L'Histoire retiendra que l'homme ne s'est pas tu lorsque son pays sombrait dans le malheur et la tragédie. El Hachemi s'en va. L'un des derniers maîtres du la musique chaâbie quitte la scène laissant derrière lui une oeuvre inégalée et une voix qui résonnera éternellement comme pour nous rappeler l'homme. Son talent tout le monde l'admet. Sa modestie tout autant. Ceux qui l'ont côtoyé garderont de lui cette image d'un être généreux qui a donné à la musique chaâbie toute sa jeunesse. Les mélomanes reconnaîtront d'ailleurs qu'il est de la lignée des grands maîtres. L'aveu nous vient des gens de la profession. De ces maîtres qui sont venus en masse faire leurs adieux à l'un des leurs. Aimé et adulé, El Hachemi, comme l'appellent affectueusement ses admirateurs, a fait pleurer plus d'un. Difficile de résister à l'émotion quand on perd celui qui a bercé la jeunesse de toute une génération. De plusieurs générations même. Du jeune Bentayeb Samir, footballeur du RCK à Amar Ouhada, grande figure de la culture algérienne du haut de ses 78 ans, en passant par ces petites gens anonymes venues rendre un dernier hommage au Maître, l'émotion était la même. Intense. Lorsqu'on est élevé dans l'ambiance des quartiers populaires d'Alger, de sa Casbah à El Madania, on ne peut qu'être marqué par cette exceptionnelle touche populaire qui a fait les grandes figures de la musique chaâbie. El Hadj M'rizek, El Anka et Dahmane El Harrachi ne sont-ils pas passés par là? Leur oeuvre est restée éternelle. Celle de Hadj El Hachemi Guerrouabi l'est aussi. Celui qui a chanté les quartiers d'Alger et le plaisir des randonnées dans ses ruelles sera toujours écouté. Celui qui a chanté l'amour pur, et savamment raconté les plaisirs de la vie et le bonheur de vivre son temps sans regrets restera un exemple de modestie. L'Histoire retiendra que l'homme ne s'est pas tu lorsque son pays sombrait dans le malheur et la tragédie. Forcé à l'exil, il a chanté l'Algérie qu'il ne voulait pas voir déchirée et sacrifiée. Ses admirateurs n'ont pas d'âge. Plutôt, ils sont restés éternellement jeunes. Ses vingt ans sont ceux de tous les Algériens qui ont aimé leur pays. Connu pour son penchant pour le football, il a été le porte-voix de l'USMA. Un club qu'il a toujours porté dans son coeur. Lui qui aurait pu être footballeur, sport qu'il a pratiqué dans sa jeunesse. Sportif, acteur, chanteur, il a toujours flirté avec l'art pour se forger un capital qui a fait de lui l'un des grands maîtres de son temps dans la musique chaâbie. L'un des plus grands de tous les temps, à l'instar du cardinal El Anka. L'hommage que lui ont rendu ses pairs et tous les artistes de ce pays est à la mesure de son talent et de sa personnalité attachante. Ceux qui lui ont rendu visite lors de sa maladie retiendront le souvenir de la douleur de cet homme qui refusait de susciter la compassion des autres. Trop fier et trop modeste pour préoccuper ses semblables de sa maladie. Il tenait à partir discrètement. Sans faire de bruit. Son voeu sera partiellement exaucé car, s'il a réussi à s'éclipser de l'actualité pendant sa maladie, il n'a rien pu faire devant cette foule qui a tenu à marquer son départ. Le panel de figures de la culture algérienne qui ont assisté à ses funérailles, à l'instar d'El Ankis, Chaou, Saïd et Mohamed Hilmi, El Ammari, Sid Ali Kouiret...ne pouvait cacher cette émotion qui serrait les coeurs meurtris de compagnons de route qui ont déjà vécu le drame de voir partir à jamais les El Anka, Rouiched, Hassan El Hassani, l'inspecteur Tahar et son apprenti...des génies comme eux l'Algérie n'en fait plus. Des artistes qui tous ont laissé des oeuvres restées légendaires pour les futures générations. Le grand mérite d'El Hachemi sera de transmettre la musique chaâbie à une génération qui subit de plein fouet les influences de la culture mondiale via les moyens modernes de la communication de masse. Si El Anka a donné un cachet d'existence à la musique chaâbie, Guerrouabi et ses compagnons de route que sont El Ankis et Amar Ezzahi, pour ne citer que ces deux grands maîtres du chaâbi, ont continué l'oeuvre en lui insufflant la sève de la résistance au temps. Grâce à eux la musique chaâbie est devenue inoxydable. Impérissable. Tout comme sera l'image et la voix de cet ange de douceur qu'aura été El Hadj El Hachemi Guerrouabi. L'Algérie pleure son fils fauché «à la fleur de l'âge»...pour un cheikh du chaâbi. A 68 ans, comme on dit dans le milieu des mélomanes, c'est l'âge d'or d'un artiste.