Il a dû lui-même monter au front et son forcing a payé. Mohammed VI a été reçu par François Hollande, faisant de lui le premier chef d'Etat étranger à être accueilli à l'Elysée par le nouveau président français. Cette rencontre au sommet, visiblement décidée à la dernière minute, brève, sans conférence de presse ni prise de parole officielle, même présentée comme étant en marge d'une visite privée du souverain chérifien à Paris, a valeur de symbole. Elle avait pour objectif essentiel de faire raccord avec la love story qu'entretenait la monarchie marocaine avec la droite sarkozyste. Elle a aussi servi à éviter un camouflet redouté par le roi, très sensible aux attentions diplomatiques : celui de voir le Président consacrer sa première visite au Maghreb à Alger. Elle montre enfin une certaine fébrilité du Maroc, dont les anciennes amitiés socialistes sont désormais pour la plupart hors jeu. Un long travail de séduction DSK écarté de la présidentielle, Aubry battue aux Primaires du PS et Sarkozy donné pour perdant, Rabat s'était résigné à l'élection de Hollande, réputé pour ne pas faire partie des marocophiles de son parti. En coulisses, tous les réseaux des «amis du Maroc» au PS ont alors été activés. En pleine campagne présidentielle, la diplomatie parallèle du royaume a campé rue Solferino, siège du Parti socialiste, avec un objectif insensé : faire venir le candidat à Rabat avant le premier tour. Vint ensuite l'espérance de voir Martine Aubry – que le roi a reçu en vieille amie de la famille royale en mars – nommée à Matignon, ou Hubert Védrine, un inconditionnel du royaume, revenir au Quai d'Orsay. Ni l'un ni l'autre n'ont finalement obtenu les maroquins qu'ils convoitaient. A l'annonce de la victoire de Hollande, le roi a tout de suite donné de sa personne pour montrer, s'il en faut, ses bonnes dispositions. Il a été l'un des tous premiers chefs d'Etat à féliciter le nouveau locataire de l'Elysée au téléphone avant de rendre public un communiqué des plus chaleureux. Najat Vallaud-Belkacem dans les petits papiers du roi Dans la foulée, le ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération, Saâd Eddine El Othmani, débarquait à Paris pour serrer la pince à Alain Juppé qui devait quitter le Quai d'Orsay, mais aussi pour prendre ses marques avec Pierre Moscovici sur lequel Rabat avait parié pour diriger la diplomatie française. «Aux yeux du makhzen (les autorités), ‘‘Mosco'' a le grand avantage d'être moins proche d'Alger que d'autres membres de l'appareil socialiste, comme Arnaud Montebourg, Kader Arif ou Laurent Fabius. Il représente aussi la branche la plus libérale et business-friendly du parti. Surtout, il a longtemps été l'un des premiers lieutenants de Dominique Strauss-Kahn, adulé de tout temps dans le royaume… et dont il a récupéré une bonne partie des réseaux au sein du PS», expliquait Maghreb Confidentiel. Sauf que c'est Fabius qui fut désigné. De quoi susciter quelques inquiétudes à Rabat qui redoute tant les réminiscences de la mitterrandie. Bien sûr, en lots de consolation, Pierre Moscovici, qui a l'oreille de Hollande, est au gouvernement et Manuel Valls qui a décroché l'Intérieur ou Najat Vallaud-Belkacem un ministère et le porte-parolat, sont dans les petits papiers du roi. Le grain de sable du Sahara occidental Ce n'était pas suffisant. L'actualité diplomatique concomitante à ce jeu de chaises musicales a prouvé que le Maroc se devait d'agir avec plus de détermination envers le nouveau pouvoir en France. Le premier grand test des nouvelles relations France-Maroc devait se faire autour de la question du Sahara occidental. Avec la droite, la question était pliée. A l'Elysée comme à Matignon ou au Quai d'Orsay, les positions marocaines sur le conflit étaient immanquablement défendues. La doctrine française était pour ainsi dire calquée sur celle de Rabat, Paris ayant pris fait et cause pour le plan d'autonomie proposé par le Maroc qui refuse tout référendum d'autodétermination pouvant déboucher sur l'indépendance du territoire annexé en 1975. Avec les socialistes au pouvoir, l'épineux dossier est potentiellement source de crispations diplomatiques entre les deux pays. Surtout que le Maroc vient de retirer avec fracas sa confiance à Christopher Ross, l'envoyé spécial des Nations unies au motif que celui-ci, en charge des interminables tractations entre le royaume et les séparatistes du Polisario, aurait fait montre d'un tropisme envers ces derniers. Préserver l'équilibre avec Alger La divulgation, au lendemain de sa prise de fonction, d'une lettre datée de mars 2011 a créé quelques remous. La missive, qu'aurait adressée le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, alors député-maire de Nantes, à Régine Villemont, président de l'Association des amis de la République arabe sahraouie démocratique (AARASD), réitère le soutien du PS à «l'autodétermination du peuple sahraoui» et qualifie l'administration du Sahara occidental par le Maroc d'«occupation du territoire» Alors que les séparatistes du Polisario ne font plus recette à Paris depuis longtemps, la missive a montré une ligne de fracture au sein du gouvernement français, qui a vite réagi dans le sens voulu par le royaume. «La France réitère son appui au plan d'autonomie marocain, qui est la seule proposition réaliste aujourd'hui sur la table des négociations et qui constitue la base sérieuse et crédible d'une solution dans le cadre des Nations unies», a déclaré le porte-parole du Quai d'Orsay, Bernard Valero. Malgré le soutien rapide de Paris, cet épisode a montré une distorsion que le Maroc voudrait à tout prix voir disparaître au moment où il se trouve en porte-à-faux avec les Nations unies sur la question des droits de l'homme au Sahara occidental. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si François Hollande a pris soin de téléphoner à Abdelaziz Bouteflika au sortir de sa réunion avec Mohammed VI. L'équilibre avec Alger devait au moins être préservé dans la forme. Des marques d'attention relatives En plus de la question du Sahara, c'est toute l'alchimie des relations franco-marocaines qu'il faudra réinventer. Bien que le chef de l'Etat français ait «salué le processus de réforme démocratique, économique et sociale en cours dans le royaume à l'initiative du roi», et que «la France se tient au côté du Maroc dans la voie qu'il a choisie de modernisation économique et d'approfondissement de l'Etat de droit», Rabat sait que ces marques d'attention sont encore toutes relatives. A Matignon, Jean-Marc Ayrault garde en mémoire ses contacts avec les nouvelles figures de la contestation marocaine qu'il a reçues en tant que président du groupe socialiste à l'Assemblée au plus fort du Printemps arabe. Le ministère de la Défense envisage de créer un observatoire sur le Maghreb. Vincent Peillon a suivi de près les dossiers d'atteintes aux droits de l'homme qui ont récemment écorné l'image du monarque. Arnaud Montebourg, mais aussi François Hollande lui-même ont vivement critiqué certains aspects de la coopération économique avec le royaume : les largesses de l'Agence française pour le développement (AFD), le contrat contesté du TGV, l'implantation de Renault à Tanger vécue comme une délocalisation dommageable, des accords agricoles avec l'Europe défavorables aux petits exploitants des deux rives… Autant de raisons qui ont valu cette poignée de main sur le perron de l'Elysée, en attendant que le roi se décide enfin à nommer son ambassadeur sur les bords de la Seine, car, pour le moment, le poste demeure vacant.