La captation de la laïcité, par les revendications communautaires, envenime l'exercice démocratique, qui finit par bloquer la démocratie elle-même, en l'absence de grand débat qui implique tout le monde, suivi d'un large consensus national. La laïcité, bien que garante des droits des citoyens et leur égalité devant les lois de la nation, risque de se convertir en un mécanisme de défense au service des revendications communautaristes légitimes, mais bien souvent restreintes, spéculatives et anxieuses. La laïcité se trouve alors opposée à la démocratie si celle-ci débouche vers un choix que ces communautés jugent menaçant à leur mode de vie, de culte ou à leur conception de la citoyenneté, le tout dans un contexte international qui, plus que jamais, leur est favorable. La confrontation entre laïcité et islam politique, communément appelé islamisme, dépasse les enjeux idéologiques pour se positionner sur le terrain du belliqueux, au point de compromettre dangereusement le vivre en commun et l'avenir du pays. Chacun voudrait effacer l'autre politiquement, voire physiquement. Pour l'islamiste, le laïc est une sorte de démon, d'athée qui veut chasser Dieu de son domaine et dont il faudra se débarrasser, il refuse tout débat sur le concept même de laïcité et sa place dans l'islam en tant que forme de gouvernance équitable et donc juste, qui se met à égale distance entre toutes les confessions et idéologies, évite la prééminence d'une religion sur les autres, assure et protège leur exercice dans la sphère qui leur est propre, c'est-à-dire privée, de plus l'islam sunnite ne reconnaît aucune autorité ou institution qui le gère, à l'instar de l'Eglise catholique, et encore moins une gouvernance politique. L'islamiste n'arrive pas à admettre qu'un croyant puisse être laïc et que l'un n'exclue pas l'autre. Le laïc arabe, lui, voit dans l'islamisme un danger, un obscurantisme qui provoque l'immobilité sociale. Une évolution inquiétante de «la laïcité arabica» se radicalisant au point d'étendre son refus à l'islam lui-même. Dans cette diabolisation mutuelle, chacun cherche un point d'appui pour faire basculer l'autre dans le précipice. Les laïcs, souvent de culture occidentale, se présentent en tant qu'élite minoritaire, éclairée, à qui incombe une responsabilité historique envers le peuple, cherchent dans le communautaire ethnique ou religieux un soutien, convoitent le militaire qui cesse d'être perçu comme un despotisme, à l'instar du religieux, mais plutôt comme un rempart à même de protéger la nation du péril théocratique et en Occident un allié, car l'islamophobie intra-muros, ça fait vendre en Occident. Les islamistes, quant à eux, ce sont les masses qui les intéressent le plus, le bon peuple écrasé par le pouvoir qui a des préjugés sur la laïcité et qui voit dans l'islam la solution, car c'est ainsi qu'on lui a vendu l'islamisme, qui veut jusqu'à preuve du contraire, asseoir un pouvoir mondain (terrestre), en ventant les mérites d'un pouvoir divin (céleste). Les islamistes déclarent être partisans d'un Etat civil, moderne et démocratique qui n'exclut personne et croient à l'alternance au pouvoir, le modèle Erdogan semble les inspirer. Si nous mettons nos craintes de côté et analysons calmement cette situation, n'est-ce pas une évolution positive à moindre coût, un déverrouillage d'esprits inattendu et une évolution dans leur conception de l'Etat, qu'on est en train d'expérimenter ? Ils ne veulent, en somme, que moraliser l'Etat et reconnaître la portée islamique de la nation, tout comme la judéo-chrétienneté est admise en Occident comme valeur identitaire fondamentale. Ne doivent-ils pas avoir leur chance, eux aussi, à mettre en œuvre cette conception ? En plus, les musulmans, qui n'étaient pas des tarés, en faisant une lecture intelligente et rationnelle de leurs textes, donnèrent au monde une leçon de tolérance, de vivre en commun, que même la démocratie moderne peine encore à consolider, mais aussi de bonne gouvernance, exprimée dans la gestion efficace des cités. De nouvelles structures et services, que le monde ne connaissait pas, virent le jour, hôpitaux, pharmacies, bains publics, réseaux d'assainissement et de conduite de l'eau urbaine, d'évacuation des eaux usées, système d'irrigation agricole de la période hispano-musulmane que le monde gréco-latin ne connaissait pas encore, l'éclairage public, salles de service pour les voyageurs en période ottomane. Il y avait même des salles de soins pour leurs animaux et bien sûr, les jardins publics devenus éléments constitutifs des villes de l'âge d'or islamique, etc. Bien que Perses et Romains aient rayonné avant les musulmans dans certains aspects de la gestion des cités, convient-il de le rappeler, de l'autre, le contingent laïc arabe, formé des communautaires, de laïcs et de libéraux, pense que cela n'est qu'un subterfuge et que les islamistes cachent leurs vraies intentions, celles de vouloir bâtir «daoulet el khilafa et la Umma», au détriment de l'Etat-nation qui va se retrouver complètement dénaturalisé, amoindri de sa dimension nationale, imposer leurs conceptions de la charia à l'ensemble de la société et faire régner un climat de peur et d'obscurantisme. En plus, n'ont-ils pas manqué à leur parole en disant que la présidence de la République en Tunisie et en Egypte ne les intéressait pas ? De l'autre, certains de nos laïcs considèrent que l'islamisme est contre la vie elle-même. C'est comme la mort, on ne l'expérimente qu'une seule fois. Bien que la «régression féconde» prônée par Addi Lahouari vise à construire avec«nos contradicteurs»disait-il, une société civile sur des bases logiques et dit : «L'exercice du pouvoir par les islamistes mettra fin à la domination du hanbalisme qui est une interprétation rigide de l'islam qui se nourrit du profond mécontentement social. Il se mettra en place une autre interprétation qui tiendra compte des réalités historiques, une interprétation moderne alimentée par les aspirations au progrès social et au développement et qui mettra fin au mode collectif du vécu de la foi au profit d'un mode privé», expose une conception intelligente du rapport laïcité/islam politique. Hélas, entre les assurances des uns et les craintes des autres, le consensus semble être loin de portée, alors que le vivre en commun, lui, se trouve éminemment menacé par cet exercice idiot de la démocratie «arabica», d'où l'urgence d'un dialogue de fond, serein, qui n'exclut personne, pour baliser une fois pour toutes le sentier de la vie démocratique dans ces pays et mettre en place des mécanismes institutionnels infaillibles, sorte de garde-fous à même d'apaiser les craintes et éviter ainsi que la vie politique n'y soit empoisonnée par des radicalismes laïco-islamistes aussi ridicules que dangereux. Les exemples ne manquent pas, l'Egypte post- Moubarak ne semble pas trouver son chemin vers une forme de démocratie stable et garante de la paix sociale et du vivre en commun, 10 à 15% de la population égyptienne est copte et constitue la plus importante minorité chrétienne au Proche-Orient. Ils se considèrent comme les vrais Egyptiens. Le nombre de coptes est l'un des secrets les mieux gardés d'Egypte. Destituer un président en exercice élu à 51,6%, geler une charte votée à plus de 63% par des Egyptiens et dissoudre l'Assemblée consultative, rayer trois institutions «démocratiques» d'un seul trait de stylo, ma foi, ils ont du culot ces laïcs arabes ! Certes, réclamés par beaucoup d'Egyptiens dans leur «révolution, versionrevue et corrigée»,celle du 30 juin 2013, mais pas de tous les Egyptiens, assaillis par un appareil médiatique redoutable qui fit passer le gris pour le noir, la vie des hommes pour dérisoire. En tant que laïc modéré, l'impartialité m'impose l'équité pour pouvoir voir clairement à travers cette nébuleuse, cette entropie politico-sociale égyptienne et ne pas dire n'importe quoi. Pour arriver à comprendre ce qui se passe dans ce pays, il faut remonter plus loin dans l'histoire de la cohabitation entre musulmans et coptes, soutenus par une forte diaspora en Amérique et appuyés par une minorité «éclairée»d'Egyptiens laïcs et de libéraux, en plus, c'est un pays anglophone, à taux d'alphabétisation de près de 72%. C'est donc l'exemple d'un pays multiconfessionnel et multi-ethnique par excellence, où les enjeux de démocratie se trouvent confrontés à ceux de la laïcité de l'Etat, garante de l'égalité des droits et de la citoyenneté de tous. Pour garantir le vivre en commun, l'Egypte, ne se voyait que laïque. Ce qui explique l'affinité du contingent ainsi formé de laïcs radicaux, libéraux et la communauté copte avec le militaire, et son silence concernant sa violence inouïe contre les manifestants pro-Morsi. Alors qu'une seule victime à l'intérieur de l'enceinte du palais El itihadiya suffisait à M. El Baradei pour dire que Morsi à perdu toute légitimité pour gouverner. Ce contingent prolaïc, rejoint maintenant par le militaire, revendique (en apparence) le caractère laïc de l'Etat, mais donne l'impression d'être trop laïc pour être vraiment démocrate. Pour une minorité de la minorité copte très virulente, cet «islamconquérant», venu accaparer leur terre et changer leur foi, pose un problème qui dépasse de loin le politique, pour se positionner sur l'existentiel. En plus, l'Egypte est trop près d'Israël pour courir le risque de voir prospérer devant son nez un «Etat islamique», version «ikhawaniste»,allié idéologique du Hamas, ennemi juré de l'Etat hébreu. Face à la menace d'un état religieux, extrémiste et «exterministe»,comme il le voit et le redoute, le contingent prolaïc égyptien, n'eut d'autre choix que d'applaudir l'intervention du militaire qu'il huait sur la place Tahriret le désignait par tous les mots. En bénissant son plan de route, ils cherchent à dépolitiser ce conflit d'origine politique, et ce, en faveur d'une approche strictement sécuritaire, à l'instar de ce qui s'est passé en Algérie dans les années 1990, où une sorte de contrat tacite était convenu entre le régime et le mouvement berbériste, de culture francophone, laïc et hautement politisé, à qui on peut reprocher tout, sauf qu'il n'est pas nationaliste ou soucieux de l'unité nationale. D'autres concitoyens berbères, plus conservateurs, ne se reconnaissant pas dans la culture francophone et ses valeurs laïques, rejoignirent le FIS dissous et sa direction dès le début, bien que la majorité ne prit part ni avec l'un ni avec l'autre. Contrairement aux coptes d'Egypte, nos frères et concitoyens berbères sont pour la plupart de confession musulmane, sunnite,malékiteet soufie, bien que le travail d'évangélisation ait tenté de se frayer un chemin dans le cœur et l'âme des jeunes de cette région chère à nos cœurs. Pour rappel, les missionnaires catholiques considéraient la Kabylie comme une zone imparfaitement islamisée, donc plus facilement «christianisable», selon Charles Robert Ageron et Alain Mahé, spécialistes de l'Algérie coloniale. La fissure ethnique a été colmatée par l'islam des anciens et l'Etat-nation pseudo laïc. La reconversion à une autre foi, bien que relevant des libertés de conscience de chacun, ne pose aucun problème, du moment qu'elle se fait, suite à une quête de foi et de vérité, une reconversion de cœur comme on dit et non pas «comme réaction»contre l'islamconquérant, qui prit la terre amazighe. Cela risque d'ouvrir une autre brèche confessionnelle, virulente celle-là, difficile à colmater et qui peut prendre des expressions politiques aussi inquiétantes que dangereuses. L'islam, religion née dans le désert d'Arabie depuis 15 siècles déjà, s'est propagé sur les trois continents. Nouvelle religion ? Pas tout à fait ! Puisque le fondement de ses dogmes et enseignements nous projettent dans la droite ligne du monothéisme israélite ancien, d'ailleurs, le Coran, désigné par «El dhikre», c'est-à-dire «le rappel», exprime parfaitement cette idée, en inscrivant l'islam dans la continuité de la révélation, plutôt que dans sa rupture. Appuyée par une diversité humaine inégalée, Noirs, Asiatiques, Blancs caucasiens, Indous, la propagation de l'islam fut fulgurante et donna au monde l'une des plus brillantes civilisations. Médecine, mathématiques, astronomie, navigation, philosophie, architecture, les musulmans ont développé et transmis aux Occidentaux les prémices de leur renaissance. En islam, la foi (et non le dogme !) n'est jamais entré en en conflit avec la raison, le modernisme et les libertés de conscience, bien au contraire. Alors que le dogme semble interdire la réflexion, la foi, elle, l'exige ! Ce sont les hommes avides de pouvoir qui se servent du dogme pour asseoir leur autorité.
De la question berbère au dilemme kabyle à l'aube du XXIe siècle par Maxim Aït Kaki, édition l'Harmattan Alain Mahé, Histoire de la Grande-Kabylie, XIXe-XXe siècles. Anthropologie du lien social dans les communautés villageoises, éditions Bouchène, 2001.