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« En Tunisie, on colle aux opposants des procès de droit commun pour les mettre en prison » Jalel Ben Brik. Frère de Taoufik Ben Brik, journaliste opposant tunisien
Taoufik Ben Brik a été emprisonné hier en Tunisie. Une femme a porté plainte contre le journaliste et opposant tunisien pour agression. Ses proches parlent d'une provocation du président Ben Ali, une affaire montée de toutes pièces. Jalel Ben Brik, son frère, nous explique le fond de l'histoire. Votre frère est incarcéré à Tunis depuis hier. Pour vous, il est tombé dans un piège. Que s'est-il passé ? D'abord, il faut vous rappeler que Taoufik a fait campagne dans la campagne de Ben Ali pour la présidentielle : une quarantaine d'interviews pour la presse internationale où il dénonçait la course individuelle du président tunisien dans cette élection mascarade. Vendredi dernier, alors qu'il venait chercher sa fille à l'école à bord de sa Clio vieille de quinze ans, mon frère voit une R19 l'emboutir. Une belle jeune femme sort alors de la voiture en le traitant de tous les noms et déchire ses habits. Visiblement, elle voulait le provoquer pour qu'il réagisse en l'agressant. Mon frère a bien compris le manège, il est resté calme et lui a demandé à répétition : « Est-ce que tu es de la police ? », sans réponse. Après l'altercation, plusieurs policiers (visiblement à l'affût du moindre débordement de la part de Taoufik) sont arrivés à vive allure. Mon frère est monté aussitôt dans sa voiture et a pris la fuite avec sa fille. Le lendemain, à la télévision, le président Ben Ali avec un ton agressif appela les citoyens à faire barrage aux détracteurs des élections tunisiennes. Une convocation a été envoyée à mon frère. Nous nous sommes présentés au commissariat avec des amis avocats, journalistes, politiques. Mon frère a été entendu pendant deux heures, puis on nous a indiqué qu'il avait été écroué à la prison de Bouchoucha à Tunis. Il est présenté ce vendredi au tribunal. Pensez-vous que c'est une affaire montée de toutes pièces pour emprisonner un opposant ? Bien évidemment, oui. Ces derniers temps, le régime a décidé de ne plus faire de procès politique contre ses opposants. Il a trouvé un moyen indirect de les faire taire. On leur colle des procès de droit commun pour les mettre en prison. Le régime l'a fait avec Hamma Hammami, le porte-parole du Mouvement des travailleurs, tabassé par la police à l'aéroport. Il s'est vu accusé d'avoir violenté un citoyen et vit désormais dans la clandestinité. Le correspondant de l'Agence France Presse à Tunis lui, a été carrément accusé de viol. Moi-même, avocat avec interdiction de plaider selon la consigne de Ben Ali (qui a dit que personne chez les Ben Brik ne doit travailler), j'ai subi la même chose. En 2001, j'aurais tabassé trois policiers, en 2003, j'aurais cassé les phares de la voiture d'un policier, en 2004 j'aurais tabassé des citoyens en cassant toutes les chaises d'un café. Tout cela pourrait prêter à sourire si ce n'est que j'ai écopé de huit mois de prion ferme pour ces faits imaginaires. Le président Ben Ali a été réélu avec plus de 89% des voix. Qu'est-ce que cela vous inspire ? De la résignation ? Sincèrement, cette élection, c'était comme un combat de boxe avec un gros molosse, alias Ben Ali, et plusieurs petits poulains qui se présentaient contre lui tout en le soutenant. Le parti au pouvoir a pris pratiquement tous les sièges et a donné quelques miettes aux autres : 89% pour Ben Ali à la présidentielle, 5% pour le candidat proche du pouvoir, 3% pour un autre faux opposant. Quant à Ahmed Brahim, le véritable opposant dans cette campagne, on lui a interdit de distribuer ses tracts aux citoyens, ses interventions à la télévision n'étaient pas diffusées aux heures de grande écoute, et finalement il s'en est sorti avec un maigre 1%. Quelle est la suite des opérations concernant Taoufik Ben Brik ? Vous savez, Taoufik est un symbole en Tunisie, celui de la liberté de la presse. Il est très connu dans le monde. On pensait donc naïvement qu'il était intouchable. Eh bien non, le régime l'a mis en prison pour bien avertir les opposants. On peut vous incarcérer à tout moment ; donc, taisez-vous. Nous avons alerté Reporters sans frontières, Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l'homme, et nous comptons surtout sur nos cousins algériens qui ont été d'un grand secours lors de la grève de la faim de Taoufik Ben Brik en 2001. Taoufik me confiait quelques heures avant d'aller en prison : « J'étais et je resterai un journaliste écrivain indépendant à la maison ou en prison. Je ne quitterai jamais la Tunisie. » Nous allons tout faire pour qu'il ne reste pas dans les geôles de Ben Ali.