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Allons-nous vraiment perdre 100 milliards de dollars ?

Ce qui vient de se passer est loin d'être anodin, mais au contraire recèle une gravité exceptionnelle. Malgré l'accord, le mal est fait et des conséquences douloureuses vont apparaître rapidement ; en attendant le traitement de la crise suivante qui devra être résolue dans les trois mois. Le risque de crise financière systémique, qui est devenu maintenant évident pour tous, doit être pris très au sérieux par l'Algérie. Cette crise nous coûte déjà très cher et risque d'engloutir la majeure partie de nos avoirs placés en bons du Trésor américain, si le gouvernement ne réagit pas à bon escient. Entre défaut de paiement du capital (à hauteur de 45% de nos réserves, soit 80 milliards de dollars, selon le gouverneur de la Banque d'Algérie), perte de valeur des bons du Trésor sur les marchés et dévaluation du dollar, ce sont bien 50% au moins de nos avoirs qui sont directement menacés, soit 100 milliards de dollars !
Plusieurs économistes et financiers indépendants, de renom mondial, avaient prévenu, dès le début des années 2000, qu'une crise financière majeure guettait le monde. En 2007, l'effondrement de la banque Lehmann Brother avait entraîné dans sa chute la finance mondiale qui étouffait sous les créances toxiques de type subprimes. Les Etats allaient soutenir, à coup de centaines de milliards de dettes, les circuits financiers, mais causant des torts profonds aux économies.
Les maillons les plus faibles ont alors sauté. La Grèce, Chypre, l'Irlande, le Portugal, l'Espagne ou l'Italie sont en plein marasme. Le FMI vient de proposer, dans une note, la possibilité pour les Etats européens de ponctionner directement jusqu'à 10% l'ensemble des comptes privés d'épargne pour renflouer le système financier.
Jusqu'alors la crise était plus ou moins contenue pour les USA : le dollar est monnaie d'échange et de réserve. Cependant, l'endettement de ce pays atteint 107% du PIB, parmi les plus élevés au monde. A ce niveau, il devient quasiment impossible de rembourser les dettes sans une croissance élevée sur plusieurs années, ce qui est hors de portée. Les USA se sont très largement désindustrialisés, transférant leurs activités vers l'atelier du monde, la Chine, et d'autres pays asiatiques. Il ne reste alors plus que l'inflation liée à la dégradation de la valeur du dollar qui s'imposera d'elle-même pour réajuster le système.
La FED alimente sans cesse l'expansion de la masse monétaire. Après un QE1 (Quantitative Easing) et un QE2 de 2300 milliards de dollars, les marchés boursiers sont désormais dépendant d'un QE3 illimité dans le temps, avec 85 milliards de dollars mensuels mis sur le marché financier à des taux d'intérêts quasi nuls depuis près d'une année. Cette politique finira par entraîner la chute de la valeur du dollar par rapport à d'autres monnaies et surtout par rapport aux matières premières, à commencer par l'or.
L'insolvabilité des USA avec la valeur du dollar actuelle est dans l'ordre logique. Même retardée pour des raisons de politique intérieure et de cohésion sociale, la dégradation de la valeur de la monnaie américaine, et concomitamment de ses bons du Trésor, est inéluctable. L'ajustement à la baisse drastique du dollar interviendra à l'occasion d'un blocage politique tel qu'il vient d'être évité à l'ultime limite, ou bien lors d'une faillite spectaculaire d'un grand organisme financier (banque, assurance…) comme déjà vécu en 2007.
Ce scénario doit être pris très au sérieux. A ceux qui refusent de voir ce risque, il faut rappeler que plusieurs hauts dirigeants des USA ont reconnu que le risque d'un défaut de paiement existait. Pour convaincre les plus sceptiques, on peut faire la parabole suivante : imaginons que le 10 septembre 2001, une personne aurait prédit que des terroristes allaient s'emparer d'avions dans plusieurs Etats américains et les faire exploser sur les tours jumelles, sur le Pentagone et ailleurs… causant des milliers de pertes humaines. Personne n'aurait pu le croire…
La suite on la connaît !
La crise du relèvement du plafond de la dette au 17 octobre (pour la 5e fois depuis 2008) et le précédent «shutdown» du début du mois d'octobre font suite à une série de crises du même ordre vécues en soubresauts depuis plusieurs années, dont les plus saillantes sont la dégradation de la note de la dette américaine par les agences de notation américaine Standard & Poors et chinoise Dagong et, surtout, la mise en œuvre du séquestre budgétaire (coupes automatiques dans tous les budgets fédéraux, y compris pour le Pentagone), causant des dysfonctionnements internes de grande ampleur. Ce vendredi 18 octobre, l'agence de notation chinoise a même rétrogradé la note de la dette américaine à A- , avec perspective négative !
Le défaut de paiement de la dette américaine étant considéré par beaucoup comme «impossible» a tout de même été voté par 144 membres du Congrès (et 288 pour le relèvement du plafond), soit 30% des représentants ! Quelles seront les proportions du vote la prochaine fois ? A l'évidence, le risque actuel est intenable pour les investisseurs. Si le problème semble être politique (républicains avec surtout la frange Tea Party contre démocrates), la crise vient en réalité de beaucoup plus loin !
Le reflux de la puissance du dollar a bien été anticipé par plusieurs grands pays. La Chine et la Russie commercent désormais entre eux avec leurs propres monnaies, yuan et rouble. L'Inde, la Turquie et l'Iran échangent des marchandises contre de l'or. Les Brics et même les pays du Golfe s'organisent également pour se libérer de l'exclusivité du dollar. Plusieurs membres du G20 entrevoient l'avenir du négoce international à travers l'utilisation d'un panier de devises internationales. Au lendemain du vote au Congrès, l'Inde a décidé de payer le pétrole importé en euros et en roupies, et la Chine annonce un train de mesures pour sécuriser au mieux ses avoirs !
Les difficultés structurelles des USA doivent être appréhendées et étudiées avec objectivité. Il s'agit de la première puissance mondiale avec laquelle nous partageons de nombreux intérêts. Même s'ils devaient perdre le leadership économique mondial dans les toutes prochaines années, les USA resteront une puissance de premier ordre. Nos relations doivent être inscrites dans un rapport d'entente et de profits mutuels.
Ce qui est mis en cause ici, c'est la gestion de nos réserves et de nos intérêts financiers directs à court, moyen et long terme et non pas les relations en tant que telles avec les Etats-Unis. Les bons comptes font les bons amis, dit l'adage. Dans cet ordre d'idées, le problème de fond n'est pas la politique des USA (ils sont majeurs et vaccinés, allais-je écrire et dépasseront en quelques années leur crise), mais la politique algérienne. Pourquoi le gouvernement algérien prend-il des risques inconsidérés en faisant ce type de placements financiers ?
L'hypothèse d'une incompétence est probablement à mettre de côté. Très tôt, les spécialistes et plusieurs organismes d'anticipation économique avaient largement écrit sur la défaillance systémique attendue. Si nos gouvernants et nos experts, payés par l'Etat au sein du ministère des Finances, de la Banque centrale et ailleurs, ne sont pas capables de comprendre un minimum aux fondamentaux de la crise actuelle, alors que toutes les sources de l'information sérieuse sont disponibles, c'est qu'il y a menace directe sur la sécurité nationale par incompétence totale.
L'Algérie ayant engrangé une manne financière conséquente grâce aux hydrocarbures, le gouvernement aurait dû d'abord mieux préserver nos ressources naturelles, à commencer par les puits de pétrole eux-mêmes qui ont été saccagés par la surexploitation. Ensuite, le surplus financier aurait dû être transformé en or principalement et être rapatrié (l'épisode de l'or allemand est là pour que la méfiance soit de mise). Ensuite, un achat stratégique d'entreprises de production dans le monde aurait permis à l'Algérie de participer au développement technologique par l'entremise du capital acquis et de pouvoir ensuite délocaliser vers le pays les activités accessibles.
Enfin, une politique d'investissement dans les PME et PMI, l'agriculture, le tourisme et surtout la formation de l'homme auraient dû être déclenchée pour résorber le chômage et relever le pouvoir d'achat. Or, ce ne sont pas là les choix qui ont été faits. Le gouvernement a préféré immobiliser nos avoirs avec des taux d'intérêt plus faibles que l'inflation et laisser ainsi des sommes considérables dans les circuits financiers extérieurs. L'exposition au risque étant devenue majeure, la persistance de cette politique ne peut avoir qu'une seule explication: l'intérêt politique. En effet, le régime étant de très faible légitimité et incapable d'engager une vraie politique de développement, il a préféré jouer sur la séduction des puissances occidentales pour perdurer sans trop de pressions internationales. Incapable de s'insérer positivement dans l'organisation des relations internationales, le régime manage une politique financière docile.
La tentative de mise en œuvre de la loi sur les hydrocarbures de Chakib Khelil, l'incroyable argument avancé par le président Bouteflika à la Maison du peuple, le 24 février 2005 pour justifier cette loi – «si nous n'adoptons pas cette loi, il nous arrivera ce qui est arrivé à Saddam Hussein» – et surtout l'audace du coup d'Etat en 2008 par l'amendement constitutionnel illégal pour aller aux mandats à vie expliquent très clairement la stratégie de gestion des réserves financières du pays.
Le pouvoir n'est pas préoccupé par l'avenir du pays, la préservation de ses richesses, le développement économique et humain. Il gère les richesses du pays en fonction de ses besoins propres et de sa stratégie de mainmise sur les rouages de l'Etat. Il ne cherche pas à construire des institutions ni à former une élite capable d'être à la hauteur des défis auxquels doit faire face la nation, mais au contraire à contrôler et à manipuler les ambitions. Maintenant, il fera tout pour passer sous silence les choix qu'il a opérés au détriment du pays en faisant croire que nul ne pouvait prévoir la crise financière mondiale. Il prendra soin de cacher l'érosion chronique et significative de nos avoirs et fera la vierge effarouchée si les questions de fond sont abordées.
Pourtant, des patriotes n'ont cessé d'écrire et d'attirer l'attention des autorités du pays sur la menace qui pèse sur les finances du pays. Ils sont bien trop nombreux pour les citer ici. Certains me font déjà et me feront encore le reproche d'être pessimiste et surtout de faire peut-être dans l'électoralisme. Pourtant, à titre de simple citoyen, j'ai abordé ce sujet publiquement dès 2009 (1), puis à nouveau en 2010 (2). En août 2011, au nom de Jil Jadid, encore non agréé alors, j'ai publié un premier communiqué (3) auquel le ministre des Finances a indirectement répondu pour en nier les conclusions. J'ai alors tenté encore une fois (4) de démontrer la fausseté des arguments du ministre.
Aujourd'hui, le peuple est en droit de savoir exactement ce qu'il en est de son argent. M. Leksaci, gouverneur de la Banque d'Algérie avait révélé que 45% de nos avoirs étaient placés sous forme de T-bonds. Une même proportion serait placée en euros (Allemagne ?) et enfin, le reste réparti en plusieurs monnaies. Ces informations sont insuffisantes. Il faut nous dire la vérité, toute la vérité messieurs du gouvernement.
Le président de la République doit être tenu comme premier responsable de la suite des événements et de la perte inévitable d'une fraction importante de nos avoirs, probablement en capital qui deviendra inaccessible, mais plus sûrement en valeur. Les bons du Trésor américain risquent d'entrer immédiatement dans un engrenage de dépréciation. Les Chinois laissent déjà entendre qu'ils se désengageront de la monnaie américaine. Qu'entendent faire le gouvernement algérien et les autorités monétaires pour préserver au mieux nos avoirs et sauver ce qui peut l'être, si un accident financier majeur survenait ? Ou bien faudrait-il verser les larmes de crocodile une fois le désastre survenu ?

Notes :
1- 1er Novembre 1954 : Quel monde attend les héritiers du flambeau national ?
in Le Soir d'Algérie, 27 octobre 2009.
2- Le Monde d'après, in Le Soir d'Algérie,
12 octobre 2010.
3- A qui la faute ? in Le Soir d'Algérie,
le 9 août 2011.
4- Tout va bien ! in Le Soir d'Algérie,
le 17 août 2011.


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