux salles de lectures. Elles servent aux besoins pédagogiques des départements d'agronomie et de biologie. Les nouvelles salles de lecture d'une capacité d'accueil de 60 places, ainsi que les aménagements extérieurs en pergolas, permettent aux étudiants de travailler dans des conditions de confort et de calme. Les anciens silos à grains abritent quant à eux des laboratoires d'expérimentation et de recherche. Ces nouveaux laboratoires, au nombre de cinq, spécialisés en biochimie et en microbiologie, participent à l'organisation des travaux pratiques et de recherche. Enfin, autour de la structure réhabilitée, un espace de détente a été aménagé. L'ancien parc, que se disputaient végétation sauvage, détritus et rocaille, est devenu un vaste espace de détente où étudiantes et étudiants peuvent prendre quelques instants de quiétude dans un environnement agréable. C'est ainsi qu'à partir d'une dotation ministérielle d'environ six milliards de dinars attribuée après notification et autorisation du programme de réhabilitation, l'université du 20 Août 1955 a expérimenté une nouvelle façon de se pourvoir en structures pédagogiques en réhabilitant un patrimoine rural et agricole à sa disposition. Corps de bâtiments, étables, bergeries, caves ; tous ces éléments vétustes ont été restaurés pour un coût moindre que celui d'une construction en neuf. Ainsi, suite à une réhabilitation réussie qui conserve jusque dans chaque tuile de ses charpentes les tuiles originales nettoyées et remises à leur place, ce site offre à présent aux étudiants ainsi qu'aux visiteurs tant sa nouvelle vocation pédagogique et scientifique moderne qu'un regard sur son passé centenaire. Ce défi est non seulement porteur pour ceux qui, à présent, bénéficient de ces structures pédagogiques, mais il s'est aussi avéré très valorisant pour les artisans du bâtiment et autres corps de métier qui y ont pris part, ainsi que pour le développement local dans son ensemble. En effet, tout le travail de réhabilitation a été réalisé grâce à des équipes ponctuelles qui se sont constituées au fur et à mesure de l'identification des problèmes, sans structuration préalable. Cela signifie d'abord que des citoyens concernés et responsables sont capables de modifier leur environnement et d'améliorer les conditions de travail de l'ensemble d'une institution, ici universitaire. Cela signifie aussi qu'être citoyen n'est pas une simple déclaration de bonne volonté mais est porteur de certaines exigences, particulièrement celles d'efficacité et d'utilité. Il en résulte aussi – peut-être surtout –, comme corollaire, que le développement ne peut se faire sans la participation effective, active et consciente, de la communauté qui détient le patrimoine. Les enjeux d'une telle participation sont la sensibilisation de l'opinion publique à la réhabilitation du patrimoine, l'augmentation de l'implication des citoyens – particulièrement des jeunes – dans la sauvegarde et la réhabilitation du patrimoine, la proposition d'expériences pratiques et formatrices dans le domaine de la réhabilitation du patrimoine, la proposition de modes d'intervention en faveur du patrimoine en complément des interventions courantes – institutions et entreprises – et la réhabilitation en préservant l'identité architecturale du patrimoine. Relais entre hier et demain, le patrimoine bâti, même vieux et décrépit, se transforme ainsi en outil de développement local et durable au service du territoire. Support pour dynamiser l'emploi, il a enfin un rôle social (chantiers d'insertion), et un impact sur le cadre de vie du citoyen et sur l'attractivité du territoire. Des racines du futur Architecture, organisation de l'habitat, paysage ainsi que techniques et savoir-faire indispensables à leur entretien ont ainsi formé un tout indissociable à la réhabilitation d'un vieux bâti rural abandonné et à sa transformation en cet outil de développement local et durable dont il vient d'être fait état. L'équipe de réhabilitation a, tout au long de son action, prise en compte ces éléments ensemble et simultanément. C'est ainsi une forme de politique de sauvegarde qui s'est instaurée, favorisant la protection, la mise en valeur et la réutilisation d'ensembles d'éléments patrimoniaux à des fins de développement économique, social et culturel, en associant protection et transmission des biens en vue de la mise en valeur de leur originalité, et du développement de la société. Ce type de politique pourrait devenir un axe essentiel dans un aménagement du territoire où le patrimoine rural jouerait un rôle culturel majeur. Elle verrait, en le développement local, un processus volontaire de maîtrise du changement culturel, social et économique enraciné dans un patrimoine vécu, se nourrissant de ce patrimoine, et produisant du patrimoine. Ce patrimoine – naturel et culturel, vivant ou sacralisé – y serait vu comme une ressource locale qui ne trouverait sa raison d'être que dans son intégration dans les dynamiques de développement : hérité, transformé, produit et transmis de génération en génération, il appartiendrait, pour peu que les conditions favorables à sa prise en compte partout, par tous, et à tous les niveaux soient réunies, à l'avenir. En d'autres termes, ce type de politique ne verrait la durabilité, donc la réalité de tout développement que s'il se fait en accord avec le patrimoine et s'il contribue à la vie et à l'accroissement de celui-ci. Ce serait là une application particulière du concept de subsidiarité qui propose que la gestion du patrimoine doit être faite au plus près des créatures et des détenteurs de ce patrimoine afin de ne pas le séparer de la vie. Dans une telle optique, le rôle des institutions spécialisées serait alors de sensibiliser, de faciliter, d'éduquer, de mettre en contact, de médiatiser et de gérer à la marge en fonction de l'intérêt général ; les mesures proposées devant d'abord être le moyen d'un profond changement dans les mentalités des responsables et du public, dont notamment : la facilitation de la connaissance et de sa diffusion : ce premier groupe de mesures concernerait donc la connaissance de ce patrimoine et la diffusion de cette connaissance auprès de tous les citoyens afin de les sensibiliser à la richesse et à la fragilité de ces biens communs et ainsi leur donner l'envie et les moyens de participer activement à leur gestion et à leur protection. Il serait donc judicieux de renforcer, sur le plan des méthodes et des effectifs, les services qui contribuent activement à la connaissance scientifique du patrimoine rural et à la diffusion de ces connaissances. Ces services sont d'abord ceux de l'inventaire général, de l'ethnologie et de l'archéologie, qui devraient être conviés à associer leurs efforts pour une connaissance de toutes les dimensions du patrimoine rural. Cette meilleure coordination de l'acquisition des connaissances devrait s'accompagner d'un effort tout particulier pour former les femmes et les hommes en intégrant le patrimoine rural dans les programmes de formation des architectes, ingénieurs, administrateurs qui auront en charge la gestion de ces éléments ; mais aussi en organisant des actions de formation continue pour tous ceux, élus, fonctionnaires, membres d'associations, qui auront à participer à l'entretien, à la protection et à la mise en valeur de ce patrimoine. Enfin, cette série de mesures ne serait pas complète si elle n'intégrait pas une action décidée en vue de développer des instruments de partage des connaissances ; un effort particulier devant être fait tant pour mettre en place des bases de données accessibles que pour renforcer la collaboration avec les services et organismes chargés de la diffusion et de la vulgarisation du savoir sur le patrimoine rural ; l'adaptation des outils techniques à la spécificité du monde rural : ce second groupe de mesures viserait à donner aux acteurs de la protection et de la gestion de l'espace rural des outils réglementaires et techniques mieux adaptés à la spécificité des éléments du patrimoine rural. Il serait ainsi nécessaire de se doter d'instruments pour une meilleure intégration du patrimoine rural dans les politiques globales d'aménagement du territoire. Seule la concertation avec tous les acteurs concernés par ces territoires permettrait de définir les projets de développement intégrant le patrimoine rural. Enfin, ce serait à l'échelle des communes que la politique du patrimoine rural serait le mieux appliquée ; les missions des services de l'architecture et de l'urbanisme dans les APC devant être élargies dans ce sens et leurs effectifs renforcés. Pourtant, cette énumération de mesures à prendre relèverait du catalogue de vœux pieux si des principes forts n'étaient pas pris comme base d'action : la protection et la gestion intelligentes, prenant en compte les dimensions culturelles autant qu'économique et sociale du patrimoine rural relèvent avant tout d'une volonté politique et doivent être définies clairement à l'échelle nationale. C'est dire qu'elles sont de la responsabilité du gouvernement tout entier et supposent la collaboration effective de tous les ministères – en premier lieu, ceux de la culture, de l'agriculture, de l'équipement, de l'environnement, de l'économie et de l'intérieur – et des services publics détenant une parcelle de pouvoir et de compétence en la matière. Cet aspect national, politique, interministériel doit se traduire dans un dispositif de décisions et de moyens efficaces, utilisables par les collectivités territoriales ; la wilaya y prenant à sa charge les actions de formation et de sensibilisation et la responsabilité des espaces d'intérêt général et la commune l'action au quotidien. Ainsi, loin de répondre à une attitude passéiste ou à une illusoire quête de racines, une politique forte, complète et sérieuse de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine rural apparaîtra comme une nécessité pour agir sur le présent et l'avenir.