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eternelle stratégie de l'autruche néolibérale ?
Publié dans El Watan le 19 - 07 - 2012

Mais des évènements, déclarations, écrits, articles récents, me poussent irrésistiblement à réagir, tant l'esprit et la lettre en semblent être dénis de réalités, pour ne pas dire pensée magique qui dure et perdure, tout en causant toujours plus de dégâts.
Un certain Einstein avait l'habitude de dire qu'«il est impossible de résoudre un problème à partir des systèmes de pensées qui lui ont donné naissance». Ce genre d'idée ne semble pas effleurer l'esprit de «penseurs» qui, de Washington à Berlin, en passant par les inconditionnels des business-schools à la US, jusque Alger, croient pouvoir guérir les ravages du néolibéralisme par plus de néolibéralisme. Il en est ainsi des fameuses «50 propositions» de notre valeureux Forum des chefs d'entreprises (comme si être chef d'entreprise conférait automatiquement le droit et les capacités de penser la société et son bien-être !), de prises de positions de nombre de journalistes, économistes, anciens ministres de l'économie qui veulent «repenser sur l'économie algérienne», de collègues intellectuels, professeurs membres de «think-tanks» tout dévoués à l'entreprise-privée-remède-à-tout… et j'en passe.
Alors que, en toute évidence éclatante, au moins depuis 2008, il est aveuglant que ce néolibéralisme et sa mondialisation, basés sur l'idolâtrie du privé, le dogme du marché «dit libre» et la détestation de l'Etat – entre autres – sont le cuisant (pour ne pas dire criminel) échec d'une doctrine économique frisant l'intégrisme académique, érigeant un certain fanatisme idéologique issu des Chicago boys en «science» prouvée et aboutie.
Le monde néolibéral brûle de partout : les Néron de la mondialisation le contemplent et en rajoutent !
Depuis le sauvetage (par cet Etat tant honni, rappelons-le) de la finance (non l'économie) mondiale, on peut dire que, enfin, le modèle néolibéral s'est révélé pour ce qu'il est : un système dont tous les bénéfices sont privatisés et les coûts socialisés. A-t-on vu des patrons, des milliardaires… un «marché» quelconque, venir au secours de la planète mise à sac par les gangsters-banquiers-boursicoteurs et autres hauts diplômés en traficotage-spéculation sortis des business-schools américaines ? Non ! Ce sont les Etats, avec de l'argent purement public ! Mais à peine renfloués et récompensés, les mêmes gangsters-traficoteurs en redemandent. Et économistes, intellectuels et politiciens leur donnent raison. Nul ne veut voir qu'il n'existe plus d'Amérique (ou même d'Europe) réellement «capitaliste» dite «de libre entreprise privée» : l'Etat US ayant racheté (donc étatisé, nationalisé) la «totalité du système financier» ; tout ce qui appartenait à ce système lui appartient !
La moindre épicerie qui dispose d'une ligne de crédit bancaire n'a plus rien de «privé» sauf ses profits, bien entendu. Qui peut nier qu'aujourd'hui, les USA ne sont qu'une sorte de nouveau capitalisme d'Etat, digne des pires soviétismes à la Brejnev ? Où se trouve donc cette «entreprise privée» dont on nous rebat les oreilles ? Où étaient ses magiques vertus lors des successives crises de 1930 à 2008 ? Mais… l'Etat, lui, était toujours là ! La question qui se pose est : Etat pour et par qui ? Pas celle de l'Etat in abstracto. Qui s'agite de tout bord en Europe pour sauver les meubles qui restent sinon les Etats ? Mais tels des Néron, les dirigeants regardent leur Rome brûler, tout en psalmodiant les incantations néolibérales qui sont les sources mêmes de l'incendie. Qui peut nier que, autant du côté des USA que de l'Europe, on ne fait qu'aller de bulles en bulles ? Qu'on ne sait absolument plus quoi faire ? Ni que dire ? Rajoutant mesures néolibérales sur dégâts néolibéraux ! Pauvre Einstein, si tu savais !
Pendant ce temps, en Algérie…
Sait-on qu'un certain Adam Smith (père spirituel absolu, à son insu, des néolibéraux) a écrit ceci : «Laissez trois businessmen faire du business sans surveiller ce qu'ils font et vous avez trois brigands !» Cette phrase du «maître» devrait faire réfléchir à dix fois avant de parler du moindre bienfait du dit «sain libre marché autorégulé». Mais que ce soit dans les «50 propositions», dans les déclarations et écrits récents de certains professeurs et/ou ex-ministres de l'Economie, de maints journalistes «spécialisés»… il n'en est, en ce qui concerne l'Algérie, que de super-crédos, à mon avis, plus néolibéraux les uns que les autres. Il n'est sempiternellement question que de libérer le marché des entraves de l'Etat (à admettre qu'il y ait «Etat» en Algérie et non simple régime de maffieux profiteurs néocolonisés-cooptés, mais on fait «comme si»), de laisser le champ libre (sinon dérouler tapis rouge) à «l'investissement privé», de laisser jouer la saine concurrence, la miraculeuse «compétitivité» (comprendre baisse des salaires, pollution accélérée et enrichissement infini des riches – confondu avec bien être économique), de donner de l'oxygène à la «pauvre» entreprise privée, étranglée par de la bureaucratie étatiste, par de la corruption institutionnalisée, par des charges démentes, des syndicats boulimiques et staliniens… Certains vont même jusqu'à invoquer les «PPP» (partenariats public-privé) comme planche de salut, ou encore l'attraction de (philanthropiques) multinationales et autres «investissements directs étrangers».
En un mot comme en mille, disent-ils, faisons de l'Algérie une USA bis avec tous les crédos venant de ce pays mythique : peuple de leaders et de super-self-made-men, modèle démocratique (l'argent fait ce qu'il veut comme il veut), modèle de pure efficacité économique et de démocratie méritocratique. Mais qui donc ose poser la question du pourquoi tout cela a conduit au chaos mondial de 2008, parti des USA, qui est loin d'en finir ? Qui ose mettre à l'ordre du jour la question de savoir si, une bonne fois, cette sacro-sainte entreprise privée n'a que des droits et des privilèges ? Ne sert-elle donc qu'à enrichir (quitte à tuer les facteurs mêmes qui le permettent : le travail et la nature) leurs patrons (je ne dis pas propriétaires car combien, et même des plus gigantesques, ne fonctionnent quasiment qu'avec de l'argent public ?).
Mais… implorons et invitons les dieux patrons privés-héros, le modèle des USA et de Harvard, seules et uniques planches de salut. Nions que les «PPP» ont ruiné l'Angleterre et mis à genoux USA, Canada et Québec ; nions que le système du «tout privé», du libéralisme économique et de la mondialisation a ruiné la planète, nature comprise, à force de partout imposer (via les IFI en particulier) le modèle US. Plongeons dans le déni de réalité le plus total et cela sauvera l'Algérie !
À propos de certains intellectuels et autres think tanks algériens
Je ne m'attarderai pas davantage sur les thèses d'anciens ministres, du FCE, de certains journalistes «spécialisés»… mais j'aimerai singulièrement revenir sur les écrits et thèses récents de mon collègue de HEC Montréal, Taieb Hafsi. En tant que personnes, nous n'avons que respect et même amitié, l'un pour l'autre, mais en tant qu'intellectuels, il est plus que normal que nous ayons des divergences : de la confrontation des idées jaillira peut-être une forme de lumière pour notre pauvre pays, devenu, comme l'a dit son propre chef de gouvernement actuel, «un cabaret et une économie de bazar».
Fidèle à ses références de prédilection, mon éminent collègue n'hésite pas à appeler de nouveau récemment (Liberté du 19 juin 2012) à la rescousse ses inspirations étasuniennes pour tenter de trouver solution à la terrible équation algérienne. Sous le titre «L'étatisme économique est l'ennemi de la prospérité», son texte débute par des «histoires d'horreur» anti-libre entreprise à l'algérienne et continue par des critiques de l'étatisme, de la bureaucratie-étatisme-corruption endémique… pour finir sur un éloge du libertarisme à la US, clairement affirmé par le concept «US pur jus» dit de «l'incrémentalisme disjoint», issu d'une fumeuse théorie de bons vieux «classiques» des théories des organisations à l'américaine : Braybrooke R & C Lindblom (1963).
Débutons par son «histoire d'horreur» qui démarre la démonstration de l'inanité de l'Etat «qui se mêle d'économie» en Algérie : il s'agirait d'un «jeune» futur dynamique entrepreneur qui «comptait investir une bonne partie des ressources qu'il avait accumulées depuis deux décennies (…) dans un projet qui comprenait entre autres deux hôtels cinq étoiles, appartements de standing, centre commercial, cinéma, piscine, etc. Tout cela au bord de la mer, non loin de Annaba». Et Hafsi ajoute que ce n'est là qu'«une histoire parmi bien d'autres»…
Mais pour ce qui me concerne, une des histoires d'horreur (compte tenu du contexte) que j'aimerais qu'on me conte, c'est comment ce jeune futur dynamique… a-t-il fait pour «accumuler» de telles ressources !? En deux décennies !? Rétro-commissions ? Surexploitation de ses compatriotes ? Détournements ? Trabendo ?… Économies sur son salaire !? Ou alors, ce sont là des questions à ne pas poser ?
Combien d'autres histoires d'horreur de ce genre mon collègue recense-t-il en notre pays puisque, apparemment, ce serait loin d'être la seule ? Pourrait-il organiser une recherche ou un think tank financés par le FCE et «autres», sur ce sujet ? Ce serait tout à fait fascinant. Passons sur «l'étatisme» et les clichés, aussi expéditifs que surannés associant «étatisme» et «soviétisme»… comme si 70 ans d'Union soviétique pouvaient s'analyser en trois coups de cuillère à pot et comme si en Allemagne il n'y avait aucun étatisme, ni en Suède, ni en Norvège… Pourtant, parmi les meilleurs pays au monde sur tous les plans (mais eux ont de «vrais» Etats, pas des cliques de maffieux profiteurs cooptés-néocolonisés comme dans nos pays ou un pseudo-Etat tenu entre les crocs de lobbies – véritable hypercorruption légale – comme aux USA)…
Allons plus directement à l'essentiel de la quintessence du propos : le fameux incrémentalisme disjoint. Ce concept implique qu'une des hypothèses smithiennes soit réalité : l'égalité absolue d'une infinité de parties prenantes dans le jeu politico-économique. Or on sait que rien n'est plus faux (J. Stiglitz, dont fait mention mon collègue, a obtenu son Nobel sur un aspect de cette question : l'information asymétrique). Un certain James O'Connor (The Fiscal Crisis of the State, Massachusetts, MIT Press, 1973) tout aussi étasunien que les autres (et ce sans parler de superclassiques comme J. K. Galbraith, Baran & Sweezy, Thorstein Veblen…) a littéralement tordu le cou à cette notion de l'incrémentalisme disjoint tout simplement en démontrant que pour que ce ce genre de choses fonctionne, il faut un véritable pluralisme démocratique qui n'existe pas aux USA !
Pluralisme démocratique voulant que tout un chacun, théoriquement, soit capable de défendre ses intérêts à égalité devant l'Etat : depuis les défenseurs des grenouilles vertes du Maryland jusqu'aux lobbies des assurances ou des pétrolières ! Or qui ignore la différence de «poids» devant le Congrès ou devant la Maison-Blanche, de voix venant de groupes écologistes, de défenseurs de sans-abri, de Noirs, de jeunes, de chômeurs… en comparaison à GM, ITT, ATT, Monsanto, Goldman Sachs… Wall Street !? Qui est dupe de cette farce étasunienne de pluralisme démocratique de façade, indispensable à toute élémentaire idée d'incrémentalisme disjoint ? Les Algériens ? Allons !
De quelques pistes malgré tout
Pour qu'on ne m'accuse pas (encore) de «passer mon temps à critiquer sans rien proposer» et pour la énième fois, je répète :
– Au niveau mondial : comme l'a dit Chirac Lui-même, obliger les multinationales à payer des salaires de «dignité citoyenne» et «taxer leurs mirifiques profits».
– Au niveau macro : comme en Allemagne, Japon, Suède… où il y a des «Etats» dignes de ce nom : inscrire les politiques économiques et de gestion (cogestion par exemple) dans les constitutions et cesser de faire du capital et du patronat les rois et maîtres de tout.
– Au niveau méso : limiter les profits, dividendes… revenus des patrons à un seuil infranchissable qui est celui de s'enrichir sur le chômage, la pauvreté, la pollution, la mal éducation ou la mal santé… des masses (l'intérêt même des patrons est d'avoir des citoyens-employés les plus cultivés-sains possibles et une nature la moins dégradée qu'il se peut).
– Au niveau micro enfin : une entreprise (dont je ne nie nullement la cardinale utilité aux côtés d'un Etat qui joue son rôle d'Etat) qui n'est pas que machine à profits maximaux pour ses seuls «patrons» mais institution responsable, collégiale, qui comprend que le bien-être économique passe avant tout par l'ampleur du salariat, avec le souci du bien commun aux côtés de syndicats admis comme contrepoids démocratiques-gestionnaires naturels… comme en Allemagne.


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