Si le paysage éditorial algérien a nettement progressé, on ne compte encore que 263 maisons d'édition en se référant à la participation au dernier Salon international du Livre d'Alger. Dans le lot, rares sont celles qui sont spécialisées quand, pourtant, le besoin en est immense pour d'innombrables secteurs et disciplines. Aussi, faut-il relever avec satisfaction l'existence de «Alternatives Urbaines», d'autant qu'elle se consacre à un domaine particulièrement important et sensible du développement du pays et des conditions d'existence des Algériens : l'architecture et l'urbanisme. Elle a été créée par Akli Amrouche, lui-même architecte-urbaniste et par ailleurs fondateur du seul périodique du domaine, Vies de Villes, qui lie les deux spécialités précitées aux questions de société. Cette revue est devenue depuis sa naissance, début 2005, une référence nationale et, de plus en plus, internationale. Avec «Alternatives Urbaines» s'est ouverte la possibilité de capitaliser et de diffuser le travail de recherche qui s'effectue dans les instituts et universités de même que les expériences de praticiens accumulées sur le terrain. Une initiative stratégique qui permet surtout de réhabiliter la réflexion et de rendre visibles les points de vue des professionnels. Les deux nouvelles publications d'«Alternatives Urbaines» ont retenu notre attention. La première porte sur le quartier Ben M'hidi au cœur d'Alger et propose, à partir de là, une méthode de réhabilitation d'un centre historique. Ce travail s'intègre dans un plus vaste projet visant à renforcer le laboratoire «Villes, architecture et patrimoine» de l'EPAU (Ecole polytechnique d'Architecture et d'urbanisme, Alger) en matière de diagnostic et de traitement des centres historiques. Il s'inscrit dans une coopération bilatérale algéro-espagnole avec l'UMP (Universidad Politecnica de Madrid) comme interlocuteur de l'école algérienne. De grand format, bilingue (français et espagnol), l'ouvrage comprend nombre de plans, photos, coupes et autres iconographies techniques ainsi que des textes de présentation ou d'analyse. Il s'agit donc bien d'un ouvrage spécialisé mais, au-delà de son public-cible, il peut être lu par d'autres lecteurs intéressés par ces questions. En effet, rien n'a été omis dans cette approche d'un des quartiers les plus emblématiques et fréquentés de la capitale, avec son animation quotidienne et son patrimoine architectural du XIXe siècle pour l'essentiel. On y découvre son histoire, son processus de constitution durant la période coloniale et son évolution post-indépendance. On y traite, bien sûr, des aspects architecturaux et urbanistiques avec une précision qui s'étend jusqu'à l'occupation d'entrées d'immeubles par des commerces. Des plans détaillés et dépliables sont joints à la fin de cet ouvrage qui débouche sur une proposition de stratégie d'intervention. Pour les professionnels, il s'agit là d'une référence précieuse, voire d'un outil extensible à l'ensemble du cadre bâti ancien de la plupart des villes d'Algérie qui souffrent, en la matière, d'une terrible carence doublée d'une urgence. Pour d'autres lecteurs, profanes curieux, sa lecture est édifiante et, souvent, passionnante. L'autre livraison des éditions «Alternatives Urbaines» apparaît comme un essai de grande importance que tous les décideurs du pays devraient lire. Intitulé L'urbanisme en Algérie : échec des instruments ou instruments de l'échec, il plonge au cœur des enjeux stratégiques des villes, de leur gestion et de leur changement. Autour de Rachid Sidi Boumedine, sociologue et urbaniste, qui a dirigé l'ouvrage, l'équipe des contributeurs se distingue par sa qualité : Tewfik Guerroudj, ancien directeur de l'Urbanisme au ministère de l'habitat, et des agences d'urbanisme de Rouen et Bordeaux ; Eric Huybrechts, architecte, urbaniste et universitaire (Paris-Est) ; Michel Gaillard, expert des villes nouvelles en région parisienne ; Ghanem Laribi, également architecte et urbaniste, gérant d'une agence de paysage à Alger ; Danièle Pini, professeur d'urbanisme à l'Université de Ferrera (Italie), consultant de l'Unesco, coordinateur scientifique du projet de régénération du Vieux Caire ; Sana Sidi Boumedine, Docteur des sciences de l'ingénieur et Michel Titecat, ingénieur civil Ponts et Chaussées. Du beau monde qui apporte des éléments de réflexion pertinents sur divers pans de l'urbanisme. Mais l'essentiel de l'ouvrage est rédigé par Rachid Sidi Boumedine qui délivre là une somme fabuleuse d'informations et d'analyses, mettant le doigt sur la grande dérive urbanistique de l'Algérie avec ses rapports aux dimensions politiques, juridiques, sociétales et même culturelles. Le livre s'achève par une table-ronde intitulée «Qu'est-ce qui ne tourne pas rond ?» avec le coordonateur de l'ouvrage et les architectes Djafar Lesbet, Hamid Ould-Hocine, Larbi Melhoum et Abdelhalim Faïdi. Douze pages seulement mais de haute concentration, où l'on découvre aussi les raisons profondes qui font que les Algériens, désormais majoritairement urbains, vivent la ville comme un calvaire sinon une descente aux enfers.