Le gouvernement a décidé de dissoudre l'organisation des Frères musulmans. Si l'information est connue depuis hier, elle ne sera annoncée officiellement que la semaine prochaine ! Al-Sissi veut-il donner encore du temps aux Ikhwan qu'il ne désespère pas de voir rallier à sa feuille de route visant à rebâtir l'Egypte post-Printemps arabe ? La raison invoquée pour déclarer hors la loi l'ONG des Ikhwan est qu'elle n'a pas de statut légal. Ce qu'elle conteste en affirmant s'être officiellement enregistrée au mois de mars dernier sous le nom de "fraternité" ; il est vrai lorsque Morsi était au firmament de son pouvoir. Cette décision est tombée juste après l'attentat contre le ministre de l'Intérieur égyptien, près de son domicile dans le faubourg de Nasr City. Vingt et une personnes, dont dix policiers, ont été blessées dans cet attentat perpétré jeudi au Caire, à l'aide d'une voiture piégée contenant près de 50 kg d'explosifs. Le mode opératoire du terrorisme islamiste. Le général Mohamed Ibrahim, ministre de l'Intérieur, avait directement commandé la dispersion des sit-in des Frères musulmans le 14 août à Nahda et à Rabaâ al-Adawiya, au cœur du Caire, qui avait fait des centaines de morts. La place Rabaâ al-Adawiya est située non loin du lieu de l'attentat. Les enquêteurs parlent d'un attentat "sophistiqué", évoquant la possibilité de participation d'éléments étrangers. Pour autant, cette opération marque une escalade de la confrontation entre les partisans de l'ex-président Morsi et le pouvoir drivé par les militaires. Mais, c'est la première fois qu'un attentat d'une telle envergure a lieu au Caire depuis les années 1990. À cette époque, les affrontements entre les extrémistes djihadistes et le pouvoir détenu d'une main de fer pourtant par Moubarak avaient fait près de 2 000 morts. Malgré la condamnation de l'attentat par les Frères et leurs alliés de la Jamaa Islamiya, la plupart des partis laïcs et libéraux accusent la confrérie d'être directement ou indirectement responsable de l'opération. L'Alliance contre le coup d'Etat, coalition islamiste chapeautée par les Frères musulmans, la confrérie de Morsi, a condamné l'attentat "quels qu'en soient les auteurs" et réaffirmé son "approche pacifique". La Jamaa islamiya, responsable de plusieurs attentats dans les années 1990, a également pris ses distances, dénonçant cet attentat et se prononçant "contre le terrorisme". Le général-ministre a aussitôt mis en garde contre "une vague de terrorisme" en Egypte, alors que le pays est pris dans un engrenage de violences meurtrières depuis que l'armée a sonné, le 3 juillet, la fin de la récréation islamiste en destituant Morsi et les institutions à majorité islamistes que celui-ci avait promu. En effet, cet attentat fait planer le spectre d'un retour aux attentats et attaques sanglants dont le processus a été de fait inauguré dans le Sinaï, théâtre d'opérations terroristes de grande ampleur malgré la présence importante de l'armée et la "collaboration" d'Israël. Les autorités installées par l'armée, qui ont restauré l'état d'urgence et imposé un couvre-feu nocturne le 14 août, ont promis d'agir "d'une main de fer" contre quiconque menacerait "la sécurité nationale" et affirmé qu'elles ne permettraient pas un retour du "terrorisme des années 1980/90". Les spécialistes, y compris en Egypte, avaient prévu une telle escalade, après le sanglant bras de fer entre les Frères et le nouveau pouvoir, notamment les violences qui ont suivi la destitution et l'arrestation de Morsi. En effet, selon divers sources qui se recoupent, les Ikhwan ont renoué avec les méthodes de la clandestinité. Rompus à la clandestinité, leurs nouveaux cadres — les précédant ayant été pour la plupart incarcérés dans le sillage de Morsi — ont rapidement retrouvé les réflexes d'antan face à la répression qui s'abat sur eux. Depuis que l'armée a dispersé dans le sang les manifestants islamistes qui ont campé pendant plus d'un mois sur deux places du Caire, plus de 1 000 activistes, militants et partisans de Morsi, ont été tuées. Le double est en prison dont une première charrette de 50 a écopé de plus de dix années de prisons. Selon les nouveaux chefs des Ikhwan, "c'est pire que sous Moubarak", qui a régné plus de 30 ans sur l'Egypte avant d'être renversé début 2011 par une révolte populaire. Car, en plus de la violence des forces de sécurité, il y a l'hostilité des gens. "Beaucoup ne veulent même plus avoir de voisins Frères musulmans", ont déploré des interviewés par des agences de presse au Caire. La vague de répression a touché, outre Mohamad Morsi dont le procès est annoncé pour bientôt, la tête des Ikhwan avec l'arrestation, le 20 août, de son guide suprême, Mohammad Badie et, quelques jours auparavant, de ses adjoints et plusieurs cadres de premier plan. La confrérie s'est cependant empressée de nommer un guide suprême par intérim, Mahmoud Ezzat, qui a la réputation d'être un dur, mais qui n'a jusqu'ici fait aucune apparition en public. Les experts n'enterrent pas si vite les Ikhwan même si leurs représentations sont déstabilisées. Reste à savoir s'ils pourront se revigorer avec l'entrée en jeu du terrorisme ? D. B Nom Adresse email