Par les outrages du temps, à l'âge de 58 ans, le populaire et regretté Mekki Miloud vient de quitter ce monde sur la pointe des pieds. L'émotion causée par sa disparition a été considérable ; la majorité des jeunes et moins jeunes de la ville de Mécheria lui ont rendu un dernier hommage lors de ses funérailles. Atteint d'une bronchite chronique et de complications pulmonaires, son état s'était aggravé en quelques mois, à sa sortie de l'hôpital, par la cigarette, le froid et le dénuement. C'était un artiste de la plus grande simplicité, d'une imagination féconde et d'une exquise finesse. Un musicien inoubliable par les mélomanes, aimé de tous, animé par une passion dévorante et d'un goût raffiné alors qu'il s'inspirait uniquement de l'air du temps. Sans affectation ni préciosité que beaucoup s'accordent à reconnaître, il chevauchait, vu son âge, entre deux générations : celle des fans de la musique orientale et celle qui adore la musique maghrébine au rythme pénétrant. Pour l'art en général, il avait une propension naturelle très prononcée, apparemment renforcée par l'inné et l'acquis. Il possédait une prodigieuse maîtrise de plusieurs instruments, notamment le violon, le violoncelle, la flûte et le luth. Par une sève intarissable, il fut aussi un sculpteur sur bois et un peintre de talent dont les toiles furent arrachées par ses admirateurs et ses amis. Seul subsiste encore un unique tableau où il retrouvait sa jeunesse et qu'il refusa de céder pour n'importe quel prix. Une fresque qui restitue à l'identique le vieux quartier de son enfance et de sa prime jeunesse. Un quartier du nom de Lemsala, à présent quasiment rasé. Une image aux couleurs chaudes qui lui était chère et qui représentait à ses yeux une certaine réminiscence de son lointain passé, un souvenir d'un temps meilleur, disait-il. Alors que, tout jeune, pétillant d'esprit et sans aucun souci, il avait toujours vécu à deux pas de la misère et du dénuement, car l'art demeurait le seul élément, la seule chose qui mettait de la couleur à son existence. Miloud, plus connu sous le surnom de Miloud « le chat », ainsi surnommé jadis parce qu'il avait des yeux intensément verts sur un visage opalescent, a traversé, au cours de ces dernières années, les pires moments de sa vie, très malade, affaibli et isolé. Malgré son incontestable réputation, il était devenu, par une injustice triomphante du destin, l'un de ces hommes qui ont toujours été oubliés par le bonheur. Avec un tel assemblage de perfection artistique et par la dernière page de sa vie qui se tourne à jamais, le regretté Mekki Miloud ne mérite certainement pas l'oubli par les Mécheraouis.