Dans la série d'entretiens avec les Algériens de la Belle Province, discussion avec Zehira Houfani–Berfas (*) écrivaine,journaliste arrivée au Canada (Ottawa) en 1994 avant de déménager au Québec en 2003. « Le voile n'a jamais été mon combat, mais cet acharnement contre le foulard islamique en France d'abord, puis au Québec nous interpelle en tant communauté », affirme-t-elle. « Le fait de savoir qu'il y a aussi des Algériens qui attisent la peur des Québécois à l'endroit de l'islam me brise le cœur et je me fais violence pour ne pas alimenter nos sempiternelles querelles importées de là-bas pour l'essentiel », ajotue–t-elle
La charte des valeurs québécoises est-elle nécessaire au Québec ? N'y a-t-il pas déjà séparation entre l'État et la religion ? Je ne le crois pas. Personnellement, je trouve que c'est un débat de trop sur le dos des musulmans. Depuis que je suis au Canada, c'est la 3e tempête autour du voile islamique, qui demeure la cible principale de tout ce remue-ménage. Déjà en 1994, l'exclusion de l'école publique d'une jeune fille portant le hijab a semé une controverse et plongé le Québec dans un débat sur cette question. Je me souviens qu'à l'époque, le Conseil du Statut de la femme avait préconisé la tolérance, en considérant que son interdiction brimerait l'accès des jeunes musulmanes à l'école publique. En 2007, c'est le pénible épisode des accommodements raisonnables sur lequel avait surfé le parti de l'ADQ avec à la clé 41 députés et le statut d'opposition officielle. Le hic de cette victoire c'est qu'elle a carburé à l'islamophobie entourant Bouchar/Taylor[une commission sur les possibles dépassements dans l'octroi d'accommodements religieux, NDLR] et qu'elle n'a pas résisté au véritable travail sur le terrain politique. C'est bien dommage que le Parti Québécois (PQ) use de la même logique en faisant de la charte des valeurs sa carte maîtresse pour remporter ces élections, quitte à brimer l'accès au travail des femmes qui portent le hijab. Quant à la séparation entre l'État et la religion au Québec, il n'y a aucun doute là-dessus. À mon sens, la séparation entre l'État et la religion est un fait irréversible au Québec, commed'ailleurs dans le reste du Canada. Et même au-delà, puisque je considère que c'est une réalité dans tout le monde occidental, ou développé, si on préfère.
Y a-t-il un danger islamiste ou intégriste au Québec?
Autrement dit, « Les soldats d'Allah seraient-ils en train d'envahir le Québec » ? Je ne sais pas s'il y a des gens qui croient en ces inepties. Le Québec se trouve en Amérique du nord,un endroit où les libertés sont ancrées dans la vie des gens comme nulle part ailleurs. Ce peuple a fait et réussi sa révolution tranquille alors qu'il se trouvait seul sous le joug dela puissante église et des empires anglophones. Il défend vigoureusement sa langue et sa culture face à ses voisins, dont le géant américain. Dire que la présence du foulard islamique ou d'une mosquée le met en péril, c'est manquer de respect aux gens et dénigrer leur capacité d'évolution. Cela dit, je me suis toujours interrogée sur l'authenticité des auteurs de certaines demandes d'accommodements saugrenues qui font les délices des médias québécois. Je pense entre autres à cet étudiant de l'université York qui refuse de travailler en session avec des femmes. Il me semble que ce genre de comportement nuit terriblement à la communauté musulmane.
La charte ne va-t-elle pas créer plus d'exclusion en congédiant et en fermant la porte du travail à certaines femmes musulmanes?
Sans aucun doute. Il y aura probablement des femmes qui vont subir la contrainte et s'y conformer faute de choix. Mais cela risque de créer et d'entretenir un sentiment d'animositédans le milieu du travail. Si moi-même je portais le voile, je sentirais cette injonction de la charte comme une injustice, une atteinte à ma liberté. Il y a sûrement des personnes qui pensent sincèrement que le port du foulard est un signe de soumission de la femme et reflète l'inégalité entre elle est l'homme. Et même là, ondevrait laisser aux femmes le soin d'en être persuadées par elles-mêmes. Les musulmanes qui vivent en occident ont la possibilité de faire des choix de vie, à plus forte raison quand elles sont détentrices de diplômes, qu'elles occupent diverses fonctions et qu'elles interagissent librement avec la société d'accueil. Le voile n'a jamais été mon combat, mais cet acharnement contre le foulard islamique en France d'abord, puis au Québec nous interpelle en tant communauté. Je trouve déplacé de considérer que le choix des musulmanes de porter le foulard n'est pas éclairé, autrement dit, qu'elles manquent de jugement. Je suis ravie de voir tant de jeunes musulmanes bien documentées et aussi déterminées à défendre leurs droits de québécoises musulmanes. Si la mobilisation pour un vote utile au profit du Parti libéral du Québec (PLQ) ne suffit pas à inverser la tendance et advenant l'adoption de la charte dans sa version actuelle, il ne seraitpas étonnant que beaucoup de familles musulmanes se voient obligées de quitter le Québec pour les autres provinces.
Le débat sur la charte semble avoir donné carte blanche au discours islamophobe et d'exclusion. Qu'en pensez-vous ?
Qu'est-ce qu'on n'a pas entendu ou lu comme propos grossiers et injures ces derniers jours. Cela m'a rappelé l'ambiance malsaine du 11 septembre, quand le musulman, accablé, rasaitles murs pour ne pas se faire remarquer. Écoutez, le PQ ne s'en cache pas, il mise sur la charte pour remporter les élections. Les politiciens savent comment manipuler les émotions des gens, notamment par le biais de laquestion identitaire et de l'immigration. Ce n'est pas étonnant que les extrêmes droites du monde entier en font leur fond decommerce. Je trouve dommage que le PQ qui compte de nombreux Maghrébins parmi ses adhérents, balaie du revers de la main les aspirations d'une communauté qui ne demande qu'à participer à l'édification d'un Québec inclusif et prospère. Même si je comprends l'inquiétude de certaines couches de la société québécoise (dite de souche) face au changement introduit par la diversité culturelle et religieuse qui s'affiche un peu partout dans le pays, j'aurais espéré que la classe politique y réponde de façon appropriée. Plutôt que d'entretenir ce sentiment de peur et de méfiance, particulièrement à l'égard des musulmans, elle s'appliquerait à produire un discours rassurant qui permet aux uns et aux autres de concevoir un vivre ensemble harmonieux et bénéfique pour l'ensemble des Québécois, de toutes origines. Cela dit du PQ, le fait de savoir qu'il y a aussi des Algériens qui attisent la peur des Québécois à l'endroit de l'islam, ça me brise le cœur et je me fais violence pour ne pasalimenter nos sempiternelles querelles importées de là-bas pour l'essentiel.
Les enjeux pour la communauté ne sont-ils pas ailleurs (travail, éducation des enfants…) ? et les nouveaux arrivants ne doivent-ils pas se tenir à l'écart du débat sur l'indépendance puisqu'ils n'ont pas émigré pour ça ou contre ça ?
La situation des Maghrébins en termes d'emploi est déplorable et les chiffres s'affichentpréoccupants depuis des années. Pourtant, il me semble que c'est une priorité dans le processus d'intégration des immigrants. C'est seulement, une fois stables dans leur vie et rassurés sur l'éducation de leurs enfants, que les gens s'intègrent plus facilement etdéveloppent un sentiment d'appartenance à la société d'accueil, bien mieux que ne le ferait une charte ou une carte de parti. Or la charte, dont il est question, risque de grossir les rangs des sans emploi parmi la communauté musulmane, puisqu'elle exclut d'ores et déjà de la fonction publique les femmes portant le foulard. Et même ailleurs, comme les garderies, entre autres. Ce n'est pas ce qu'on peut appeler une charte « inclusive » et rassembleuse. C'est plutôt l'inverse. Pour ce qui est du 2e volet de votre question, je suis tentée de répondre par oui. Effectivement, les immigrants qui arrivent au Québec en quête d'une vie meilleure se retrouvent malgré eux embarqués dans une dynamique qu'ils ne comprennent pas. Du moins dans un premier temps. Des notions comme la séparation, l'indépendance du Québec n'étaient pas inclus dans leur projet d'immigration. À l'exception des Français qui, peut-être, connaissent la situation du Québec dans le Canada, de par l'histoire et l'ascendance, les autres immigrants se retrouvent plutôt incommodés de devoir choisir en le Québec et le Canada. Avec le temps, certains choisissent de se joindre au projet souverainiste, c'est le cas des Maghrébins et autres musulmans qui adhèrent au PQ.
Le PQ vient de présenter quatre candidats d'origine algérienne. Poteaux ?
Quatre Maghrébines à la députation, j'aurai certainement applaudi n'eut été le contexte et l'objet de cette élection. En termes de compétences, le PQ n'aurait pas trouvé de meilleures candidates. Ce qui est navrant, c'est qu'en choisissant la charte des valeurs dans sa version actuelle, elles devront (je pense à Yasmina Chouakri et Leila Mahiout) se passer du soutien d'une partie de leur communauté, puisque celle-ci a entamé une campagne de mobilisationcontrer la charte. Je ne parle pas de l'auteure des « soldats d'Allah à l'assaut de l'occident » [DjemilaBenhabib, NDLR] pour qui le chemin semble tout tracé : sauver le Québec des visées islamistes. Heureusement qu'Hérouxville [une municipalité québécoise qui s'est fait connaître en 2007 pour son code de vie qui interdit la lapidation, NDLR] n'est pas de la partie, sinon avec Louise Mailloux qui assimile la circoncision à un viol, les musulmans seraient mal barrés et cette élection se ferait vraiment sur leur dos s'ils ne se mobilisent par pour un vote stratégique. Bref, que l'on soit pour ou contre ces candidates, on est en démocratie et seuls les électeurs décideront de leur sort.
Quel commentaire faites-vous sur le peu de candidats d'origine maghrébine au Parti libéral du Québec ?
C'est une question que je me suis posée. Est-ce parce que les gens sont en majorité de gauche? Ou bien par gratitude envers la société d'accueil, une sorte de reconnaissance pour le Québec, d'autant que la majorité des Maghrébins francophones, à quelques exceptions,sont choisis par la délégation du Québec et non par le Canada. Il y a aussi le fait que notre communauté est relativement récente et qu'elle n'est pas suffisamment organisée pour s'impliquer davantage dans la vie politique du Québec. Je suis sûre qu'à l'avenir, ils seront plus nombreux dans les autres partis, d'autant que le PQ leur montre la porte.
(*)Bio « Écrivaine, journaliste et collaboratrice de presse en Algérie jusqu'en 94 avant d'atterrir à Ottawa. Elle a aussi produit des émissions littéraires pour radio chaîne 3. Elle a publié 3 ouvrages dans les années 1980. Au Canada, elle a travaillé dans l'enseignement du français à la fonction fédérale à Ottawa, puis dans le domaine des communications. Elle a publié dans plusieurs journaux. Elle a déménagé au Québec après 8 ans à Ottawa en 2003 pour raison familiale. Elle a rédigé Lettre d'une musulmane aux Nord-Américaines, le lendemain du 11 septembre. C'est à ce moment-là qu'elle avait intégré l'équipe montréalaise d'Irak Peace Team contre la guerre en Irak, suivi de la rédaction du livre Jenan, la condamnée d'Al-Mansour. C'est cela qui lui a valu la reconnaissance de Club Avenir. Elle milite également pour le changement politique et la démocratie en Algérie. Ses textes sont publiés sur El Watan. Elle dit ne pas avoir de parti politique. Elle dit partager les idées du FCN (Front du changement national) aux côtés du Dr Salah-Eddine Sidhoum et plusieurs autres militants. Elle publie aussi à travers LQA, Le Quotidien d'Algérie. »