Une attitude on ne peut plus révélatrice des pulsions hégémoniques qui animent le pouvoir algérien et sa tendance à n'admettre aucune dynamique qui échapperait à ses manœuvres, ou qui viendrait contrarier ses visées prédatrices. Loin d'y croire et refusant de placer un quelconque espoir dans cette échéance, les Algériens ont massivement boudé l'élection présidentielle ! Devenu imperméable aux infantilismes d'un régime finissant et historiquement usé, le peuple algérien cherche à se renouveler en dehors des cieux incléments de ceux qui ont dévoyé l'indépendance et privatisé la «Mecque des révolutionnaires». L'illisibilité politique ayant marqué la présidentielle, couplée à une violence physique et verbale sans précédent, ont vite étouffé l'élan naïf de quelques acteurs politiques qui, croyant que le régime allait s'amender, ont vite compris qu'ils cautionnaient là une échéance télécommandée et réduite à une simple formalité de calendrier. Dans ce scénario tragicomique, l'opposition a plus montré ses limites que montré une quelconque cohérence organisationnelle ou stratégique. Les alliances de conjoncture, marquées par une incompatibilité idéologique frappante et une incapacité à mobiliser les segments les plus sensibles de la société n'ont fait que rajouter de l'incertitude et de la confusion dont regorge déjà l'esprit de l'Algérien. Bien des Algériens se posent, aujourd'hui, la question de savoir de quoi sera fait l'après-présidentielle… Rassurons-les ici : le pire est à redouter à la mort de Bouteflika qui «a fait l'objet d'un véritable détournement de vieillard», comme l'a dit De Gaulle à propos du Général Pétain instrumentalisé par l'Allemagne nazie. Bouteflika, otage de ses propres calculs et d'un clan aux appétits voraces, animé par un noyau dur de spadassins dont les intérêts financiers et les frasques feraient rougir les pires dictateurs africains ou arabes. Les chiffres de cette élection, malgré leur gonflement éhonté par l'administration, a montré que Bouteflika n'est pas le candidat du peuple ni celui du consensus. Mais il continue à cimenter les rapports des différents clans qui le soutiennent. Pas pour longtemps, car il va falloir vite partager la rente d'une économie fragilisée et aux perspectives très sombres. Il y a fort à parier qu'avant même sa disparition, les repositionnements des uns, les alliances tactiques et les reniements idéologiques des autres anticiperont un véritable conflit de succession qui ne sera pas sans séquelles sur l'édifice institutionnel algérien. Et pourtant, ce ne sont pas les chantiers qui manquent dans l'Algérie de 2014 : paupérisation sociale, chômage galopant, économie mono-exportatrice moribonde, corruption endémique, jeunesse désabusée et horizons politiques cloués. Tout ceci n'arrive pas à ébranler les certitudes du clan qui lie son avenir à celui de la patrie. Se croyant définitivement immunisé contre ce que l'on a qualifié abusivement de «Printemps» arabes, ils continuent à dépecer la jeune nation algérienne en lui greffant des valeurs culturelles incompatibles avec l'héritage de sa civilisation et de son Histoire. Le socle culturel qui protège les sociétés de l'anéantissement s'est disloqué, les mœurs politiques des gouvernants hypothèquent les chances d'une transition générationnelle sereine et les pratiques de gouvernance, faites de rapine, de corruption, de cooptation et de sectarisme, alimentent les haines et les frustrations pour, enfin, générer, une prédisposition à une violence structurelle aux conséquences néfastes sur la souveraineté nationale. L'inconscience politique et le blocage idéologique sont les seules «compétences» des gouvernants. Le paternalisme exercé sur la société et le népotisme bureaucratique font s'amenuiser les chances de l'avènement d'une société civile capable de produire l'énergie créatrice suffisante à un changement pacifique. Sans grand risque de nous tromper, parions que la rentrée sociale à venir sera une épreuve annonciatrice de ce qui attend les Algériens comme désordre, violences et conflits. Aucune nation ne s'en est sortie après avoir biaisé les élections, marqueur universel de la démocratie. Dur à dire, mais l'honnêteté intellectuelle exige de l'écrire : les conséquences toxiques du hold-up dont a fait l'objet l'Algérie en 1962 ont durablement marqué le corps de cette jeune nation : la métastase est ancrée et aucune institution n'échappe au détournement de ses missions et de son esprit. Quand les Algériens assistent, honteusement, à un combat de coqs ayant vautré l'honneur de plusieurs institutions dans les égouts de la bêtise des larbins patentés, faisant office de classe politique, il y a de quoi douter de la capacité de l'Algérie à postuler à l'âge adulte des Nations. Mais l'espoir n'est pas totalement perdu : il reste encore des Hommes et des Femmes capables de reprendre le flambeau de ceux qui ont vraiment cru en l'Algérie, et la mener vers des horizons meilleurs. Ceci dépend, évidemment, des capacités des acteurs agissant de la société, des intellectuels et des leaders politiques républicains à se constituer en alternative face au despotisme actuel, et dans leur volonté à construire des consensus bâtisseurs et s'éloigner des compromissions destructrices. L'Algérie de demain se construit aujourd'hui ! Il n'est point de salut sans l'émergence d'une société civile agissante encadrée par une élite politique renouvelée, ayant échappé à l'embrigadement dévastateur de la pensée conservatrice et portée sur l'idéal républicain incarné par l'appel du 1er Novembre et le Congrès de la Soummam !