Il a peut-être fallu du temps, et même beaucoup, pour connaître les suites ou encore le prolongement politique et institutionnel des élections générales du 30 janvier en Irak. Les résultats ont immédiatement donné lieu à d'incroyables spéculations, et dévoilé des ambitions que l'on savait irréalisables, à moins d'un coup de force. D'un autre côté, les tractations avaient pris des formes parfois inattendues, puisqu'il a fallu, là aussi, procéder à des primaires en règle au sein des formations gagnantes. Comme les chiites donnés gagnants, qui n'ont pu élire ou désigner leur représentant à la tête du prochain gouvernement que mardi seulement. Il s'agit de Ibrahim Jaâfari, chef du parti islamiste Daâwa, et qui a coiffé au poteau un autre chiite, mais laïc, Ahmed Chalabi. Ce dernier, qui dirige le Congrès national irakien (CNI), s'est retiré de la course « à la dernière minute » pour « préserver l'unité de l'alliance » et a qualifié cette nomination de « victoire pour l'Irak et pour la liste d'alliance ». « Cette nomination fait de M. Jaâfari le favori pour le poste de Premier ministre qui sera désigné à l'unanimité par un conseil présidentiel, dont les trois membres (un chef de l'Etat et deux vice-présidents) doivent être choisis par les deux tiers du Parlement. Il dirige le plus ancien parti chiite d'Irak, le Daâwa qui jouit d'une large popularité pour sa lutte contre le régime de Saddam Hussein, mais ses liens supposés avec l'Iran éveillent des inquiétudes. » « Nous allons commencer par la sécurité, car c'est une question qui ne laisse aucun répit aux citoyens », a-t-il déclaré. « Les intérêts de l'Etat se trouvent menacés par l'insécurité qui paralyse la reconstruction », a-t-il ajouté, annonçant son intention d' « augmenter les effectifs des forces de sécurité, d'améliorer leur efficacité et de renforcer leurs moyens ». Bien entendu, un tel choix est lourd de significations même si tout le monde, Américains en tête, semble s'en accommoder. Et dès hier, des représentants de formations kurde et sunnite se sont déclarés prêts à collaborer avec le candidat de la liste chiite majoritaire au poste de Premier ministre, l'islamiste Ibrahim Jaâfari. « Nous espérons que M. Jaâfari formera un gouvernement de transition le plus tôt possible parmi des personnalités de poids », a déclaré un responsable du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani. « Nous allons le soutenir et l'assister », a affirmé Mohammed Ihsane qui assure le poste de « ministre des droits de l'Homme » du PDK qui contrôle les provinces kurdes d'Erbil et de Dohouk, dans le nord de l'Irak. « M. Jaâfari est un militant de longue date de la lutte contre la dictature, il croit aux droits du peuple kurde dans un Irak fédéral et démocratique », a-t-il assuré. « En outre, il ne fait pas partie des hommes politiques chiites dogmatiques et il est dans les conditions actuelles le meilleur candidat à ce poste », a encore ajouté M. Ihsane. Le responsable kurde a toutefois déploré la « lenteur des consultations sur les désignations aux postes à la tête de l'Etat », tout en expliquant qu'« il y a une entente de principe sur le choix de Jalal Talabani comme président ». La liste d'alliance kurde, qui a obtenu 75 députés dans l'Assemblée de 275 sièges, a officiellement posé la candidature à ce poste de M. Talabani, chef de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) qui contrôle la province de Souleimaniyah, dans le nord-est de l'Irak. « Il est normal que la liste victorieuse désigne son candidat à ce poste et cette désignation a été le fruit de tractations, ce qui est en soi un bon signe », a déclaré pour sa part un responsable du Mouvement des démocrates indépendants du sunnite Adnane Pachachi qui n'a remporté aucun siège au Parlement. « Nous sommes ouverts à une coopération avec lui et c'est ce que n'a cessé de dire et de répéter M. Pachachi », a déclaré Jalal Machta, en appelant toutefois M. Jaâfari à « prendre en compte le fait que la participation dans de nombreuses provinces (sunnites) a été faible, que certaines forces n'ont pas participé au scrutin et que d'autres n'ont pas pu élire de député en dépit de leur longue histoire politique ». Quant aux Etats-Unis, ils se sont empressés d'affirmer qu'ils étaient prêts à travailler avec le nouveau gouvernement qui émergera en Irak. Dans le même temps, un responsable du Pentagone a affirmé que le gouvernement intérimaire irakien n'excluait pas d'établir un contact avec des chefs de groupe d'opposants qui semblent de leur côté infléchir leur position après les élections du 30 janvier. Le magazine Time avait affirmé dimanche que des responsables du Pentagone ont été en contact direct avec des représentants de l'opposition sunnite irakienne afin de négocier la fin des attaques contre les troupes américaines. Ce qui demande bien entendu à être confirmé, car l'opposition armée irakienne reste la grande inconnue, une nébuleuse mal appréhendée, puisque toutes les hypothèses à son sujet ont été développées, passant de groupe restreint isolé localement à une véritable armée avec des dizaines de milliers de combattants, d'anciens bâathistes. Enfin un très large éventail.