L'allocution, prononcée ce 12 novembre 2009 par le président de la République à l'université de Sétif, pour marquer l'ouverture universitaire 2009/2010, et qui était attendue impatiemment par les intéressés, s'est révélée d'autant plus décevante qu'elle a évité soigneusement de soulever les véritables problèmes qui préoccupent les universitaires auxquels ils se heurtent de plein fouet. Les graves problèmes sciemment évités On s'attendait à ce que le Président pointe du doigt les graves problèmes que vivent les universités et les universitaires et suggère, en même temps, les moyens qui permettront de les conjurer ou de les atténuer. Il n'en a rien été, hélas ! Au contraire, il n'a fait que reprendre, à son compte et peut-être à son insu, le discours « positif » en tous points qu' a bien voulu lui présenter tout fait, tout préparé à l'avance, la tutelle. Un discours lisse, sans aspérités ni contradictions. Tout ce qui désavantage ou porte atteinte à l'image de la tutelle et de ses chefs a été escamoté, à savoir : la gestion bureaucratique des universités, le gaspillage ou la mauvaise utilisation des ressources humaines et matérielles disponibles, les pratiques arbitraires dont usent et abusent certains chefs d'établissement, telles que les mesures disciplinaires injustifiées frappant les enseignants de suspension, de licenciement, d'assignation en justice au motif de « diffamation », de renvoi forcé à la retraite anticipée et de marginalisation presque délibérée des compétences jugées dérangeantes ou indociles. Y ont été éludées également les questions relatives à l'environnement de l'enseignement et de la recherche où la plupart des enseignants, même de rang magistral, se trouvent privés de moyens et d' outils nécessaires à la poursuite de leurs activités. Rares, en effet, sont ceux qui disposent d'un bureau doté d'ordinateur, de téléphone, d'internet et de fax. Même les bureaux collectifs, pouvant accueillir trois enseignants ou plus, font défaut et n'existent que dans de rares cas. Dans certaines universités, comme celles de Constantine, Biskra, Sidi Bel Abbès ou Tlemcen, certains enseignants dérogent cependant à la règle générale et bénéficient, grâce à leurs affinités « idéologiques » ou de leur proximité « clientéliste » avec le chef d'établissement, de tout le confort nécessaire ou d'environnement propice pour mener à bien leur travail : bureaux spacieux, internet, téléphone, fax, etc. Hormis ces cas privilégiés, la quasi totalité des enseignants se trouve comme condamnée au « nomadisme » qui consiste en des déplacements perpétuels à travers les couloirs sombres des universités ou s'agglutinent dans le bureau de M. le chef de département…Tous ces problèmes ont été évacués au profit d'une présentation enjolivée de la réalité universitaire que d'aucuns trouvent pourtant d'autant plus amère et dure qu'elle confine à la paupérisation de l'enseignant et à l'abaissement de sa dignité d'homme et de citoyen. Le président vivement applaudi par les recteurs en costume d'apparat Ceux qui ont pu trouver un motif de satisfaction et de bonheur dans l'allocution d'ouverture du Président, sont certainement les membres de la tutelle et les présidents d'université, dont aucun n'a été épinglé ou blâmé pour sa gestion désinvolte ou son autoritarisme de mauvais aloi. Les recteurs installés au premier rang de l'assistance écoutaient religieusement le Président et montraient, sous les projecteurs de la télévision, des mines réjouies. Aux éloges adressés par le Président sous forme de remerciement et de considération à « la famille de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique pour la noble mission qu'elle assume, pour le devoir qu'elle accomplit » répondaient les applaudissements frénétiques des chefs d'établissement vêtus en robe d'apparat, en signe d'hommage au Président dont les accents patriotiques ont recouvert d'un voile épais les facteurs qui ont provoqué et qui continuent de provoquer la déliquescence de l'université, et l'étiolement de la recherche et des chercheurs. Les revendications des universitaires reléguées aux oubliettes Dans son allocution, le Président a passé également sous silence les revendications des enseignants en matière d'indemnités, et n'a pas soufflé mot à propos du reniement des engagements de son Premier ministre Ouyahia par rapport à ce chapitre qui tient tant à cœur au CNES, qui n'en peut plus d'être mené au « bâton ». Mais laissons de côté le volet purement revendicatif des enseignants, lequel pourrait paraître aux yeux de certains comme une forme de « corporatisme » étroit ou relevant d'un pur égoïsme. Occupons-nous plutôt du système national d'enseignement et de la recherche. Chacun sait que ce système, malgré les réformes successives opérées en surface, demeure sinon « boiteux », du moins médiocre, et les classements internationaux, effectués par des organismes et des institutions crédibles, placent notre pays au bas de l'échelle de la courbe des nations innovatrices en matière de méthodes d'enseignement, de recherche et d'innovation. Les classements font figurer notre pays comme l'un des parents pauvres du continent africain en matière de visibilité scientifique internationale, notamment en matière de publications de qualité et d'innovations technologiques. L'optimisme béat du raïs En dépit de tout, notre Raïs se veut à la fois optimiste et rassurant. Il exulte même devant les progrès qui auraient été accomplis par notre système national d'enseignement. D'où lui viennent donc ces sentiments de satisfaction que son allocution de Sétif n'a pu dissimuler ? Des analyses de certains « experts » du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, qui sont passés depuis belle lurette maîtres dans l'art d'embellir la réalité et de présenter les lacunes, les défauts et insuffisances, voire même les échecs évidents, en réussites spectaculaires. Mais comme le Président n'a ni le temps de vérifier sur le champ les chiffres et les dires de ces experts empressés ni le don de l'ubiquité, il s'ensuit des torsions et des biais dans les membres des phrases prononcées dans son allocution. L'allocution ainsi prononcée est une allocution faite sur mesure et reflète fidèlement le message que voudrait bien passer le MESRS : tout va bien à l'université, et rien qui puisse susciter à son propos de l'inquiétude. Au contraire, elle marque des progrès à la mesure des efforts gigantesques et louables accomplis par la tutelle dans le domaine de « l'excellence ». La langue de bois a la vie dure. Elle se recycle et vit de ses propres réserves. Elle n'admet pas la remise en cause, l'aveu d'échec, l'autocritique, la vérité et la transparence qui sont les vertus de la culture politique éclairée, pour ne pas dire de la culture « démocratique ». Qu'on lise ce passage de l'allocution du président pour se rendre compte de l'affinité flagrante de propos avec le discours du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, discours auxquels sont familiers les universitaires et que nul d'entre eux ne pourra démentir : « Le système national de recherche, dit le Président, a rencontré, par le passé, d'énormes difficultés qui ont entravé son parcours. Toutefois, il a amorcé, ces dix dernières années, un départ prometteur avec une nouvelle phase d'organisation qui a permis de tracer une politique claire avec des objectifs précis et d'adopter des programmes judicieux. Ces derniers ont été accompagnés de l'affectation de fonds nécessaires à l'édification d'un système national efficace en matière de recherche scientifique et de développement technologique, dont les résultats seront mis au service du développement de l'économie nationale et de l'amélioration des conditions de vie du citoyen algérien. Cette démarche commence d'ailleurs à donner ses fruits, à travers l'application des dispositions pertinentes de la loi d'orientation et du programme quinquennal dans le domaine de la recherche scientifique et du développement technologique. » Le LMD de l'union européenne au secours de l'université algérienne… Pour ceux qui, au ministère, ont inspiré ce discours triomphant au Président, les difficultés rencontrées sont derrière nous, et seraient antérieures à l'avènement du Raïs à la tête de l'Etat en 1999. A partir de cette date, et surtout depuis l'arrivée du ministre Haraoubia, en 2004, à la tête de ce département, les choses n'ont cessé d'aller de mieux en mieux. Autrement dit, le système national de recherche a, certes, « rencontré, par le passé, d'énormes difficultés qui ont entravé son parcours », mais désormais, ces difficultés ont été battues en brèche, puis définitivement domptées, grâce, bien sûr, à « la réforme de l'enseignement supérieur qui a atteint une étape avancée par l'élargissement de la formation dans le troisième cycle, soit le doctorat, ainsi que l'élargissement du système de Licence-Master-Doctorat, par la mise en place de nouveaux diplômes qui renforceront sans nul doute les opportunités d'amélioration de la qualité de l'enseignement, des connaissances et de la performance pour les diplômés de l'enseignement supérieur ». Là encore, ces propos énoncés par le Président ne sont point les siens, et pour ceux qui ont suivi de près cette réforme ainsi que le LMD qui en est la résultante, découvriront facilement la parenté avec le discours triomphaliste de la tutelle et des conférences régionales tenues à huis clos par les présidents des universités, et en l'absence des intéressés : les universitaires indépendants non assermentés par l'administration. Les universitaires, les vrais, qui pensent et qui connaissent le terrain, les besoins et les attentes de leurs établissements, ont été ignorés ou exclus des débats conduits en conciliabules conjointement par les responsables de la tutelle et les gestionnaires administratifs en la personne des recteurs, dont beaucoup n'ont qu'une idée vague, souvent empruntée de la réforme proposée et imposée. L'original du LMD contesté en Europe, sa copie saluée comme une panacée en Algérie ! D'ailleurs, le LMD, dont on loue les vertus magiques, n'est qu'une pâle copie du système européen, que nos « experts » accrédités se sont empressés de transporter et de plaquer mécaniquement dans un contexte national guère préparé pour ce type de réforme initiée ailleurs. En Europe même où ce système LMD a été élaboré, les mécontentements augmentent à son propos ; il se heurte partout à des contestations de rue et à des mises en cause qui ont, d'ores et déjà, provoqué valse hésitations chez bon nombre de dirigeants européens chargés du secteur de l'enseignement supérieur. Certains y voient même une régression par rapport au système classique. Aussi, la question qui se pose est celle de savoir comment les Européens, qui disposent non seulement de compétences suffisantes en matière d'encadrement pédagogique et scientifique, mais aussi d'un système éducatif bien huilé, compétitif et performant, parviennent difficilement à appliquer ce modèle avec l'efficience attendue, alors que l'Algérie qui n'en dispose pas, pourra-t-elle réussir comme par miracle ? Cette question, notre tutelle ne se la pose pas, pour la simple raison qu'elle préfère s'évader dans la voie de la facilité et de la paresse qui consiste « à copier » et « à coller » les idées produites ailleurs, et c'est ce qui la dispense précisément de l'effort de réflexion et d'élaboration d'une stratégie propre et dûment adaptée au contexte et aux besoins du pays. Le mythe de l'éternel retour des « exilés » ou la vieille rengaine démagogique Que dire maintenant des compétences nationales inemployées ou marginalisées, en général, et des compétences de la diaspora en particulier ? Là encore, le Président reprend à son compte et malgré lui les sornettes de la tutelle qui, en théorie, préconise la valorisation de nos compétences et le retour des exilés, mais en pratique certains de ses responsables, surtout depuis 2004, ne font en pratique que d'essayer de mettre en quarantaine les meilleures d'entre elles et de dissuader par divers moyens détournés le retour de nos cadres désireux de revenir, corps et âme, dans le giron de « la mère patrie ». Il n'est point difficile, en effet, de prouver par des éléments matériels fiables cette volonté qui est plutôt le fait d'un petit clan jaloux de garder ses privilèges et ses positions acquises, et consistant à cantonner dans la marginalisation ou le refoulement nos meilleurs cadres nationaux. L'idée de ramener ou d'inciter au retour nos cadres nationaux établis à l'étranger n'est pas nouvelle. Elle est rebattue depuis des décennies et rien n'a été concrètement fait pour la mettre en œuvre. Elle relève plus d'un discours de circonstance, voire même de propagande que d'une volonté politique fondée sur une vision stratégique qui tiendrait compte de l'intérêt suprême de la nation. C'est sur cette question du retour hypothétique, retour sans cesse relancé, mais toujours reporté aux calendes grecques, que revient encore le président : « Le fait, dit-il, d'organiser les compétences nationales, de tirer profit des expériences des chercheurs algériens résidant à l'étranger et d'assurer leur contribution à l'effort national de promotion de la recherche demeure un but à atteindre, pour former un noyau d'expériences nationales solide et concrétiser les objectifs de la politique nationale en matière de recherche scientifique et de développement technologique. Nous avons perçu chez notre communauté à l'étranger, que je salue et à qui j'exprime ma considération, une pleine disponibilité à contribuer au développement du pays. » Tirons d'abord profit de nos cadres internes et songeons ensuite au reste Si généreux et si « patriotique » qu'il puisse être, ce sentiment apparaît à l'examen comme un simple vœu pieux dont la réalisation ressort de l'impossible. De l'impossible, car comment peut-on assurer un environnement propice à l'enseignement et à la recherche à ces cadres exilés, leur fournir toutes les commodités nécessaires à une existence normale (logement, outils de recherche, etc) lorsque leurs confrères en Algérie ont s'en complètement démunis ? Ne faut-il pas commencer d'abord par « organiser les compétences nationales » internes, savoir en « tirer profit » avant de discourir sur la nécessité d'intégrer les « expériences des chercheurs algériens résidant à l'étranger et d'assurer leur contribution à l'effort national » ? Si nos cadres « internes » sont déjà mal traités, mal logés, et leurs compétences gaspillées ou sacrifiées sur l'autel de l'indifférence, de la négligence coupable ou du mépris qu'affichent à leur égard bien de nos bureaucrates aux perspectives bornées, comment voulez-vous que ceux de l'extérieur soient un jour royalement accueillis et rationnellement « exploités » au grand profit de la nation et de l'Etat ? Ce sont des questions que l'on ne se pose jamais avec le sérieux qu'elles requièrent. Le Président qui n'a pas pris toute la mesure du drame que vit l'université algérienne et des élites du pays, s'est laissé complètement prendre au discours lénifiant de son ministre de l'Enseignement supérieur et de ses collaborateurs immédiats qui gèrent la chose scientifique et « la matière grise » en général avec « l'incroyable légèreté de l'être » pour reprendre l'heureux titre d'un fameux roman... Des responsables « nuls », mais perpétuellement reconduits dans leur fonction… Mais le Président n'est pas dupe. Il sait tout, mais il feint parfois de ne rien savoir afin de ménager ses nerfs que pourrait durement malmener « la nullité » réelle ou supposée de certains de ses ministres qu'il avait traités maintes fois en public de vauriens, sans qu'aucun d'eux n'ait eu le courage ou l'honneur de jeter son froc aux orties. De là s'explique le fait qu'il ne servirait à rien, du point de vue du Président, de substituer à un ministre « nul » ou pris en défaut de mauvaise gouvernance par un autre aussi nul que lui. Mieux vaut s'en tenir au statu quo que de provoquer des remous au sein du ménage gouvernemental ! Enfin, et pour conclure, cette allocution d'ouverture officielle de l'année universitaire 2009-2010 aura été une sorte de quitus donné implicitement à la « noble mission » accomplie par le MESRS, qui a mis du même coup un baume au cœur du ministre lui-même, lequel avait vivement applaudi la note finale du Président, qui n'en pouvait plus, au vu de sa face rayonnante, d'être comblé par tant d'hommages et d'éloges qui sont la grande rançon de la célébrité et de la grandeur, et par delà, de l'éternité, chère à la mythologie des dieux de l'antiquité gréco-romaine…