Jacques Audiard réalise un film époustouflant d'une rare puissance. Il nous plonge dans le monde carcéral sans faire aucune concession. Deux heures et demie d'apnée sans un moment de respiration. Vertigineux. L'histoire peut sembler banale, voire attendue, elle ne l'est pas. Malik El Djebena (incarné par Tahar Rahim, bluffant dans son premier rôle, à 28 ans) prend six ans ferme, il a 19 ans, plutôt beau gosse mais orphelin et illettré, et surtout sans amis. Et en prison, ça compte. Des amis, justement, il doit en trouver au zonzon, s'il veut survivre. Il a le choix entre les Corses et les Arabes. Il opte pour le premier clan, parce qu'en prison difficile de ne pas prendre partie, de ne pas appartenir à une communauté. Malik El Djebena n'a pas l'instinct grégaire, co-écrit par Thomas Bidegain et le cinéaste Jacques Audiard qui en est à son cinquième film - à partir d'une idée originale d'Abdel Raouf Dafri, le scénariste de Mesrine ou de la série télévisée La commune, Un prophète tranche dans le vif. On est dans une tension permanente, on découvre avec le jeune Beur les codes brutaux de l'univers carcéral, presque physiquement. Et c'est que Jacques Audiard excelle avec une mise en scène originale et déconstruit tous les discours. « Ce qui m'intéressait, c'est de traiter la prison comme métaphore de la société. Le personnage rentre et sort, au bout d'un moment le dedans et le dehors, c'est la même chose. Ce qu'il peut apprendre à l'intérieur lui servira à l'extérieur. Le titre Un prophète, nous l'avons pris dans un sens ironique, il annonce un nouveau type de criminel, qui n'est pas un psychopathe, il est même un peu angélique », explique le cinéaste. Dedans-dehors, où est la différence ? Les personnages sont aussi prisonniers d'eux-mêmes. En choisissant les Corses, Malik El Djebena se retrouve sous la coupe de César (Niels Arestrup, impressionnant de vérité) qui lui offre sa protection contre des missions. Même sans diplôme et sans culture, Malik s'adapte très vite. Il entend se faire une place dans la vie. Et pourquoi pas chef, lui aussi ? Et dans son univers bouché, l'horizon est étroit. Pour lui, la porte de sortie se trouve dans la poursuite infernale. Comment émerger sinon qu'en s'enfonçant dans le banditisme. Un monde de « vrais » mecs. Une humanité machiste, raciste, victime et coupable. Où le dedans est dehors, et inversement. Fils du réalisateur et dialoguiste Michel Audiard, Jacques Audiard est à 57 ans l'un des rares cinéastes français à exceller dans le film noir et l'auteur d'Un héros très discret, prix du meilleur scénario à Cannes en 1996 ou encore de De battre mon cœur s'est arrêté qui a raflé huit César dix ans plus tard. Un prophète est parti pour rafler encore plus de prix, dont celui du meilleur acteur.