Il y a huit jours, Khalida Toumi, ministre de la Culture, inaugurait au siège de l'ENAG (Entreprise nationale des arts graphiques), à Réghaïa, deux nouvelles structures, l'une pour la distribution du livre et l'autre pour l'organisation du Salon international du Livre d'Alger. Elle a notamment déclaré, selon l'APS, que la première structure a été créée «en raison de la déficience de la chaîne de distribution du livre en Algérie» et que «tous les acteurs dans le domaine du livre y compris les privés peuvent compter sur cette structure». A quoi, le Président-directeur général de l'ENAG, Hamidou Messaoudi, a ajouté que celle-ci «compte ouvrir, à court terme, son capital aux éditeurs algériens intéressés». Quant à la seconde structure, sa création répond au besoin de «veiller à ce que le SILA soit une source de rayonnement et de communication entre l'écrivain et le lecteur». Telle que présentées, ces deux créations paraissent assez importantes pour introduire des changements dans le monde du livre dans notre pays. Cependant, une question centrale s'impose. En effet, si l'adage veut que la fonction crée l'organe, il est connu que l'organe n'est pas toujours adapté à la fonction. Une problématique que connaissent tous les spécialistes en management et qui devient encore plus délicate dans le management culturel, plus complexe encore en raison de la combinaison des facteurs économiques, commerciaux et financiers avec les spécificités culturelles. Nous nous sommes approchés de Rachid Hadj Nacer, directeur du Livre et de la Lecture publique au ministère de la Culture pour en savoir plus. Il apparaît déjà que l'ENAG prend de nouveaux rôles dans le secteur de la culture. Les deux structures créées seront en effet des filiales de cette entreprise qui revient de loin. Créée en 1978, elle avait été présentée comme «la plus grande imprimerie d'Afrique». Un complexe graphique en tout cas immense, en pleine zone industrielle, doté d'équipements alors de pointe. Ce fleuron a connu diverses phases. Imprimerie au service des entreprises publiques du livre et des institutions, elle devient éditrice dans les années 1980, notamment avec la collection populaire Anis de classiques universels. Avec la crise, elle périclitera et, en dépit de son potentiel immense, elle a échappé de peu à la vente de ses actifs dans le cadre des privatisations, attirant moins d'investisseurs que de spéculateurs, avant tout attirés par son assiette foncière. Depuis quelques années, l'ENAG a repris du poil de la bête sous la houlette de son PDG, ancien professionnel des arts graphiques, et avec le soutien de l'Etat. Elle comprend aujourd'hui cinq unités : arts graphiques, labeur, édition et distribution, maintenance, approvisionnement et service. Elle dispose d'ateliers de pré-press et de sérigraphie et pelliculage et d'une imprimerie imposante : 25 groupes d'impression à plat, deux rotatives, trois chaînes de reliure. Bien qu'elle ait perdu, avec les retraites, des techniciens réputés sur la place d'Alger, ceux-ci ont pu assurer une certaine transmission de leur savoir-faire. Passée depuis une année et demie sous la tutelle du ministère de la Culture, elle lui donne une force de frappe (c'est le mot) importante. Avec ces deux nouvelles filiales, son évolution devrait l'amener à se constituer en groupe pour assurer une gestion moderne de sa taille comme de sa diversité. Le terme de «filiales» utilisé pour ses nouvelles fonctions, laisse penser que cette option est envisagée. De même, l'annonce de l'ouverture du capital de la filiale distribution aux éditeurs, ouvre dans le secteur une perspective de partenariat public-privé qui pourrait servir de modèle, sinon de voie, au développement des industries culturelles dans notre pays. Mais, il faudra faire preuve d'une grande ouverture et capacité de convaincre quand, mêmes les tenants d'un rôle indispensable de l'Etat dans la culture, craignent aussi les démons de la monopolisation. D'ailleurs, les distributeurs privés existants n'ont pas été évoqués. «Personne n'est exclu, affirme Rachid Hadj Nacer. A priori, les distributeurs privés sont concernés par cette offre, d'autant qu'ils peuvent aussi apporter leurs expériences, leurs moyens et leurs réseaux. Nous avons un pays tellement vaste que la distribution du livre donne du champ à de nombreux opérateurs. L'ENAG a été choisie car elle dispose déjà d'une unité de distribution, de moyens de stockage et de transport». Mais le problème risque de se poser en aval, vu la pauvreté du réseau de vente aux lecteurs. A cela, notre interlocuteur répond : «Nous prévoyons de créer des points de vente dans les structures culturelles telles que les maisons de la culture. Il en existe déjà dans les musées qui peuvent être développés. Le réseau des bibliothèques qui prend de l'importance est aussi concerné par la distribution. Il y a également ce projet d'intégrer le livre dans l'offre de l'ANSEJ, en réservant également un local sur les 100 prévus par commune». Une option dont nous doutons de l'efficacité, du fait que ce projet généreux n'a pas tenu compte de la taille des communes et de l'importance très diverse de leurs populations et activités. Lors de son passage à l'ENAG, la ministre de la Culture, toujours selon l'APS, a qualifié «d'important» le nombre des livres édités actuellement en Algérie et trouvé «anormal» que même à Alger, ces livres ne sont disponibles que dans une vingtaine de communes sur un total de 57. Mais le dispositif annoncé n'évoquait pas précisément le rôle des librairies dans le nouveau dispositif. Pour Rachid Hadj Nacer, il ne s'agit ni d'un oubli ni d'une mise à l'écart. «Il se trouve que la journée à l'ENAG était centrée sur l'annonce des deux nouvelles structures. Le ministère considère le rôle des librairies comme important et précieux dans la relation des citoyens au livre. La librairie est un espace culturel indispensable aux côtés des bibliothèques. Le Centre national du Livre, qui est en train de se structurer, travaille sur un programme dans ce sens et doit développer des aides aux librairies comme il en existe par ailleurs. Mais l'enjeu véritable est celui du livre scolaire, attention, je ne dis pas parascolaire. C'est lui qui, dans le monde entier, assure le développement des librairies et de l'ensemble de la chaine du livre». Nous reviendrons, dans notre prochaine édition, sur les changements apportés à la gestion du SILA.