A seulement 31 ans (elle est née le 2 janvier 1982 au Caire), Dalia Ziada croule sous les prix et les distinctions internationales et s'impose comme une activiste de premier plan en Egypte. Après avoir roulé sa bosse dans plusieurs ONG, Dalia est aujourd'hui directrice exécutive du Centre Ibn Khaldoun pour les études de développement. Ce centre de recherche indépendant est considéré comme leader en matière de lutte pour la démocratie et les droits humains en Egypte et dans le Monde arabe. Il a été fondé en 1982 par le célèbre sociologue et opposant Sadd-Eddine Ibrahim. Dalia Ziada est connue pour son engagement de longue date comme militante des droits humains et de la cause féminine en Egypte. Elle est politologue à la base, diplômée de la prestigieuse Fletcher School for Law and Diplomacy (Massachusetts). Ironie du sort, elle qui conteste vigoureusement le «despotisme» des «Ikhwane», a son bureau à 200 m à peine du quartier général des Frères musulmans, à Al Mokattam, dans la banlieue sud du Caire. Outre ses activités militantes et ses travaux académiques, Dalia est connue aussi comme écrivaine, poétesse et blogueuse. Parmi ses livres, Où va l'Egypte? (Editions Tharwa, Le Caire, 2008). Son dernier recueil poétique, paru en 2010, résonne comme un cri prophétique. Il s'intitule tout simplement NON ! Dalia est, par ailleurs, l'auteure d'une importante étude sur Les régimes arabes et l'internet (2006). On lui doit, par ailleurs, la création du premier Festival du cinéma des droits de l'homme en 2008. Le magazine américain Newsweek l'a élue comme l'une des personnalités féminines les plus influentes du Monde arabe en 2011. Dalia Ziada est également lauréate du prix Anna Lindh de journalisme pour son rôle dans les médias sociaux. Le Times en a fait son égérie pour le combat des femmes en 2009. Tout cela pour dire que Dalia Ziada est l'une de ces figures qui, par leur capital luttes, ont alimenté en sourdine l'insurrection du 25 janvier 2011. Quand nous l'avons rencontrée, nous avons été frappés par le décalage entre son parcours époustouflant et l'extrême simplicité de sa personne et son visage juvénile surtout. Habillée en jean, la tête coiffée d'un foulard, Dalia se confond en excuses pour 10 minutes de retard, empêtrée qu'elle était dans les embouteillages du Caire. «J'ai suivi un entraînement à l'action non violente» En ce second anniversaire de la chute de Moubarak, Dalia résume ces deux ans de soubresauts démocratiques en disant : «Nous avons su faire tomber un dictateur, mais nous ne savons pas comment construire une démocratie.» Pour elle, le régime des Frères musulmans est un régime autiste qui ne veut pas coopérer avec la société civile. Dalia indique que l'ensemble de ses initiatives militantes ont toute une matrice commune, à savoir la doctrine de l'action non violente. Elle nous confie dans la foulée qu'elle a reçu une formation aux Etats-Unis et en Serbie pour s'entraîner aux méthodes de la résistance non violente. «J'ai reçu un entraînement sous l'égide de l'ONG Canves qui a été créée par les révolutionnaires serbes et qui est spécialisée dans ce type d'action. J'ai suivi également un autre stage sous la houlette de The International Center for Non Violent Conflicts, qui est basé à Washington. L'ensemble de ces méthodes sont inspirées des idées de Gene Sharp, qui est l'un des principaux théoriciens de la non-violence. Après, j'ai encadré moi-même des activistes en Egypte pour leur inculquer ces méthodes.» Cette proximité des ONG américaines ne sera pas sans conséquences pour Dalia, qui se verra accusée d'être un pur produit des laboratoires yankees, ce dont elle se défend énergiquement, en épinglant au passage la théorie du complot qui prête le Printemps arabe exclusivement aux officines occidentales. «Ce que j'ai appris auprès de ces ONG est juste un savoir-faire. Ces organisations ne se mêlent pas des pays concernés. Elles ne financent pas la révolution. Elles vous donnent juste des outils et c'est à vous de savoir les utiliser.» Dalia rejette de la même manière la thèse qui réduit l'insurrection de 2011 à une «bravade facebookienne». Elle estime que la révolution égyptienne est le fruit d'un cumul de luttes. Celles-ci sont incarnées à ses yeux par la personnalité de son mentor, Saad Eddine Ibrahim, dont l'engagement pour la défense des droits de l'homme lui a coûté une condamnation à 7 ans de prison sous Moubarak, dont il purgera trois. «Je suis contre l'idée que la génération d'avant n'a rien fait. Sans des gens comme Saad Eddine Ibrahim, ma génération n'aurait pas existé, et nous, à notre tour, nous préparons le terrain aux générations futures. Le changement est la seule chose qui ne change pas.» Suite aux derniers événements, Dalia Ziada est montée au créneau pour dénoncer cette vague de répression qui s'est abattue sur les manifestants anti-Morsiens appelant carrément à juger le président islamiste. «Nous allons préparer une liste des personnes tuées, enlevées, ou victimes de violations des droits humains et nous allons œuvrer pour traduire Morsi devant la Cour pénale internationale», a-t-elle annoncé dans un communiqué au nom du Centre Ibn Khaldoun. Le président Morsi, ajoute-t-elle, n'a plus aucune légitimité et devrait être destitué ainsi que son gouvernement. Elle estime que les actes de violence commis par les manifestants «n'ont rien d'une violence anarchique». «C'est une violence politique, organisée, et parfaitement contrôlée, destinée à délivrer un message précis.» Il s'agit, de son point de vue, de répondre à la violence des islamistes. Dalia Ziada n'hésite pas à apporter son soutien à ce nouveau groupe d'activistes qui se fait appeler les «Black Blocs», et qui n'hésite pas à user de la violence contre les symboles de l'Etat et du régime «Ikhwane» pour faire parler de lui. «Les Blakcs blocs ne sont pas des terroristes (…) Ce sont des enfants du peuple égyptien. Ils ont senti que la révolution a été détournée et ils agissent pour prouver qu'ils détiennent toujours les outils de la révolution», déclarait-elle récemment à la chaîne Al Yaqine. Dalia Ziada considère que l'un des enjeux des futures batailles est la formation des jeunes qui ont fait tomber Moubarak afin de se jeter dans l'action politique. D'ailleurs, elle fut elle-même candidate malheureuse aux législatives de novembre 2011. «J'ai beaucoup appris de cette expérience. Le fait est que j'ai toujours été une activiste, mais je ne suis pas une politicienne. Les jeunes révolutionnaires croient que c'est chose facile de se porter candidat. Si nous avons échoué dans ces élections, c'est parce que nous n'avons pas suffisamment d'expérience électorale. Nous ne savons pas comment gérer une campagne électorale. De là m'est venue l'idée de créer une académie pour former de jeunes cadres à ce type d'action. Ainsi, d'ici quelques années, nous serons capables de placer les jeunes qui ont fait la révolution dans les rouages de l'Etat», explique-t-elle. Dalia nous fait part de son ambition de se présenter à la présidentielle de… 2022. «Je suis en train de me préparer dès maintenant. Qui sait ? Je serai peut-être la première femme présidente en Egypte.»