La route serpente au milieu des collines. La forêt verte balance au gré du vent. C'est bien le seul bruit que l'on entend. Pourtant, la capitale n'est qu'à 40 km. Mais la commune de Hammam Melouane semble être une «ville morte». Des carcasses de boutiques vides ponctuent les kilomètres. Le long de l'oued, attraction touristique de la région, des murs de paille sont au sol. Les quelques cabanons encore debout sont vides. De l'été et de ces touristes, il ne reste que les fanions colorés. Il y a bien le marché et les vendeurs de poteries qui colorent le centre du village, coincés entre le siège de la brigade de gendarmerie, l'APC et les thermes historiques de la ville. Mais 200 mètres plus loin, c'est à nouveau le sifflement du vent qui domine. Ici c'est l'épicentre du séisme du 17 juillet dernier. 5,1 sur l'échelle de Richter. Beaucoup de dégâts matériels, une vingtaine de blessés et une vague de panique. A Magtaâ Lazreg, à 4 km de là, 90% des habitations ont été touchées. Plus de trois mois plus tard, les habitants ne décolèrent toujours pas. Colère La maison d'Ahmed Laboudi est fendillée de partout. Les fissures courent sur les murs de la cour. L'homme de 73 ans, turban rouge et grandes lunettes de vue, est virulent. Dans la poche, il conserve l'attestation de sinistre. Oui, les autorités ont reconnu les dégâts. Oui, il est éligible à l'aide d'urgence de 300 000 DA attribuée par la wilaya. Non, les problèmes ne sont pas réglés. «Si j'accepte l'aide aux sinistrés, je suis persuadé que les autorités vont refuser ensuite de me donner l'aide à la construction rurale. Mais l'aide de la Caisse nationale du logement est de 700 000 DA !», explique Ahmed Laboudi. Comme la plupart des habitants du village, le vieil homme n'a pas d'acte de propriété. Ici, les Français ont relogé la population des montagnes dans des baraquements au début de la Révolution. Depuis, les familles sont restées dans ces baraquements d'un niveau, organisés en trois pièces autour d'une cour. Administrativement, leurs logements n'existent pas. Pour obtenir une aide, les familles doivent prouver qu'elles sont propriétaires. Le problème n'a pas de solution. «Même si l'administration acceptait de fermer les yeux là-dessus, pour obtenir l'aide rurale, il faut prouver que nous avons détruit notre logement initial. Mais où allons-nous vivre en attendant ?» Ahmed Laboudi hausse les épaules. Son fils, 28 ans, secoue la tête. «Que doit-on faire ? A 14 dans 3 pièces ?» Le jeune homme préfère qu'on ne donne pas son nom. «On ne sait jamais.» Flottant dans un maillot de foot bleu, les traits marqués, il énumère : «Vous avez vu où on dort ? Vous avez vu l'état de la route ? Au lieu de 20 minutes, il faut une heure et demie pour aller à Bougara.» La route 61 est bloquée. La déviation est un chemin par où les voitures roulent très doucement, le long de l'oued. «Demain, s'il pleut, nous serons coupés du monde. C'est l'humiliation permanente. Tout ce qu'ils (les responsables, ndlr) savent faire, c'est de nous saboter.» Il grimace de colère. Insupportable La route est bloquée depuis deux ans. Il n'y a aucun emploi dans le village. Le transport, c'est le parcours du combattant. Alors, le séisme et les failles dans le mur sont un problème de plus, c'est insupportable.La pluie inquiète aussi cet homme dont l'une des jambes est paralysée. Il habite à côté de l'école primaire, qui s'est complètement effondrée lors de la secousse. Sa porte d'entrée est bien trop basse pour n'importe quel adulte. Il n'a qu'une seule pièce. Un lit, une table et une chaise pour tout mobilier. Une plaque chauffante lui sert de cuisine. Le séisme a lézardé les murs. Le faux plafond s'est effondré, laissant apparaître le ciel bleu. A l'extérieur, une fissure menace dangereusement le boîtier électrique de l'habitation. «Il faut écrire que je vis là depuis 1954. Que tout est détruit. Il faut dire que c'est inhumain. On n'en peut plus.» Il réprime des sanglots et brandit l'attestation de sinistre, inutile, car lui non plus n'a pas d'acte de propriété. Le village s'anime un peu. Les enfants sortent de l'école pour le repas de midi. Blouses bleues et roses traversent le village, cahiers et livres sous le bras. Les 170 élèves du primaire ont été accueillis dans les locaux du CEM, à 1 kilomètre de là, sur les hauteurs. Ils descendent la route et passent devant la poste, sans jeter un œil aux trous béants dans les murs. Sur un comptoir, il reste encore des piles de formulaires, aux murs, des affiches pour l'installation d'internet. Le sol est jonché de bouts de briques brisées. «Les travaux ont du retard, ils auraient déjà dû commencer», lâche un homme, qui se tait immédiatement. En attendant, l'antenne de mairie fait office de poste. Trois jeunes garçons viennent jouer devant le portail de l'ancienne école, dont il ne reste plus qu'un arbre au milieu de la cour, un petit bâtiment et un immense tas de gravats. «L'école va être reconstruite, la wilaya nous a attribué un budget de 8,5 millions de dinars pour réaliser des salles de classe et le réfectoire», affirme le P/APC, Ibrahim Amiche, qui assure que la rentrée s'est bien passée. Du côté du CEM, le directeur, le visage ridé, portant un costume marron, refuse de parler sans autorisation de sa hiérarchie. Au-dessus de la porte de son bureau, une photo du président Boumediène passant les troupes en revue. Isolement Il est plus de midi, les vieux, assis à l'ombre sur la terrasse du café sous les arbres, ont disparu. Les chaises en plastique, bleues, sont vides. Un commerçant, qui vend quelques bananes, attend assis par terre. Un habitant glisse qu'il attend le téléphone depuis 2 ans et qu'il ne faut pas lui parler d'internet. Dans les champs, sur les collines, des points colorés s'agitent. Le soleil tape encore, mais la météo a annoncé de la pluie pour le surlendemain. A Hammam Melouane, dans son grand bureau climatisé de l'APC, Ibrahim Amiche, élu au mois de décembre 2012, répond aux trois téléphones qui sonnent l'un après l'autre, jongle avec la paperasse et assure que «tout est réglé». «Le séisme, c'est du passé. La wilaya a pris les décisions nécessaires. Les budgets pour les réparations des bâtiments publics ont été votés, les primes aux sinistrés aussi. Le paiement aux familles est réglé», martèle-t-il. Les habitants qui protestent ? «Ceux qui n'ont pas d'acte de propriété ? Qu'est-ce qu'on peut y faire ?» Les problèmes de route et de communication ? Le chômage ? Le transport ? «Les gens se plaignent, mais ça n'a rien à voir avec le séisme.» N'empêche, ce sont des citoyens comme ceux de la capitale, non ? Il hausse les épaules et lève les mains, comme pour dire son impuissance. Tourisme A quelques dizaines de mètres de là, derrière le hammam historique et le marché, des dizaines d'ouvriers s'activent sur un immense chantier, celui du nouvel hôtel et du parc aquatique. Sur les façades oranges du futur hôtel, de grandes taches noires indiquent les dégâts, désormais réparés, provoqués par le séisme. De l'autre côté du chantier, de futurs appartements ont été complètement détruits. L'inauguration était imminente, les meubles avaient déjà été placés dans les pièces. Mais aujourd'hui, les murs sont à terre. «Nous avons 6 mois de travaux supplémentaires par rapport à ce qui était prévu», affirme un homme qui préfère garder l'anonymat. Malgré l'étendue des dégâts dans les appartements, les responsables ne prévoient pas de modifier les normes de construction. «Les murs porteurs, eux, n'ont pas bougé», affirme-t-il. L'hôtel, projet privé, n'a pas reçu d'indemnisation après le séisme. Mais les responsables aimeraient que cette fameuse route bloquée depuis deux ans soit enfin rénovée. «C'est ce qui freine le développement de ce projet. Avec une bonne route, Hammam Melouane deviendrait une véritable station touristique!»