-La sécurité sociale est un droit pour tous les Algériens. Malheureusement, on constate que de plus de plus de malades nécessitant un transfert à l'étranger ne sont pas pris en charge par la Caisse nationale (CNAS), et ce, même s'ils souffrent de maladies qui ne sont pas soignées dans notre pays. Qu'en pensez-vous ? Ce n'est pas la sécurité sociale qui est un droit, c'est l'accès à des soins de qualité qui l'est. Je crois que c'est comme cela qu'il faut appréhender ce problème. Je voudrais rappeler que la Constitution algérienne, par son article 54, «garantit la protection de la santé pour tous les citoyens» et, que par son article 67, elle impose à l'Etat «à prendre en charge gratuitement les problèmes de santé du citoyen». Les soins doivent être donnés gratuitement quelles que soient les circonstances. Autrement dit, si pour une raison ou une autre les soins ne peuvent pas être prodigués dans nos hôpitaux, le transfert à l'étranger est dans ce cas un droit pour le malade et une obligation pour l'Etat. -Pourquoi cela ne se concrétise-t-il pas sur le terrain ? Je considère, en ce qui me concerne, que les pouvoirs publics algériens violent systématiquement la loi en ne mettant pas, justement, tout en œuvre pour donner les soins indispensables à nos concitoyens malades du cancer, par exemple, en particulier ceux qui nécessitent des cures de radiothérapie. Lesquelles cures, chacun le sait, ne sont pas accessibles pour tous dans notre pays. J'ai bien conscience qu'il n'est pas évident d'envoyer des milliers de malades à l'étranger pour des cures de ce type. Pour autant, la loi le commande et l'Algérie en a les moyens financiers… Une violation flagrante de la loi et une non-assistance à personne en danger. Et, je ne pense pas faire dans la surenchère en posant le problème en ces termes. Vous pouvez constater que nous sommes en dehors du cadre de la sécurité sociale, cet organisme étant simplement un prestataire de service. Si la loi est respectée, les caisses n'ont pas d'autre choix que de payer. Après tout, elles ne feront que remplir la part du contrat qui les lie à leurs adhérents ou plutôt à leurs cotisants. -Dans quel cas peut-on accorder ou non un transfert à l'étranger ? L'accord pour un transfert à l'étranger doit se faire sur les mêmes critères que ceux qui doivent prévaloir pour accéder aux soins dans des structures de santé spécialisés ou de haut niveau d'excellence. Si la polyclinique de proximité ne peut pas prendre en charge la santé du citoyen, parce que celui-ci nécessite des soins spécialisés, il doit pouvoir accéder rapidement à une structure de santé qui dispose des compétences adaptées à son cas. Si sa maladie ne peut pas être soignée dans son pays, la loi — je le répète — oblige les pouvoirs publics à mettre tout en œuvre pour sauvegarder sa santé. Il doit donc bénéficier d'une prise en charge à l'étranger si c'est là l'ultime solution. Un traitement qui doit s'appliquer à tous de la même façon. -De quoi souffre notre système de santé en matière de prise en charge à l'étranger ? Notre système de santé est victime de son obsolescence et de la démagogie qui caractérise la politique globale de santé. La médecine est, dans les textes, gratuite mais dans la réalité de nos concitoyens malades, elle ne l'est pas. Je crois que c'est en ces termes qu'il faut poser le problème. Notre système de soins, la médecine gratuite, a montré ses limites et elle ne dispose pas des moyens financiers indispensables pour être à la hauteur de ses ambitions et répondre correctement aux besoins de santé de la population. Sous le fallacieux prétexte que le secteur de la santé n'est pas rentable, les pouvoirs publics ne donnent pas les moyens de sa politique à la gratuité des soins. Le coût de la santé n'a pas été réévalué depuis le milieu des années 80, alors que l'environnement économique national a totalement changé et que le coût global de la vie a été multiplié par quinze. Le budget de la santé pour l'année 2012 est de 405 milliards de dinars, soit 11 250 dinars par personne, 106 euros. En 2013, le budget a été réduit à 307 milliards de dinars, soit 8528 dinars par personne, 80 euros. A titre d'exemple, la dépense de santé par habitant en France est de 3430 euros environ. Voilà pourquoi le système de soins algérien est à bout de souffle et que les structures de santé publique n'offrent plus une médecine de qualité à tous les citoyens. A tous les citoyens, je le précise bien, car comme pour la prise en charge à l'étranger, l'accès à des soins de bonne qualité est encore possible dans notre pays pour les privilégiés. En effet, tout le monde ne peut pas prétendre à un scanner ou une IRM, ou encore à des examens biologiques spécifiques dans nos hôpitaux, mais certains favorisés y ont accès aisément. Toujours les mêmes. Quant au citoyen ordinaire, il doit pour cela s'adresser à la médecine libérale contre monnaie sonnante et trébuchante… avec des taux de remboursement par la sécurité sociale dérisoires, parce qu'encore figés aux années 80. -Certaines personnes aux contacts «haut placés» peuvent bénéficier d'une prise en charge à l'étranger, d'autres ont accès à ce privilège du fait de leur rang social ou de l'influence qu'ils ont. Une réalité ? Vous avez raison de souligner cela. Les soins à l'étranger sont servis aux privilégiés du système politique qui règne dans le pays depuis le recouvrement de notre indépendance. Une injustice. Pourtant, la loi algérienne est bien faite. Elle ne fait aucune différence entre les citoyens pour l'accès à des soins de qualité. Que l'on soit un citoyen lambda, «un zaouali», ou que l'on soit ministre, ou encore président de la République, l'Etat algérien, faut-il le rappeler «met en œuvre tous les moyens destinés à protéger et à promouvoir la santé…». Nous ne sommes pas dans ce cas de figure, et ce n'est un secret pour personne que les prises en charge à l'étranger sont attribuées sans retenue pour certains et que les enfants gâtés du pouvoir ont accès à ces prestations, même pour des petits bobos de rien du tout. Quant aux autres malades… Je ne peux m'empêcher de penser, à nouveau, à tous nos concitoyens malades du cancer et qui sont condamnés à mourir dans l'indifférence des pouvoirs publics parce qu'ils ne peuvent pas bénéficier d'une prise en charge pour recevoir les cures de radiothérapie qui leur sont nécessaires. Un scandale national, une honte pour notre pays. -Comment expliquer l'impossible accès, dans notre pays, à des soins de qualité ? Comment peut-on expliquer le refus qui a été signifié à cette petite fille d'Aghribs ou encore à cet enfant de Larbaâ Nath Irathen qui présentent, l'une et l'autre, des maladies qui ne peuvent pas être soignées en Algérie. Qu'on ne vienne pas nous dire qu'il s'agit de pathologies qui ne peuvent bénéficier de toute façon d'aucun soin possible nulle part ailleurs. Peut-on en réalité évoquer ce problème de prise en charge à l'étranger sans prendre en considération la nature inique du régime qui nous dirige ? Une gouvernance désastreuse, faite de gabegie, d'injustice et de corruption… et dans la santé il y a tout cela. L'impossible accès, dans notre pays, à des soins de qualité ou encore à une prise en charge à l'étranger est le condensé de tout cela.