Le service civil est un dispositif anachronique et totalement inopérant. Une expérience qui a montré son inefficacité sur le terrain et que les pouvoirs publics s'entêtent à poursuivre. Ne nous y trompons pas, le bras de fer engagé par les médecins résidents avec les pouvoirs publics est un acte éminemment politique. Ils ne défendent pas leurs intérêts comme il est dit ici ou là. De la propagande de mauvaise facture qui a pour objectif de ternir l'image de ce corps de métier qui passe des jours et des nuits à prendre soin du citoyen, du peuple. Pour cette raison, les Algériens doivent se déterminer et les soutenir dans ces revendications. Les médecins résidents ne veulent rien d'autre que de bonnes conditions de travail pour bien prendre en charge la santé de la population. Ils se battent présentement pour un système de santé soucieux d'un égal et juste accès à des soins de qualité pour tous les Algériens. Vous qui êtes en train de lire cet écrit, vous vous êtes sans doute déjà rendu compte de l'état de délabrement de notre système de soins et surtout de son iniquité, sa partialité. Vous savez, nous savons tous, pouvoirs publics compris, que la médecine gratuite a disparu depuis plusieurs années et que seuls les riches et les privilégiés ont accès gratuitement à des soins de qualité dans notre pays... quand ils ne bénéficient pas de prise en charge dans les hôpitaux parisiens ou genevois. L'Algérien lambda, le pauvre bougre, accède avec beaucoup de difficultés aux soins, quant aux soins de qualité, cela est un véritable défi, et il n'est pas sûr, qu'en fin de ce parcours, il y parvienne. Cela est particulièrement vrai à l'intérieur du pays, mais c'est aussi le cas dans nos grands centres hospitaliers, les CHU notamment. Celui-là, le citoyen Bassit, est renvoyé en médecine libérale pour faire les examens biologiques et radiologiques, et souvent pour accéder à des soins de qualité, tout cela à ses frais et sans être (réellement) remboursé. Un véritable apartheid dans l'accès aux soins. Cela ne peut être qualifié autrement. Et c'est le cheval de bataille qu'ont justement enfourché les médecins résidents pour poser les problèmes que vit notre système de santé. Le service civil est un dispositif anachronique et totalement inopérant. Une expérience qui a montré son inefficacité sur le terrain et que les pouvoirs publics s'entêtent à poursuivre. Un alibi et un argument que le pouvoir politique et ses relais utilisent pour disqualifier les revendications des résidents et les jeter en pâture à la population. Il faut repenser le service civil. Les médecins insurgés proposent une alternative réaliste et pragmatique : ils demandent, d'une part, un vrai plateau technique pour soigner les malades et, d'autre part, des conditions incitatives pour les amener à occuper les postes ouverts, en particulier dans le sud du pays. De telles conditions qui sont offertes à tous les cadres qui exercent dans ces lointaines régions du territoire national. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour les médecins ? De plus l'affectation de praticiens sans offrir de bonnes conditions d'exercice ne résout pas les problèmes de santé de la population. Comme si le simple fait d'affecter un médecin dans une structure de santé publique pouvait résoudre les soucis de santé du citoyen. Au mieux de l'incantation, au pire du mensonge. L'un et l'autre caractérisent en toute chose la gouvernance dans notre pays. Mais les médecins résidents vont plus loin. Ils demandent aux députés de rejeter la nouvelle loi sanitaire. Pour l'avoir lue et critiquée — à la demande du Conseil de l'ordre des médecins —, je suis de leur avis. La nouvelle mouture qui est proposée au vote à l'Assemblé est en net recul par rapport à celle encore en vigueur, la loi 85-05. Quand bien même cette dernière montrerait aujourd'hui un essoufflement au regard des coups de boutoir qu'elle reçoit du fait des nouveaux choix économiques pour lesquels notre pays a opté — l'économie libérale —, elle avait le mérite de la clarté. Les soins gratuits et obligatoires pour tous les citoyens dans les structures de santé publique était consacré. Parce que l'environnement économique national lui est hostile, cette option généreuse des années 70 — la médecine gratuite — n'est plus possible. L'économie de marché, option politique nouvelle, a appauvri nos structures de santé publique qui ne bénéficient plus de budgets suffisants pour offrir les mêmes conditions de soins à la population. Nos structures de santé se sont détériorées et notre système de soins a perdu de sa pertinence et de son efficacité. Le nouveau projet de loi ferme définitivement la porte de la médecine gratuite et, avec, l'accès aux soins aux citoyens, en particulier aux plus pauvres. La gratuité des soins est évacuée par ce projet de loi sans que cela ne soit politiquement assumé. En cachette. Le pouvoir politique et ses relais continuent de claironner que la gratuité des soins est un acquis social irréversible. Mais les faits sont têtus et la réalité du terrain est là. Les soins seront, si cette loi est votée, payants pour tous les citoyens, ce projet l'énonce clairement. La Sécurité sociale prendra en charge les dépenses de santé de ses adhérents, mais il n'est pas dit ce que deviendront ceux qui ne sont pas assurés, les travailleurs au noir, les chômeurs, les handicapés, les pauvres. Qui paiera pour eux, puisque, désormais, l'Etat se désengage financièrement de la prestation de soins. En réalité, il y a longtemps que l'Etat s'est désengagé de notre système de soins. Il suffit de regarder du côté des nécessiteux pour s'en rendre compte. Ceux-ci sont supposés être à sa charge, pourtant ils n'ont accès qu'à des soins dont le coût ne dépasse pas 3 000 DA par trimestre. Certaines ordonnances que je signe dépassent quelquefois 30 000 DA, elles ne sont pas servies sur présentation de la carte Chifa ou du récépissé mis à disposition pour la circonstance. Hormis les cures de chimiothérapie et de radiothérapie qui sont en principe totalement prises en charge — chacun sait dans quelles conditions —, le reste des prestations de santé sont remboursées "à la tire-boulettes". Fatigués, usés, les malades abandonnent souvent leurs droits à la Sécurité sociale. Si l'Etat se désengage davantage — ce qui semble se profiler à l'horizon si ce projet de loi est voté —, même la Sécurité sociale sera en danger. Les caisses ne pourront pas honorer le minimum des prestations servies à leurs cotisants. Et les retraites seront compromises. Les caisses fermeront. Jusque-là, la Sécurité sociale participait au forfait à la prise en charge des soins de ses adhérents par le secteur public. Un forfait nettement en deçà du coût réel des prestations servies. Les grosses dépenses de soins sont précisément à ce niveau. Si les structures de santé publique pour survivre exigent d'être payées au réel, la banqueroute menace les caisses de Sécurité sociale. Les pouvoirs publics le savent et ils ne peuvent rien faire. L'impasse. Chacun peut comprendre que le bras de fer engagé par les résidents est juste et qu'il participe du souci de ces praticiens de protéger notre système de santé et la Sécurité sociale. Si ceux-ci, les résidents, ont été manifester hier devant l'Assemblée nationale, c'est pour attirer l'attention des parlementaires sur les dangers encourus. Les pouvoirs publics, hermétiques, enfermés dans leur mépris de tout ce qui vient du peuple, ont envoyé à nouveau la police et les fourgons cellulaires, pour donner du bâton et arrêter les médecins. C'est peine perdue, les médecins sont dans le vrai. Le temps et la population finiront par leur donner raison. Il faut espérer qu'il ne sera pas trop tard.
M. B. (*)Psychiatre, docteur en sciences bio-médicales