Cinquante ans apr�s l�ind�pendance, l�Alg�rie conna�t un nouvel �t� de la discorde, une pol�mique sur l�orientation �conomique du pays. Les uns assimilent l�intervention de l�Etat � une tentative de p�renniser le syst�me rentier et � un recul d�mocratique � base islamo-conservatrice, les autres esp�rent un retour � un �ge d�or du d�veloppement et la prise en compte des forces li�es � la production. Dans un contexte de crise �conomique mondiale, les d�bats se t�lescopent. L��conomie alg�rienne est-elle coup�e du march� international et insensible � ses perturbations ? La sph�re m�diatique est r�guli�rement agit�e par de telles questions li�es � la probl�matique de la nature du syst�me �conomique alg�rien. Il en fut ainsi du d�bat sur le statut de Sonatrach, sur la politique industrielle, sur la l�gitimit� du plan de relance de l��conomie, sur les privatisations mais surtout du d�bat sur le r��chelonnement et l�ajustement structurel. Jusque-l�, le pouvoir a �vit� l�examen s�rieux de toutes ces questions, et la conf�rence �conomique et sociale organis�e par le pr�sident Zeroual n�aura �t� qu�une tentative de forcer un consensus autour du plan d�ajustement structurel et de l�int�gration de l�islamisme au sein des appareils de l�Etat, dans le cadre de la reprise du processus �lectoral. Mais le pouvoir n�aura su ni emp�cher la crise ni r�tablir les conditions de vie ant�rieures en mati�re d�emploi, d�habitat, de protection sociale, d��ducation ou de sant�. � Mazalna wakfin�, dit un message marchand qui croit flatter le patriotisme des Alg�riens. Debout, oui, mais � l�arr�t. Dans le d�bat, diff�rentes �coles s�affrontent. Et qui dit �coles dit id�ologies. Or, en mati�re d�id�ologie, il est toujours utile de s�en r�f�rer � Gramsci. Sa notion de bloc historique a mis � jour l�articulation entre structure �conomique et superstructure politico-id�ologique. Mais il a aussi montr� que la caract�risation d�une �tape du d�veloppement d�une soci�t� n�est possible que quand celle-ci conna�t son complet d�ploiement. C�est maintenant le cas du n�olib�ralisme alg�rien. Son succ�s se mesure � son h�g�monie. Alors que tant de monde parle de rente, il appara�t que les int�r�ts li�s au capital sp�culatif dominent la structure �conomique alg�rienne. Ce n�est pas le moindre des paradoxes, mais le n�olib�ralisme s�impose en masquant son existence m�me. Cependant, dans les faits, la stabilit� mon�taire est devenue le bien supr�me de la soci�t� alg�rienne tandis qu�une nouvelle doxa pr�ne l�id�e que �les profits d�aujourd�hui font les investissements de demain et les emplois d�apr�s-demain�. Les �vang�listes du march� mettent l�individualisme au commencement de tout. Ils chantent la gloire de la propri�t� priv�e, notre sauveur. La force de ce discours est la force de l��vidence. Ce qui est pr�cis�ment l�enjeu d�une controverse devient indiscutable et monsieur le professeur Ta�eb Hafsi peut lancer � ceux qui r�clament le d�bat : �L�exp�rience historique mondiale et celle, plus douloureuse, de l�Alg�rie ont tranch�.� Ce n�est plus de la propagande, mais un fait acquis, un huis clos historique. La sup�riorit� et le caract�re universel du n�olib�ralisme ayant �t� prouv�s, toute revendication, toute proposition de changement radical de la soci�t� et de l�Etat appara�t comme un nuage venant voiler un ciel azur�, et qu�on peut soup�onner de charrier une utopie, na�ve ou totalitaire, comme la nu�e porte l�orage. Et voil� paralys� le principe m�me de la vision novatrice et de l�action politique. La main invisible r�gle toutes les imperfections, balaie les injustices et impose l�id�e d�un Etat minimal. Depuis le colloque Lippman, � partir duquel le n�olib�ralisme lan�ait la conqu�te du magist�re intellectuel, jusqu�� nos commis indig�nes, le credo est le m�me : la verge n�est jamais assez longue pour battre l�Etat. �D�fendre l�entreprise�, un think tank alg�rien dont le programme se r�duit � plaider la cause, le patronat priv� intervient donc dans le d�bat pour d�noncer, comme attendu, le patriotisme �conomique. �L��tatisme �conomique est l�ennemi de la prosp�rit�. L��tatisme �conomique est souvent pr�sent� comme une forme de nationalisme. En fait, c�est une maladie organisationnelle. C�est l��tatisme �conomique, et non la menace externe, qui d�truit les soci�t�s nouvelles. Englu�es dans leur incapacit� � fonctionner, ces soci�t�s n�ont pas besoin d�ennemi pour les d�truire.� C�est � cette attaque en r�gle que le professeur Aktouf a tent� de r�pondre � travers la presse : �Que ce soit dans les �50 propositions�, dans les d�clarations et �crits r�cents de certains professeurs et/ou ex-ministres de l�Economie, de maints journalistes �sp�cialis�s�� il n�en est, en ce qui concerne l�Alg�rie, que de super-credo, � mon avis, plus n�olib�raux les uns que les autres.� La r�ponse du Forum des chefs d�entreprises ne peut que conforter le professeur Aktouf. En effet, son pr�sident estime que �ce type de discours antimondialiste� fait le lit de la bureaucratie locale contre laquelle se bat notre association.� Plus conciliant, Ali Bahmane �crit dans El Watan qu��une nouvelle �conomie alg�rienne ne peut faire l�impasse ni sur le lib�ralisme ni sur l��tatisme�. Peut-�tre sur le mode propos� par Pierre Rosanvallon pour qui les lib�raux modernes �ne th�orisent pas la limitation de l�Etat par le march�, mais visent au contraire � d�finir un type d�Etat consubstantiel � la soci�t� de march�, totalement immerg� en son sein� ? C�est ce type d�Etat qui a sauv� les temples du n�olib�ralisme lors de la crise des subprimes. Et il est remarquable, qu�en Alg�rie aussi, le n�olib�ralisme s�est install� non pas en rupture avec l�Etat, rentier, mais dans son prolongement. Et quoi qu�en dise Ta�eb Hafsi, commentateur de la vie mondaine et biographe des riches et des puissants, y compris Cevital qui s�est construit de cette fa�on, en s�appuyant sur le commerce des denr�es et en se pla�ant sous la protection de l�Etat alg�rien. Pour preuve, cette interview de son PDG qui sollicitait publiquement l�intervention d�un des principaux dirigeants de l�Etat pour faire face � un redressement fiscal. Depuis, il a su �voluer de l�import/import vers un mod�le productif qui � s�il est encore faiblement int�gr� � ne ferme pas la porte � une �volution positive. Il lui faudra, pour y arriver, se d�barrasser d�archa�smes comme celui qui consiste � refuser la mise en place d�un syndicat. Ce qui semble �tre � la fois un h�ritage du priv� national que du mod�le propos� par Samsung, l�entreprise sud-cor�enne avec laquelle monsieur Rebrab est en affaire. Mais le respect des libert�s syndicales sera plus le fait d�un Etat d�mocratique que d�une entreprise enferm�e dans la logique du profit. Les n�olib�raux exigent que l�Etat alg�rien abdique toujours davantage au priv�. Pourtant la privatisation de l��conomie est avanc�e. Mais elle est plus le r�sultat de la lev�e du monopole que l�effet de la privatisation des entreprises publiques. En 2002, la contribution du priv� au PIB s��l�ve � hauteur de 75% hors hydrocarbures. Dans le secteur agricole, 99,7% de la production est le fruit du secteur priv�. Le commerce priv�, qui repr�sentait 23% de la valeur ajout�e en 1990, atteint 97% en 1998. Mais il reste le secteur bancaire et Sonatrach. �Le syst�me financier alg�rien, poumon du d�veloppement et du pouvoir du pays doit �tre autonomis� et non �tre un acteur passif de la redistribution de la rente des hydrocarbures�, explique Abderahmane Mebtoul, le f�brile courtier de l�Association pour la d�fense de l��conomie de march�. Les banques publiques concentrent 90% des actifs alors qu�il y a plus de 20 banques priv�es �trang�res. Les plans de privatisation ont �t� retir�s au moment o� le priv� national faisait de plus en plus d�investissements de portefeuille. Est-ce contrariant ? Oui ! Alors qu�on a proc�d� � une recapitalisation de plusieurs milliards de dollars en pr�alable � une privatisation, il est apparu que les cr�ances irr�couvrables des banques publiques atteignaient 4,5 milliards de dollars, dont 600 millions, seulement, pour les entreprises du secteur public. Le reste ? Il va servir � acheter les banques� avec l�argent des banques ! L�emprunt obligataire organis� par Sonatrach a aiguis� les app�tits. La r�mun�ration propos�e fait r�ver de sa privatisation. �On veut tailler dans la chair de la Nation� mettait en garde Louisa Hanoune. Elle semble ne pas avoir vu que l�internationalisation de Sonatrach (investissements au P�rou, etc.) a servi au d�couplage de l�entreprise des n�cessit�s du d�veloppement national, pour se concentrer sur la rentabilit�. Cette attitude annon�ait les placements sur les march�s financiers internationaux auxquels Sonatrach a pu finalement proc�der. En 2012, cette diversification rapporte deux milliards de dollars � la soci�t�, et attise les convoitises des n�olib�raux. �Sonatrach fait face actuellement � un d�ficit en mati�re de savoir-faire et de technologie. Celle-ci n�cessite� un bon partenariat avec les compagnies internationales. Mais la question qui se pose est de savoir si ces partenaires accepteront la r�gle des 49/51%. La reformulation de la loi sur les hydrocarbures devrait marquer le passage d�un r�gime de partage de production � un autre dit de concession�, analyse Mebtoul. Et il ajoute qu��il s'agit de pr�parer un audit op�rationnel du patrimoine existant�. Les pr�dateurs ne cachent plus leur empressement � conna�tre la valeur de ce qu�ils veulent acheter ! Les pr�tentions des n�olib�raux se fondent sur la n�cessit� de d�passer l�Etat rentier. Mais ils en ont une conception erron�e dont on ne peut pas exclure qu�elle ne soit que feinte. Pour eux, l�Alg�rie �tant d�pendante, c�est donc un Etat rentier. Il est vrai que les hydrocarbures repr�sentent 98% des exportations et que le pays importe 75% de ses besoins. Pourtant le Japon aussi est d�pendant, il a besoin de mati�res premi�res pour son industrie et personne ne consid�re ce pays comme rentier. Oui, mais l�Alg�rie est un pays mono-exportateur, ce qui rend sa d�pendance plus grande, nous expliquent nos �conomistes estampill�s FMI. Pour finir de nous inqui�ter, ils ajoutent cette pr�cision qui fait trembler : nous d�pendons des cours internationaux. Mais, messieurs les n�olib�raux, quel est donc le produit dont le cours n�est pas fix� par le march� mondial ? Et puis le Nicaragua exporte presque exclusivement du textile et n�a qu�un seul client, les Etats-Unis ; il ne viendrait cependant � qui que ce soit l�id�e de qualifier ce pays de rentier. Mais c�est une production industrielle alors que l�Alg�rie exporte une mati�re premi�re. Allons donc ?! La C�te d�Ivoire tire les 2/3 de ses recettes d�exportation du cacao. C�est une richesse renouvelable diront nos experts d�cid�ment contrariants. Mais alors, si la part des produits raffin�s augmente et si les produits de nos exportations de capitaux s�accroissent, on peut consid�rer que l�Alg�rie n�est plus un pays rentier ! Le rapport du gouverneur de la Banque d�Alg�rie le confirme. Pour 2011, il pr�cise m�me que les int�r�ts des placements � l��tranger ont �t� de� 4,7 milliards de dollars. A la louche, cela couvre 10% de nos importations. Et un pays dont l�industrie ne repr�sente qu�une faible partie de son produit int�rieur brut est-il forc�ment un �tat rentier ? Faudrait-il consid�rer le Luxembourg, dont le secteur des services repr�sente 85% du PIB tandis que l�industrie et l�agriculture ne repr�sentent que 15%, comme tel ? Non ce n�est pas la m�me chose nous dirons ces savants qu�on imagine comme ces m�decins de Moli�re, proposant purges et saign�es, parce que nous sommes victimes du syndrome hollandais. Mais alors l�Angleterre et la France qui connaissent une d�sindustrialisation ininterrompue en sont-elles atteintes aussi ? A ce catalogue d�inepties on peut ajouter un article � la mode : la corruption. C�est un sympt�me majeur du caract�re rentier de notre �conomie ass�nent les n�olib�raux. Pourtant, les d�tournements auxquels a donn� lieu la construction de l�autoroute Est-Ouest paraissent bien modestes � c�t� de l�affaire Enron aux Etats-Unis. De la m�me mani�re, un pays o� l�informel repr�sente 40% de l��conomie nationale n�est pas forc�ment un Etat rentier. En Gr�ce l��conomie informelle contribue � 35% de la production de la richesse. Serions-nous un Etat rentier parce que les hydrocarbures contribuent pour 60% � la fiscalit� ? Mais fallait-il renoncer � l�ouverture �conomique afin que les recettes douani�res repr�sentent plus de 50% de la fiscalit� comme au Togo ? Enfin, le d�ficit budg�taire n�indique pas plus que le pays se vautre dans la rente. Auquel cas les Etats-Unis, dont le d�ficit budg�taire est abyssal, devraient �tre consid�r�s comme un Etat rentier. En fait, c�est m�me un indicateur de l�orientation n�olib�rale puisque le d�ficit sert � �ponger les surliquidit�s pr�sentes dans le syst�me financier et� � enrichir les banques, en freinant l�offre de cr�dit aux m�nages et aux entreprises. Le syst�me rentier a c�d� sous les coups de boutoir de la r�forme, de l�ouverture, de l�ajustement et des privatisations. Certes. Mais la n�gation de l�id�e qu�il y a bien eu un syst�me rentier est une tentative de d�construction du discours dominant qui se limite � une inversion formelle de celui du n�olib�ralisme qui r�fute sa propre existence en Alg�rie, afin d��viter d�avoir � rendre des comptes sur les ravages caus�s au pays. Toutefois, la critique doit aller plus loin. Les n�olib�raux ne regardant que l�individu � �la soci�t� n�existe pas� �, s�exaltait Margaret Thatcher, nous devons en revenir � l��conomie politique. Par l��tude des conditions sociales de production on peut caract�riser une formation �conomique et sociale et mettre les n�olib�raux en difficult� au plan conceptuel. Mais de ce point de vue, on peut voir, aussi, que la notion de rente n�est pas qu�un alibi du n�olib�ralisme, comme l��crit Abdelatif Rebah dans le journal �lectronique La Nation. Il vient pourtant de publier un livre qui retrace, avec force faits et chiffres incontestables par les n�olib�raux, l�exp�rience de d�veloppement et le processus d��dification des outils, Etat et entreprises publiques, qui ont permis le d�marrage de l��conomie de l�Alg�rie ind�pendante et dont il rel�ve les faiblesses, mais peut-�tre pas avec la force n�cessaire. Le n�olib�ralisme, lui, a su s�emparer des retards mis dans la r�forme de ces outils au moment o� le syst�me est entr� en crise. Il a fini par s�imposer face � ceux qui voulaient sortir de la crise du syst�me rentier sans sortir du syst�me lui-m�me. Et les n�olib�raux peuvent, encore, cyniquement d�noncer ceux qui s��meuvent de la r�gression socio�conomique sans envisager le co�t des non-r�formes. Si certains tenants du mod�le mis en place avec la nationalisation des hydrocarbures excluent qu�on le caract�rise comme rentier, c�est parce qu�ils n�admettent pas vraiment qu�il a connu une �volution contradictoire. Avant d�arriver � ses limites historiques, le syst�me rentier a, il est vrai, permis de liquider les vestiges du colonialisme et de mettre en place des rapports pr�capitalistes qui ont amorc� le d�veloppement industriel du pays. Pourtant, si cela est attendu des tenants de la pens�e n�olib�rale, il demeure d�routant que des intellectuels, se revendiquant des id�es de progr�s, fassent peu cas de la dialectique qui postule que chaque chose porte en elle son contraire. Et on prend le risque de glisser, d�s lors qu�on quitte le solide terrain de la dialectique. C�est le cas du professeur Rachid Bendib qui aboutit d�ailleurs aux conclusions inverses de celle d�Abdelatif Rebah. Son exp�rience de l�empire de la m�diocrit� � l�universit� de Annaba l�am�ne � postuler que non seulement le syst�me rentier existe bel et bien, mais qu�il est incapable de produire les forces de son d�passement. Dans ses nombreux travaux qui vulgarisent la notion de rente, il parle de mode de distribution rentier et m�me de non-�conomie, mais n��chappe pas � des contradictions insolubles. En v�rit�, des survivances de la rente n�indiquent pas une survivance du syst�me rentier. Le syst�me rentier se distingue nettement de la phase n�olib�rale qui lui a succ�d�. Il se particularise, d�abord, par l�inexistence du salariat, c'est-�-dire par l�absence de rapport d�exploitation capitaliste, en tout cas par leur non-dominance. Pour l�essentiel, le travail n�est pas une marchandise dont le prix est d�termin� par la loi de l�offre et de la demande. Le prix du travail est administr�, comme le prix de la semoule. D�termin� par les cours du baril. Les licenciements dans les entreprises publiques non performantes, la r�apparition du travail des enfants, le d�veloppement de l�emploi f�minin, l�explosion du secteur informel, le recours � la main- d��uvre �trang�re et la hausse des effectifs du secteur tertiaire g�n�rateur de profits sont les indicateurs de la transformation du travail en une marchandise. Ils ont une traduction : la d�gradation de la valeur des salaires sur la valeur ajout�e brute. Quant � la deuxi�me caract�ristique du syst�me rentier, elle concerne le d�calage entre les rapports de propri�t� (�tatiques) et les rapports d�appropriation (priv�s) li�s � un mode de redistribution bas�s sur le client�lisme. M�me si ce d�calage persiste, avec une moindre ampleur, il n�est plus au service de la reproduction du syst�me rentier mais joue un r�le dans l�accumulation capitaliste. Le professeur Belhassine rappelait, dans une contribution publi�e dans El Watan, que la rente p�troli�re n�est qu�une cat�gorie de la rente fonci�re. On sait quel r�le elle a jou� dans l��conomie f�odale mais aussi quel r�le elle joue toujours � l��poque capitaliste (cf Livre III du Capital de Marx). Comme le second servage en Europe centrale ou l�esclavage aux Etats- Unis, le capitalisme subsume les anciens rapports pour assurer son propre d�veloppement. �Il est, dans la longue perspective de l'histoire, le visiteur du soir. Il arrive quand tout est d�j� en place�, rappelait Braudel dans La dynamique du capitalisme. La pens�e n�olib�rale est devenue un mythe difficile � faire vaciller. Cependant, ni les m�dias ni les business- schools ne sont ses principaux propagandistes. C�est surtout le travail des politiques. Leur action consiste � d�terminer un itin�raire vers le changement institutionnel qui permette de r�aliser les buts du n�olib�ralisme. Et le rapport de force a �volu� en leur faveur. C�est pourquoi, malgr� le d�sastre plan�taire, ils n�acceptent pas de remise en cause de la doxa. Ils se contorsionnent et nous expliquent que la crise internationale est transitoire et va conna�tre un r�ajustement automatique, tandis qu�en Alg�rie la crise est structurelle, c�est celle du syst�me rentier. Il n�est donc pas surprenant que le pouvoir qui a, dans un premier temps, ni� la crise, en ait ensuite reconnu l�ampleur. Plus conscient ou sensible � l��volution des rapports de forces, il cherche � �largir sa base pour r�sister aux exigences de changement r�el. Le pouvoir peut faire volteface et passer du discours sur l��radication du terrorisme � celui de la r�conciliation nationale ; il peut �tre aussi � l�aise pour lancer �il ne faut plus parler de strat�gie industrielle mais de strat�gie d�exportation� que pr�t � se convertir au patriotisme �conomique. Il pratique l��quilibre entre incitation et coercition, cr�e des coalitions de circonstance et s�adapte en permanence. D�s le premier mandat de Bouteflika, Ouyahia pouvait annoncer que tout est privatisable. Au final, on retient surtout la vente du complexe sid�rurgique d�El Hadjar. Le mastodonte, consid�r� comme un tas de ferraille, sera une des rares entreprises qui attireront les IDE. Pas si mal pour un symbole de l��chec de l�industrie industrialisante. On est pourtant � une �poque o� le secteur industriel vient de r�aliser une v�ritable performance cach�e. En 1999, la production de 100 DA de CA par l�industrie publique a n�cessit�, dans sa globalit�, l�importation de seulement 20 DA d�inputs. Ce qui peut rendre ce potentiel attractif. Mais la bataille autour des privatisations a surtout permis d�accro�tre l�autonomie politique du pouvoir en cr�ant des agences de r�gulation qui d�pouillent les grandes entreprises nationales des pouvoirs souverains qui leur �taient accord�s. C�est le cas pour les hydrocarbures, les ports et les t�l�communications. Par ailleurs, l�ouverture commerciale s�est �tendue gr�ce � l�accord de libre-�change avec l�Union europ�enne. La d�cision avait, c�est m�me reconnu par le ministre du Commerce, un contenu autant politique qu��conomique. Il en fut de m�me pour l�accueil des investissements en provenance des pays du Golfe. La dette rembours�e, l�achat de bons du Tr�sor am�ricain, en plus de la coop�ration dans la lutte contre le terrorisme islamiste permet d�assurer une relative bienveillance de la Maison-Blanche. Le pouvoir est � l�aise pour poursuivre sa t�che. Certains milieux n�olib�raux sont pi�g�s car leur discours justifie aujourd�hui le patriotisme �conomique. Alors ils contestent la l�gitimit� du pouvoir. C�est ce que recouvre la pol�mique sur le concept d�incr�mentalisme disjoint. En s�attaquant � cette notion, le professeur Aktouf cr�e, � son tour, une br�che dans la l�gitimit� du discours des entrepreneurs qui pensaient avoir l�oreille des dirigeants politiques. En particulier le FCE qui, apr�s avoir r�agi de mani�re d�fensive � la loi de finances compl�mentaire de 2009, tente de reprendre la main en imposant une concertation globale autour de ses 50 propositions. Apr�s tout, il n�avait pas �t� le dernier � soutenir la candidature de Bouteflika. Ta�eb Hafsi explique le concept sur lequel s�appuie le lobbying patronal : �Lorsqu�une d�cision importante doit �tre prise, par exemple faut-il que l��tat assure une couverture m�dicale pour les plus pauvres ? Alors, �on ouvre la table� et tous les citoyens, individuellement ou collectivement, sont autoris�s � venir argumenter une opinion. C�est ainsi que des multitudes de memoranda et de rapports sont soumis aux commissions charg�es de l��tude� Gr�ce � cela toute d�cision est mieux �tudi�e que partout ailleurs, notamment mieux que par un organisme central. C�est l�incr�mentalisme disjoint qui permet le bon fonctionnement de l��conomie. En effet, lorsqu�on veut prendre des grandes d�cisions �conomiques, qui peuvent prendre la forme de lois, la participation large des acteurs, en particulier l�entreprise, permet de s�assurer que la d�cision consid�r�e est suffisamment �clair�e.� Ce bricolage pseudoth�orique veut se pr�valoir de la neutralit� de la technique, un peu dans le prolongement de la math�matisation de l��conomie. En voulant tout r�duire � des recettes les n�olib�raux esp�rent masquer leur indiff�rence au caract�re despotique ou d�mocratique de l�Etat. L�incr�mentalisme disjoint peut s�arranger avec la dictature, � condition qu�elle consente � �tre �clair�e par les entreprises. En v�rit�, les n�olib�raux les plus fanatiques s�inqui�tent peut-�tre pour rien. A moins de vouloir favoriser les illusions sur le contenu du patriotisme �conomique ? En effet, il est � craindre que le recours � cette notion ne serve qu�� mobiliser un nouveau segment de la soci�t� en l�associant au partage des fruits de la r�forme n�olib�rale : le capital productif national. Ce n�est pas une rupture avec l�orientation n�olib�rale ni m�me une rectification, c�est un levier pour venir � bout des obstacles institutionnels et des r�sistances dans la soci�t�. Et si on favorise la production nationale, les fondamentaux n�ont pas chang� : les 2/3 de la fiscalit� p�troli�re alimentent le fonds de r�gulation des recettes qui reste plac� sur les march�s financiers internationaux. Mais comme ni l�id�ologie n�olib�rale ni l�Alliance pr�sidentielle ne paraissent assez puissantes pour promouvoir une plus ample r�forme, il fallait trouver un discours qui agr�ge de nouvelles forces. Sur le ton apaisant de la r�conciliation bient�t globale, c�est la poursuite de la d�rive n�olib�rale. John Stuart Mill, le penseur lib�ral partisan de l�utilitarisme, nous livre le secret de l�approche : �L�intervention de l�Etat peut �tre n�cessaire pour contraindre les entrepreneurs � agir dans leur propre int�r�t � long terme.� Cela est vrai, aussi, pour ceux dont les int�r�ts sont li�s au capital financier ou commercial. La critique de l�argent sale n�est pas la critique de l�argent. A tous les n�olib�raux qui s�alarment, le pouvoir dira : vous continuerez � vous enrichir. Le mot d�ordre avait d�j� gagn� aux th�ses n�olib�rales les rentiers dont l�islamisme est l�expression paroxystique. Il convertira au patriotisme �conomique les plus z�l�s partisans du consensus de Washington. Y. T. * Membre du bureau national du MDS. [email protected]