Le lieu, l'enfance et la critique littéraire. A cela, il faut ajouter la poésie. Des thèmes abordés, dimanche après-midi, au XVIe Salon international du livre d'Alger (Sila) qui se tient jusqu'au 1er octobre prochain sous les chapiteaux de l'esplanade du 5 Juillet à Alger. Le lieu, l'espace ou l'endroit, d'abord. Les romanciers libanais, Hassan Daoud et Mohamed Abu Samra, en ont parlé avec sincérité dans un débat sur «l'intimité du lieu» dans l'écriture littéraire. «Certains me parleront du lieu dans mes écrits. Je pense que cela relève des polémiques que les critiques aiment bien soulever. On peut débattre sur ‘‘l'espace'' dans le roman arabe, et on n'aboutira à rien qui puisse ressembler à des lignes fixes. L'écriture littéraire n'est pas bâtie sur des vérités, elle s'articule autour de l'interférence entre illusions et réalités. J'élève les illusions au niveau des faits réels. Certains critiques refuseront cette idée», a estimé Hassan Daoud, auteur du célèbre roman Binayet Mathild (L'immeuble de Mathilde). S'il a reconnu que les souvenirs et la nostalgie étaient partout présents dans ses romans et nouvelles, il a estimé que l'écriture littéraire n'a, en principe, pas de règles. «C'est une écriture angoissée et personnelle», a-t-il noté. «Si tout allait bien dans le monde, on n'aurait pas eu besoin d'écrire des romans ou de la poésie. Le roman est une tentative d'évoquer le vécu, fait de problèmes, de concessions, de tempêtes, d'émotions et de contradictions. Le roman donne une image sur ce monde», a enchaîné Mohammed Abu Samra. L'auteur de Sukkan Essour (Les habitants du mur) a confié que sa propre vie est distribuée en fragments sur celle des personnages de ses romans. Selon Hassan Daoud, les critiques arabes n'ont été d'aucune aide pour l'écriture arabe et pour les auteurs. Il est remonté jusqu'à la dynastie omeyyade pour relever que la critique de la poésie classique de cette époque était plus élaborée. «Cela peut paraître provocateur, mais j'apporte mon témoignage comme romancier. Donc, je sais de quoi je parle», a-t-il appuyé. Amina Bekkat et Meziane Ferhani eux, ont dit tout ce qu'ils pensaient de la critique littéraire en Algérie, en tant qu'universitaire et journaliste, lors d'un débat organisé par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) dont le pavillon est coincé entre les salles A et B du Sila. «Nous sommes loin d'avoir une critique littéraire constituée. Je ne sais pas si cela est lié au manque d'auteurs qui écrivent dans les journaux ou à la faiblesse du lectorat», a estimé Amina Bekkat, professeur de littérature africaine et de littérature comparée à l'université de Blida. Selon elle, la préface des livres sert parfois de critique qui permet au lecteur de s'introduire dans le champ de la littérature. «Le livre est un objet institutionnel et précieux. Il jouit d'un certain prestige. Il y a aussi ce débat sur le choix entre le e book et le livre en papier», a-t-elle noté. Elle a regretté l'attribution du prix Mohammed Dib à des journalistes et pas à des auteurs littéraires. Elle a mis cela sur le compte de «la confusion». Le journaliste Ameziane Ferhani a évoqué l'existence de différence entre la critique de presse et celle des universitaires. «La critique universitaire travaille avec des instruments scientifiques sur une œuvre, un ensemble d'œuvres ou sur une période. La critique journalistique est une réaction sur l'instant. Elle intervient sur des livres qui viennent de paraître», a-t-il dit, soulignant l'absence de connexion entre les «deux» critiques en Algérie. L'intervenant a remarqué que les rubriques culturelles des journaux manquent de journalistes spécialisés et souffrent d'effectifs réduits. Selon lui, le volume de travail fait que les journalistes n'ont pas assez de temps pour lire un livre, le présenter et le critiquer. «Pour être écrivain, il faut avoir lu» «Les gens heureux n'ont pas d'histoires ». Maïssa Bey en est convaincue. «Ce n'est pas parce que nous avons vécu un événement qu'on va se mettre à écrire. L'enfance ne détermine pas forcément l'écriture, mais elle influe. On écrit à partir de ce qu'on est, de tout ce que les circonstances ont fait de nous», a estimé l'auteur de Sous le jasmin de la nuit. Assis à côté d'elle, Noureddine Saâdi a estimé qu'avoir un choc dans sa vie ne conduit pas fatalement celle ou celui qui l'a subi à l'écriture. «Je ne connais pas une personne qui se lève un matin à 20 ou 40 ans dire qu'aujourd'hui je suis écrivain. Ce n'est pas quelque chose qu'on décide. C'est quelque chose que vous allez porter en vous-mêmes, qui est de l'ordre de l'inconscient et du désir et qui va se matérialiser par l'écriture», a-t-il dit. L'auteur de Il n'y a pas d'os dans la langue a relevé que des chanteurs algériens, qui n'ont jamais appris le solfège, ont joué avec des instruments, à l'image de El Hadj M'hamed Al Anka. Idem pour les peintres naïfs qui n'ont pas eu accès aux cours des beaux arts. «Mais, l'écrivain analphabète n'existe pas. Pour être écrivain, il faut avoir lu, avoir un certain amour de la littérature, avoir eu un dialogue avec les livres. Cela dit, on peut avoir du talent comme on peut ne pas en avoir», a-t-il souligné. Fadéla Merabet a, pour sa part, confié qu'elle n'aime pas qu'on la qualifie de femme de lettres. «Je ne peux pas m'installer chaque jour à ma table pour écrire un certain nombre de pages. J'écris à la suite d'une émotion et d'une colère. Elles ont pour origine mon enfance», a-t-elle dit. L'enfance est également présente dans la poésie aérienne de Joumana Haddad. La poétesse et journaliste libanaise a déclamé, en début de soirée, des poèmes, dont certains extraits de son dernier recueil, Kitabou Al Jim. Elle y évoque la première poupée, le manteau rouge, la robe bleue, l'école, la découverte de l'écriture, les sensations amoureuses, les rues de Beyrouth… L'auteur de Waqt lil hulm (le temps d'un rêve) fait des traductions (elle maîtrise sept langues) et est spécialiste de la poésie italienne.