Dimanche 15 novembre, lendemain de « the » match Algérie-Egypte. Si la rue algérienne, forte de l'avance dans le classement détenue par l'équipe nationale, a vibré des jours durant au rythme de la qualification « inévitable », les supporters ont déchanté. Un premier but encaissé en début de match, puis un second dans les dernières secondes de la rencontre auront eu raison de l'euphorie et de l'enthousiasme « verts ». Après le coup de sifflet final, un silence de plomb pesait sur les villes du pays. Abasourdis, déprimés, les citoyens ont « remis à plus tard » les festivités prévues. Seule une poignée d'irréductibles ont bravé la tristesse et l'angoisse de rigueur, de timides klaxons ayant été entendus ça et là. Le lendemain matin de la défaite des Verts, les Algériens ne semblaient toujours pas s'être remis de cette « douche froide ». Et cette déception était toujours palpable à l'atmosphère de « gueule de bois » qui régnait dans les rues. Routes quasi désertes, drapeaux décrochés des balcons, Alger peine à se réveiller de cette soirée à rebondissements et à digérer ce qui était de l'ordre de l'impensable quelques heures auparavant. Visages fermés, yeux cernés, les Algériens affichent des mines grises, en « refaisant » le match, sujet qui revient naturellement sur toutes les lèvres et dans toutes les conversations. A l'unanimité, on juge que la rencontre n'aurait jamais dû avoir lieu. « Lorsque vous voyez, en entrée de jeu, des joueurs avec un bandage sur la tête qui leur tombe sur les yeux ou un pansement au poignet, vous vous dites que quelque chose ne tourne pas rond ! », s'énerve un jeune supporter. « Moi si j'avais été les autorités, j'aurais fait rapatrier les joueurs dès leur agression », renchérit un quinquagénaire. Faisant écho à la question qui taraude l'esprit de nombre d'Algériens, il s'interroge : « Mais qu'a fait la FIFA ? Le gouvernement ? » « Nous avions tout préparé. Le dîner de fête en famille, les réjouissances, le défilé jusqu'à l'aube… Après le deuxième but, nous avons tout mis au congélateur », raconte un père de famille. Il ajoute, perplexe : « Nous réchaufferons tout cela mercredi… Heureusement qu'il nous reste encore cette chance. » Mais au fur et à mesure que la journée avance, les Algérois semblent sortir de leur torpeur. Ils reprennent espoir qu'en terrain « neutre », leur équipe fasse carton plein contre les Egyptiens. D'autant plus que les informations qui filtrent et parviennent peu à peu quant au déroulement explosif du match ne sont pas pour rassurer. Elles convainquent même que cette défaite n'est rien moins que salutaire pour tous. « Les Verts auraient gagné ou se seraient qualifiés, ils se seraient tous fait tuer ! », lance une jeune femme, ajoutant : « C'est un mal pour un bien. » Son ami abonde dans ce sens, affirmant : « D'après ce que j'ai entendu dire, il y a eu du grabuge. L'Egypte ne semble pas avoir respecté ses engagements ! » Les nouvelles du « front » sont plus qu'alarmantes : des blessés, voire des morts, des bus entiers, y compris celui des joueurs, caillaissés, et cela sous le regard complice des policiers ! Indignés, les esprits s'échauffent, l'aura des Verts s'en trouve rehaussée dans le cœur des Algériens qui reprennent confiance et assurance. Puis c'est « l'émeute verte ». La fête. Il se murmure dans la rue qu'Air Algérie accorde un billet gratuit à quiconque désire aller à Khartoum afin de porter haut les couleurs de l'Algérie. La rumeur enfle et la fièvre s'empare des supporters, même des plus refroidis. Vers les coups de 11h, un attroupement se crée devant les locaux de l'agence d'Air Algérie, rue Pasteur, qui est prise d'assaut. Une vingtaine de jeunes hommes campent devant les grilles du transporteur aérien afin de se procurer un billet. « A ce qu'il paraît c'est gratuit, tout est pris en charge sur ordre du président de la République », avance un tifosi, tandis qu'un autre lui répond : « Mais non, c'est 5000 DA le billet. » Puis ils sont rejoints par une dizaine d'autres jeunes. Puis une vingtaine... A mesure que la foule grossit, les drapeaux sont ressortis, brandis fièrement et les chants d'encouragement scandés, doucement puis de plus en plus fort. Attirés par la cacophonie, des dizaines de passants, femmes, hommes, jeunes et vieux, s'agglutinent dans la rue, s'unissant, dans une ambiance bon enfant et survoltée, à cette manifestation de soutien spontanée au onze national. On chante, on danse, on crie, on siffle, on lance des youyous tonitruants. On y croit surtout. Plus que jamais. « Mâak ya Saâdane, n'rouhou l'Soudane (avec toi Saâdane, nous irons au Soudan) ». « One, two, three, viva l'Algérie ». Ils sont maintenant des centaines de supporters ou de badauds amassés, bloquant ainsi la circulation dans l'artère algéroise, et ce, malgré les vaines tentatives de « canalisation » entreprises par les forces de l'ordre. Après une morne matinée, il s'avère que la confiance n'a été ébranlée que momentanément. La flamme est rallumée. Et de plus belle, même. Les emblèmes sont raccrochés aux immeubles et sur les voitures, les tenues des Verts sont « ré-endossées ». Sur les places publiques, des dizaines de jeunes se ruent, passeport à la main, vers les agences Air Algérie. Et les inévitables cortèges et défilés de voitures égayent de nouveau les villes. Cette euphorie, cette effervescence vont de pair avec cette volonté affichée d'être du voyage et de contribuer à inverser la tendance. Mais elle est surtout motivée par l'affliction et la consternation ressenties suite aux tragiques et scandaleux événements survenus au Caire, qui auraient coûté la vie à des concitoyens. « Il ne s'agit plus de football, de perdre ou de gagner un match ! Il y a eu mort d'homme ! », s'écrie un père de famille, qui poursuit, pessimiste : « Si les autorités, à leur tête la FIFA, ne réagissent pas, ils auront du sang sur les mains… Celui qui a coulé en Egypte, mais aussi et surtout celui qui va assurément être versé à Khartoum », prédit-il. « Car si tout le monde a parlé de bataille au Caire, au Soudan, ça sera la guerre ! »