«Dès que le vent de la contestation sociale se met à souffler, le wali s'installe à l'antenne pour calmer les choses et dénigrer les protestataires.» Mourad, militant associatif d'une wilaya de l'Est, a perdu toutes ses illusions sur la mission de sa radio régionale. Il n'est pas le seul. «A Ouargla, en dehors des infos locales sportives, il n'y a rien d'intéressant à l'antenne, commente un jeune supporter du club Chabab Beni Thour. Je préfère encore écouter la Chaîne 1 plutôt que Radio Ouargla, qui n'est ni plus ni moins qu'un carnaval fi dechra.» Un jugement trop dur ? D'après un ancien de la Radio nationale, pas tellement. «Ce qui devait être au départ des radios de proximité s'est transformé en un réseau de propagande pour les autorités locales. Avec la complicité des directeurs des radios auxquels on ne peut pas vraiment en vouloir, car ils doivent à la fois faire face aux pressions des autorités locales sans avoir le soutien de leur direction.» Mais pour comprendre comment on en est arrivés là, il faut remonter à l'origine du projet de radios régionales. «Tout est parti de la création de la chaîne franco-marocaine Médi 1, dans les années 1980, qui est rapidement devenue la radio de référence en Algérie, se souvient un cadre de la maison. L'émetteur utilisé par la Radio nationale n'était pas assez puissant pour rivaliser avec celui des Marocains. Suite à un audit, on s'est rendu compte que la réfection des émetteurs installés par le France coûterait trop cher. Relais Les choses sont restées en l'état. Mais après la décennie noire, le pouvoir s'est rendu compte qu'il lui fallait un relais auprès de la population.» Un responsable de la radio à Alger souligne aussi : «Le but principal de ces stations locales est de maintenir le lien entre les Algériens qui sont le plus éloignés de la capitale et le pouvoir central.» Les walis ont très vite compris l'intérêt d'un tel relais. Beaucoup ont harcelé la direction générale pour qu'une radio locale ouvre dans leur wilaya. Pour Mohamed Oumeiri, responsable chargé des radios locales, ce genre de station constitue plutôt un «trait d'union entre les autorités et les citoyens» : «Avec 48 radios locales qui émettent treize heures par jour, le citoyen peut être à l'écoute, s'informer et même s'exprimer. Une radio locale peut, dans ce cas précis, mieux servir qu'une Radio nationale. Elle constitue la voix même des auditeurs.» A l'Est, avec l'émergence de la bande FM tunisienne, l'enjeu était presque le même qu'à l'Ouest. Hassan, chauffeur de taxi, entre Annaba-ville et Sidi Amar (à une quinzaine de kilomètres), estime que la radio locale est là pour contrer la concurrence des voisins : «Nous ne sommes qu'à 90 km à vol d'oiseau de la frontière tunisienne et à 300 km de Tunis. Instructions Forcément, les radios tunisiennes et parfois même la télé sont très suivies. Le paysage radio tunisien s'est libéralisé ces dernières années et réussit à produire des grilles vraiment variées. Annaba FM pourrait rivaliser avec les Tunisiens, d'autant qu'elle est écoutée à Guelma et à Souk Ahras, mais ses programmateurs doivent être plus imaginatifs. Il faudrait peut-être donner davantage la parole à la société civile.» Sur le site Siwel, certes proche du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie, un journaliste anonyme de Radio Tizi Ouzou assure même qu'à l'antenne, «les intervenants sont toujours des directeurs et des fonctionnaires de l'administration.» «Nous avons reçu des instructions de ne jamais parler du FFS et du RCD sans autorisation. Pour ce qui est du MAK, il nous est même interdit d'y penser. Une liste de chanteurs et chansons interdites à l'antenne a été remise au directeur, peut-on lire. Il s'agit d'une quarantaine de chansons d'Aït Menguellet, une cinquantaine de Lounès Matoub. Des chansons d'Idir et d'Idaflawen sont également concernées par cette interdiction. Il y a deux chanteurs qui sont carrément interdits, même d'évoquer leurs noms n'est pas permis par la radio de Tizi Wezzu. Il s'agit de Ferhat M'henni et d'Oulahlou.» Formation Mokrane, receveur sur la ligne Tizi Ouzou-Tizi Rached, enrage : «C'est une Chaîne II bis, couleur locale ! L'avenir de la radio en Algérie ne passe pas par la création de nouvelles stations régionales, histoire d'endormir les gens, mais par l'ouverture de véritables radios privées, d'une radio publique digne de ce nom et par le recrutement d'animateurs professionnels.» Car, comme le souligne un ancien de la maison, l'autre problème des radios locales, c'est le manque de moyens. «Les radios fonctionnent avec le strict minimum et des journalistes pas très performants faute de formation.» C'est aussi ce qu'on dit à Annaba, où de nombreux Bônois écoutent Annaba FM dès 7h. «Une station radio régionale, c'est une preuve que les médias officiels se décentralisent et se rapprochent de plus en plus des gens, reconnaît Samir, jeune réceptionniste dans un hôtel, mais les programmes sont complètement à revoir. Ils ne sont pas intéressants, hormis peut-être pendant le mois de Ramadhan. Moi qui suis fan de musique, je n'arrive pas à comprendre pourquoi on ne nous fait pas écouter les morceaux jusqu'à la fin. Quant aux présentateurs, ils sont souvent médiocres.»