Il n'y a de seule volonté politique dans l'Algérie d'aujourd'hui que celle d'étouffer l'expression libre. Que reste-t-il d'un pouvoir qui a peur même des gerbes de fleurs ? Le devoir de mémoire, la simple évocation d'un souvenir de soulèvement devient un acte subversif que le régime ne peut tolérer. A l'heure où des pays voisins font leurs révolutions, dans l'Algérie de 2011, on ne veut pas entendre parler, 23 ans après, de la célébration de ce jour d'octobre 1988 qu'on dit être l'exemple du soulèvement algérien. La police a interpellé, dans la matinée d'hier, des militants du Rassemblement action jeunesse (RAJ) et des jeunes citoyens venus commémorer le 5 Octobre devant le Théâtre national algérien (TNA). Après de longues heures passées dans les commissariats, les personnes interpellées ont été relâchées dans l'après-midi. Mais l'essentiel a été réalisé. Une gerbe de fleurs a finalement été déposée pour rendre hommage aux victimes de cette date «historique». – Devenant une tradition contre l'oubli, un appel a été lancé au cours de la semaine pour se rassembler devant le TNA. Une fois le rendez-vous arrivé, les choses ne se sont pas déroulées comme espéré par les initiateurs de l'appel. Les forces de l'ordre ont, en premier lieu, empêché le rassemblement, avant de procéder à une série d'arrestations. Les «flics», comme mus par la volonté de ne laisser personne sur la place, ont embarqué à bord de fourgons une vingtaine de militants, qui ont été éparpillés dans plusieurs commissariats. Vu «l'empêchement de cette manifestation pacifique», des membres du RAJ ont gagné la place Emir Abdelkader dans le but d'organiser la cérémonie de commémoration. Ils n'ont pu l'observer. Quelques minutes plus tard, ils ont rejoint le noyau qui avait imposé sa présence devant le TNA.En début d'après-midi, le rassemblement pour commémorer les événements du 5 Octobre 1988, étêté de ses principaux acteurs, a pu avoir lieu, pour ne pas dire toléré. Le RAJ, le FFS, le Comité national des chômeurs, la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), Algérie Pacifique, l'Association des victimes d'Octobre 1988 (AVO88), le Mouvement démocratique et social (MDS)… étaient représentés. Sur les marches du TNA, les militants, près d'une trentaine, ont déposé une gerbe de fleurs. Ils arboraient des feuilles, faute de banderoles qui avaient été confisquées dans la matinée ; on pouvait y lire : «Pour une justice sociale» ; «Pour la liberté » ; «Le 5 Octobre journée de démocratie» ; «Algérie mon pays» ; «Donc je me révolte» ; «Pour la dignité» ; «La liberté fera le reste» ; «Pour ne pas oublier le 5 Octobre»…. Après avoir observé une minute de silence, les militants ont scandé des slogans tels que : «Djazaïr houra democratia» (Algérie libre et démocratique) ; «Y'en a marre de ce pouvoir, Bouteflika, Ouyahia, houkouma irahbia» (gouvernement terroriste)… Dix minutes se sont à peine écoulées que la police passe à l'action. «Maintenant partez, vous avez eu ce que vous voulez», leur lance un policier en civil. Les militants ne l'entendent pas de cette oreille. Ayant obtempéré en premier lieu, ils s'arrêtent au café Tantonville. «Nous exigeons la libération de nos camarades que vous avez enfermés dans les commissariats», réclament-ils. Les policiers reviennent à la charge pour les pousser à quitter les lieux, sous les regards passifs des riverains. Décision est prise de réoccuper la place du TNA, lieu choisi initialement pour commémorer le 5 Octobre. Là aussi, les passants regardent ; ils cherchent à savoir ce qui se passe et reprennent leur chemin. A 16h. La sûreté de daïra de Bab El Oued libère Abdelwahab Fersaoui, le président du RAJ et Hakim Addad, secrétaire national du FFS chargé des réseaux sociaux, ainsi que d'autres «enRAJés» et militants. A ce moment, la place du théâtre se vide. «L'essentiel est la commémoration du 5 Octobre 1988, même si nous ne dépassons pas la centaine de militants. Nous voulons marquer le point, puisque le pouvoir veut classer le 5 Octobre aux oubliettes», affirme-t-on. «Ce jour-là, le peuple algérien s'est révolté contre l'injustice et la dilapidation des richesses par les apparatchiks. 500 jeunes sont morts lors de ces événements, sans que la justice ne fasse un effort pour la vérité, et ce, 23 ans après», déclarent des membres du RAJ. 23 ans après le soulèvement d'Octobre, l'espace public est interdit à la libre expression.