-On estime que la filière ovine souffre davantage d'un manque d'organisation que de production. Qu'est-ce qui, selon vous, freine son développement ? Avant la période coloniale, plus des deux tiers de la population algérienne vivait du mouton. L'élevage ovin occupait la totalité du territoire avec un système de production et d'organisation très harmonieux basé sur une association élevage/céréaliculture qui permettait une production avec une productivité.Avec la colonisation, ce système a été déstructuré par l'amputation de la zone du process de production de la viande (zone du Tell) et le cantonnement des élevages en zone steppique, provoquant ainsi le cycle de dégradation de la steppe avec toutes les conséquences. A l'indépendance, on a aggravé la situation et toutes les décisions prises étaient en défaveur de l'élevage ovin. La troisième phase de la révolution agraire a eu raison de l'organisation tribale avec tout son professionnalisme. L'industrialisation rapide a engendré une forte résorption du chômage par une large création d'emplois et un nouveau circuit d'alimentation humaine de type collectif (cantines et les collectivités locales) qui ont eu pour conséquence une forte demande en viandes et un déficit au niveau de la production. Cette phase est caractérisée par un déficit en viandes et protéines en général, dû à la sécheresse mais surtout à l'explosion des revenus et de la démographie. Ceci s'est traduit sur le marché par des importations de viandes rouges et les produits de l'aviculture. Ensuite, durant la décennie 80, il y a eu le désengagement de l'Etat de la filière viande rouge avec une situation aggravée sur les marchés des viandes depuis 1980. Les prix ont été multipliés par 10 de cette date à 1983 à 1990, par 12-15 à 1998 et par 3 à aujourd'hui. Tous ces éléments nous montrent que la filière souffre plutôt de la faiblesse de sa productivité tant numérique que pondérale. La faible productivité n'est pas due essentiellement aux conditions du milieu, mais également à un ensemble d'autres contraintes qui limitent l'expression du potentiel productif. Elles sont d'ordre organisationnel, nutritionnel, technique et sanitaire. -Mais quels sont ces facteurs ? Les principaux facteurs limitant la production sont une faible disponibilité en espace agricole intensifiable, des ressources modestes en alimentation animale et une forte dépendance en intrants d'aliments de bétail. Le marché de la viande rouge est spéculatif et archaïque : maintien des méthodes artisanales et ancestrales. La production de ces viandes est irrationnelle. La restructuration du secteur public agricole a engendré la déstabilisation des structures d'élevage en amont et en aval de la filière. On peut également ajouter la faiblesse de l'organisation et d'encadrement de la profession. Une concentration très forte de cheptel : environ 8% des éleveurs possèdent 40% du troupeau, alors que 50% d'éleveurs ne disposent que d'à peine 12% du troupeau. Cette inégalité a des conséquences néfastes sur la production. Parmi elles, les plus déterminantes du point de vue de la commercialisation font que d'une part les petits éleveurs sont condamnés à vendre leur croît au printemps, période durant laquelle les animaux prennent le plus du poids et donc sont susceptibles d'apporter le maximum de recettes. D'autre part, les gros éleveurs ont les possibilités d'attendre, ou au moins de mieux distribuer leurs ventes dans le temps (relations au marché plus élastique), ce qui leur permet de tenir compte de la conjoncture du marché pour écouler leur production aux prix les plus élevés. A cela, il faut ajouter la particularité de la consommation de la viande en Algérie qui présente des irrégularités assez tranchées, qui ne font que compliquer les relations entre les producteurs et les consommateurs : la non-correspondance entre l'augmentation des ventes des producteurs et consommation et la non-correspondance entre l'offre des producteurs et demande finale à un moment donné. L'existence également d'une période de «surconsommation» (Ramadhan, fêtes, aïd et le retour des hadjis). Cette particularité profite aux intermédiaires grossistes et aux gros spéculateurs qui vont profiter des conditions structurelles de la production et des conditions conjoncturelles de la consommation pour provoquer des raretés artificielles et provoquer une flambée des prix. -La disponibilité et le coût de l'aliment de bétail constituent un souci majeur pour les éleveurs. Y a-t-il moyen d'y remédier, sachant notamment la dégradation des parcours steppiques à cause de la sécheresse ? Il s'agit à présent de viser plutôt le retour à l'équilibre entre offre alimentaire cultivée et spontanée pour les cheptels disponibles tout en cherchant l'optimalisation des taux d'extraction en viandes. Les axes de développement doivent être en rapport avec les vocations et les potentialités de la zone et également tenir compte de l'équilibre entre les ressources fourragères et l'élevage lié aux parcours. Une organisation de la filière viande rouge à mettre sur pied avec des groupements d'éleveurs à professionnaliser et une intégration obligatoire de maillons de la filière ovine dans l'agrosystème : intégrer le mouton au moins pour l'engraissement des agneaux dans la zone cultivée du Nord, les régions céréalières doivent développer des systèmes d'élevage ovin intensifs basés sur des cultures fourragères à dominante de Médics, et la résorption de la jachère par l'introduction du système blé-médicago, le recours aux techniques de lay-farming (rotation entre une céréale et une prairie naturelle de médicago ou de trèfle souterrain) est à encourager en vue de la suppression à terme des terres en jachère. Spécialiser les foncions de l'élevage en fonction des ressources alimentaires en revenant au système ayant fait ses preuves durant la période coloniale en le modernisant en optant pour une bi ou tripolarisation de l'élevage ovin en réservant la steppe à une fonction de naisseuse à faible ponction sur les réserves alimentaires, la zone céréalière à l'élevage intensif et à l'embouche et la zone du Nord à des élevages industriels. -On parle d'un effectif ovin de 25 millions de têtes actuellement. Certains remettent en cause la fiabilité des chiffres. Qu'en pensez-vous ? L'élevage ovin est un capital à une rotation rapide, notre cheptel est dessaisonné pouvant donner des produits deux fois par an et théoriquement on peut doubler l'effectif en deux ans. Mais, malheureusement, cet atout n'est pas valorisé chez nous. On continue toujours à stocker le cheptel et le malmener d'un marché à un autre sans se soucier de la fonction production et de la productivité. Le maintien d'un cheptel improductif sur une longue période (c'est anti-économique de garder un mouton au-delà d'une année) pousse les spéculateurs à décapitaliser le patrimoine génétique en abattant les brebis et les agnelles, donc remettre en doute les chiffres avancés. La politique des viandes rouges ne doit pas se limiter à la seule question de la production d'animaux sur pieds. Les problèmes de commercialisation du cheptel vif, de son abattage, de sa transformation en viande, de son stockage et de sa commercialisation sont aussi importants pour maîtriser l'ensemble de la filière viande rouge. La commercialisation du cheptel vif est le tableau relativement obscur de la filière. Cette tranche de la filière apparemment exploite au mieux l'effort de la production. Donc, il y a nécessité de rationaliser pour préserver les efforts consentis pour la production. Cet effort pour moraliser cette filière aura des répercussions positives sur l'élevage et la notion de contrebande n'aura pas raison d'être du fait que les pouvoirs publics soutiennent et encouragent les exportations hors hydrocarbures. Un projet de consortium d'exportation développé par l'Organisation des Nations unies pour le Développement de l'industrie et dédié à la filière viandes et dérivés est mis en place et pourra être une locomotive pour le développement de cette filière à l'externe et lui redorer son blason d'antan où l'Algérie exportait jusqu'à 1 million de têtes ovines vers la métropole.