Déstabilisation, contestation, révolte, rébellion, guerre civile, guerre contre les civils, terrorisme. Une mutation à son paroxysme, une manifestation d'un jeu géopolitique complexe qui s'opère en Afrique du Nord. Elle rappelle des époques anciennes avec une posture nouvelle mais plus pernicieuse. De la destruction de Carthage à la prise d'Alger, cet espace s'est trouvé tantôt fédéré, tantôt désarticulé par un jeu de puissances ou des conquêtes internationales. La configuration géopolitique de cette région a évolué paradoxalement entre tentatives de formation de souveraineté nord-africaine et processus de mise sous tutelle étrangère. D'une tutelle impériale ou califale à une autre durant des siècles, de Rome à Paris, en passant par la Sublime Porte. Entre-temps, des souverainetés autochtones nord-africaines ont pu émerger, mais leur volonté d'autonomie a suscité tant de convoitises et des coalitions, comme l'illustre plus spécifiquement le cas du Royaume de Numidie(2), ou plus tard celui de l'Etat d'Alger(3). Une autonomie géopolitique qui reflète une évolution vers l'autochtonisation des gouvernances locales et la puissance de ces souverainetés nord-africaines, après de longues périodes de domination coloniale ou de tutelle étrangère. L'époque postcoloniale a conduit à l'émergence d'Etats nationaux plus ou moins autonomes, mais déconnectés de leur vocation nord-africaine, d'Alger à Tombouctou ou du Tripoli à Rabat, malgré l'appel de Tanger(4) de 1958. Le Caire baigne dans son Nil pharaonique et son jeu moyen-oriental, loin des préoccupations de l'Afrique du Nord et de ses enjeux. Des Etats nationaux, forme inachevée de «l'Etat-Nation» en Occident, parce que la «nation» nord-africaine transgresse le cadre postcolonial. Ces Etats sont établis sur des territoires issus de la Conférence de Berlin de 1885, avec des frontières dont l'intangibilité est entérinée par la Conférence d'Addis-Abeba en 1963. Des centralités étatiques inachevées dont le pouvoir politique est en rupture avec l'histoire nord-africaine et l'espérance de la multitude. Le territoire est certes fondateur d'une centralité mais non garant de sa pérennité. Il conduit à son confinement local et restreint la perspective d'émergence d'une gouvernance nord-africaine de type transnational. Le confinement territorial amplifie les rivalités locales : différend frontalier, revendication d'autonomie, séparation des populations transfrontières, contrebandes, terrorisme multinational, ingérence internationale, coalition de guerre. La dépense militaire accompagne l'intensité des rivalités locales et la recherche des alliances internationales introduit la tutelle et exacerbe les antagonismes cultuels et culturels. L'effondrement de certains Etats nationaux comme en Libye ou l'émergence de nouvelle souveraineté comme dans l'Azawad ou à Barca(5) accroît les rivalités et les risques de mise sous tutelle de l'Afrique du Nord. La Libye est déjà sous tutelle internationale dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Une nouvelle géopolitique nord-africaine dont les contours géographiques, le jeu stratégique et les enjeux politiques, économiques et énergétiques sont en train de s'élaborer. Une problématique qui commande de s'interroger sur la dynamique de ces changements. Des Etats qui implosent. Des souverainetés qui émergent. Des rivalités qui s'exacerbent. Des contestations qui se militarisent. Des dépenses militaires qui explosent. De la paupérisation qui se diffuse. Des ressources qui se convoitent. S'agit-il d'un phénomène structurel, donc profond et durable, ou juste une mutation révélée par la diffusion de la contestation depuis les événements de Tunisie, appelée abusivement «printemps arabe» ? Le mouvement est-il en mesure de réajuster le jeu géopolitique et les enjeux économiques et énergétiques dans la région ? Vers quelle gouvernance ? Une gouvernance autonome dans le cadre de l'Etat national ou transnational sur le modèle européen ou encore une gouvernance sous tutelle dans le cadre d'un «Etat gisement» à l'instar des pays du Golfe ? Tel est l'enjeu de cette nouvelle géopolitique nord-africaine ! La rivalité est toujours autour d'un puits, selon un adage targui. 1. Les contours géopolitiques : La configuration géographique de l'Afrique du Nord dépend en particulier, si l'on se place selon les méridiens ou les parallèles, des contours géopolitiques qui lui sont esquissés : Afrique du Nord dite «Maghreb» selon l'Union européenne ou l'UMA(6), Afrique du Nord à la limite de la 25e Nord selon l'ONU(7). Ces deux configurations ne décrivent ni la géographie ni l'histoire de cet espace : – L'Afrique du Nord «maghrébine» suggère implicitement un ensemble postcolonial francophone (Algérie, Mauritanie, Maroc, Tunisie), sans la Libye. Avec ce dernier pays, quand il s'agit de l'ensemble dit «Grand Maghreb». La géographie coloniale définit donc les contours géopolitiques et les entités politiques de la région. – L'Afrique du Nord «onusienne» étant considérée comme un espace africain «arabophone», intégrant ainsi l'Egypte et le Soudan, sans rendre compte de l'unité géographique, historique et culturelle de cette région. Une géographie qui exclut les populations du Sahel qui sont historiquement rattachées au Nord comme les Touareg. L'Afrique du Nord est donc une notion géopolitique très étriquée. Pour quelqu'un qui veut l'étudier avec pertinence, cela n'a aucun sens. Est-ce que l'Afrique du Nord s'arrête uniquement au niveau des pays du petit ou du grand «Maghreb», sachant que l'Egypte ou le Soudan font partie également de l'Afrique du Nord ? Pourquoi l'Afrique du Nord ne comprend pas par exemple les pays du Sahel, comme le Mali, le Niger et le Tchad, situés au Nord de la ligne du Golfe de Guinée jusqu'au Golfe d'Aden ? Donc, c'est une perception géopolitique à géométrie coloniale variable, c'est même une notion controversée, une représentation confuse qui ne relate aucune unité géopolitique, ni culturelle ou historique. L'état du savoir sur cette région semble même éphémère. Pourtant, c'est un espace géopolitique en devenir, qui mérite recherche critique et méthode. Ensuite, si nous prenons par exemple des approches ethniques ou linguistiques, par exemple la toponymie locale, celle des noms et des lieux, ou l'histoire des confédérations tribales, l'Afrique du Nord est un ensemble géopolitique plus vaste, qui va de la Méditerranée au Sahel et de l'Atlantique à la Mer rouge. Pourquoi par exemple dans la presse généraliste ou spécialisée parle-t-on du Sahel, sans savoir exactement où il commence et où il finit, ce qu'il englobe, quel type de population il comprend ? L'approche géographique ne propose qu'une interprétation partielle et imparfaite de l'espace, de ses reliefs et de ses populations. Simplement, ce qui est ciblé dans cette contribution est l'Afrique du Nord dans sa dimension transsaharienne, dans laquelle s'opère un jeu géopolitique complexe. L'espace de l'Azawad étant l'arc critique de cette nouvelle géopolitique nord-africaine, une «mer de sable», un espace enclavé mais riche en ressources. Il est situé entre les «deux perles» du Sahara : Ghadamès, la perle du Nord, et Tombouctou, la perle du Sud. Une région qui s'étend donc sur l'essentiel du Sahara et du Sahel. La majorité des bassins de pétrole, de gaz, d'uranium ou de métaux précieux des pays du Sahara et du Sahel est localisée dans l'Azawad. Enfin, cet espace amazigh est moins diversifié sur le plan ethnique et cultuel que le Golfe arabo-persique ou la Caspienne. Il est surtout homogène sur le plan géographique, ethnique et linguistique. Une forte identité géopolitique. Donc, on peut et on doit pour comprendre la géopolitique de cette région se concentrer plutôt sur cet espace que de le comparer à d'autres, en évitant surtout de transposer des modèles abstraits ou inopérants. L'Afrique du Nord est cette région «transsaharienne»(8) qui s'étend de la Méditerranée à la limite de la 15e Nord. Un ensemble géopolitique, historique et culturel homogène. Tous les pays de cet espace géographique baignent dans le Sahara. Ils sont pétris par les mêmes faits historiques et culturels. D'Alger à Tombouctou, ou de Tripoli à Rabat, les populations sont encore marquées par le même sceau identitaire et dynastique, celui des grandes confédérations amazighes(9), principalement les Zénètes(10), en Libye, en Tunisie, en Algérie, au Maroc, en Mauritanie, au Mali, au Niger et au Tchad. Nombreux sont encore les «bassins démographiques à fort potentiel berbère»(11), qui témoignent de la continuité territoriale, de la vivacité linguistique et de la pertinence de l'unité géographique, historique et culturelle de la région. Un espace géopolitique et culturel qui s'étend sur un littoral méditerranéen de 6000 km et presque autant le long du Sahel(12), un «littoral de sable» selon le géographe nord-africain Idrissi.(13) Il dispose d'un fort potentiel de ressources minières, énergétiques, végétales et animales. Les ressources énergétiques sont fortement concentrées dans le Sahara et le Sahel. Le littoral nord-africain est l'espace vital avec une forte concentration démographique, urbaine, industrielle et économique. La nouvelle géopolitique que l'on peut annoncer est celle de cette configuration nord-africaine dans laquelle s'opèrent des stratégies de contrôle global. Un arc géopolitique dont le premier point d'ancrage, à l'Ouest, part de l'Atlantique. L'autre extrémité à l'Est arrive jusqu'à la Mer rouge. Il est contenu entre le Sahel au sud et la Méditerranée au nord. Il est caractérisé par d'importants faits démographiques, économiques et énergétiques. 2. Les contours démographiques : L'Afrique du Nord comptait 250 millions d'habitants en 2012, avec une faible densité démographique, soit 10 habitants au km2. La croissance démographique est de 2% par an. 75% de la population est urbaine. L'espérance de vie est de 65 ans et le taux d'alphabétisation est de 60%. Cependant, les indicateurs démographiques de la région font apparaître de fortes disparités entre le littoral nord-africain et le Sahel. – Le littoral se caractérise par une dynamique urbaine. La population est plus citadine et mieux instruite. La croissance démographique plus modérée. L'espérance de vie est plus élevée et l'alphabétisation plus répandue. L'Algérie, la Libye et la Tunisie semblent s'inscrire dans cette dynamique. Le Maroc contraste avec cette mutation : plus 43% de la population est rurale et analphabète. L'Egypte apparaît encore plus rurale malgré l'importance du Caire, la première mégapole africaine comptant plus de 15 millions d'habitants. Cette dynamique exige plus de commodités urbaines : santé, éducation, logement, eau, électricité, transport, télécommunication et sécurité. La faiblesse de ces services publics conduit au renchérissement des prix et à des fortes tensions sociales. Parfois, des réseaux «parallèles», mafieux ou idéologiques, se substituent aux services de l'Etat pour assurer la continuité de ces services publics. – Le Sahel connaît une situation plus contrastée, fortement dégradée. 70% de la population est rurale ou nomade. Les services publics vitaux (santé, éducation, eau, sécurité) sont rudimentaires, voire inexistants. L'espérance de vie est parmi les plus faibles. Elle ne dépasse pas 55 ans, soit 20 ans de moins que celle de la population du littoral nord-africain. L'espérance de vie de la population d'Afrique du Nord étant de 65 ans. L'analphabétisme est encore massif, soit 70% de la population. Le territoire est soumis à la désertification, au pillage, au despotisme et au terrorisme. Les indicateurs démographiques d'Afrique du Nord laissent apparaître une dynamique urbaine en devenir, exigeant plus de services publics et une meilleure gouvernance urbaine. Elle est en rapport avec des flux démographiques qui accentuent la concentration urbaine sur le littoral nord-africain. Elle est accompagnée par des flux migratoires du Sud vers le Nord suivant deux corridors : le «corridor Est» qui fait le lien entre les deux «perles du Sahara». Il part du Sahel et traverse l'Algérie, la Libye et la Tunisie, pour alimenter principalement l'émigration et accessoirement la contrebande et le terrorisme. Le «corridor Ouest» est celui des flux migratoires traversant la Mauritanie, le Sahara occidental et le Maroc pour les mêmes motifs : émigration, contrebande et terrorisme. 3. Les enjeux économiques : Le Produit intérieur brut (PIB) par habitant en Afrique du Nord est de 3140 $ en 2012. Il est presque 10 fois moins que celui de la France ou le Royaume-Uni. L'Algérie, la Libye et la Tunisie se situent au-dessus de cette moyenne nord-africaine. La Libye, avec 13 000 $ par habitant, occupe la première place et le Niger en dernière position avec 435 $. La situation économique d'un pays à l'autre est fort contrastée. – L'Algérie occupe la seconde place après l'Egypte. Son PIB a atteint 209 milliards $ en 2012. La croissance du PIB est due à la hausse des prix des exportations pétrolières et gazières. Une croissance qui a conduit au recul de la dette publique et du chômage (10,2%). Par contre, la dépense militaire a explosé. Elle a atteint 4,5% du PIB, soit 9,4 milliards de $, légèrement inférieure à la dépense d'éducation. Cependant, les inégalités sociales et régionales se creusent. Les grosses «fortunes» se multiplient et la paupérisation de la multitude s'accroît. Le Sud de ce pays cristallise ainsi toutes les inégalités sociales et économiques et devient un foyer de toutes les rivalités, à l'instar de la vallée du M'zab et du Sahara. – La situation économique en Libye continue de se dégrader malgré l'importance de ses revenus pétroliers. Le chômage explose, soit 30%. L'insécurité et le pillage économique se diffusent. Les institutions s'effondrent et le pays se divise. Le risque est celui de l'émergence d'entités tribales ou théocratiques à Barca et au Fezzan. Tel est le lourd tribut de l'intervention internationale dans ce pays en 2011. – Le PIB par habitant en Tunisie reste au-dessus de la moyenne nord-africaine malgré un net recul depuis 2011. L'instabilité institutionnelle et la raréfaction du tourisme ont largement contribué à la dégradation de la situation économique. Le taux de chômage a dépassé 19%. Le «printemps du jasmin» radicalise les rivalités et instrumentalise la religion. Le terrorisme s'enracine dans ce pays. – Le Maroc poursuit modérément sa croissance économique, malgré un apport plus conséquent en investissements directs étrangers et un fort potentiel touristique fuyant la Tunisie et l'Egypte depuis 2011. Le chômage semble maîtrisé mais la dette publique est de 60% de son PIB. La dépense militaire explose en raison des convoitises du Makhzen sur le Sahara occidental. – Les pays du Sahel connaissent un fort chômage mais la dette publique est maîtrisée. Le chômage frappe davantage les tranches jeunes de la population, une pompe des flux migratoires vers le littoral nord-africain, puis vers l'Europe par l'Italie ou l'Espagne. Autour de ces flux se greffent la contrebande et le terrorisme. Les indicateurs économiques d'Afrique du Nord annoncent plus de tensions sociales, voire des rivalités locales ou transfrontalières durables. Le chômage reste fort. Les dépenses militaires explosent. 25 milliards $ ont été injectés en 2012 dans l'armement et le fonctionnement des armées. L'Algérie occupe la première place, suivie de l'Egypte, du Maroc et du Soudan. Ces quatre pays totalisent l'essentiel de la dépense militaire nord-africaine, soit 20,5 milliards $/an. La région s'expose donc à plus de convoitises. D'abord, elle est un des grands marchés de la dépense militaire. Ensuite, l'Afrique du Nord importe massivement des biens manufacturés pour une facture annuelle de 100 milliards $. Sa contribution au commerce international avoisine médiocrement le 1%. Enfin, son potentiel en ressources naturelles, pétrole, gaz, uranium et métaux précieux suscite toutes les convoitises internationales et les interventions militaires. 4. Les enjeux énergétiques : L'Afrique du Nord dispose d'un fort potentiel en hydrocarbures. Les réserves prouvées sont constamment réévaluées à la hausse d'une manière rigoureuse. L'octroi de titres miniers croissant est révélateur. De nouveaux bassins pétrolifères sont explorés et les découvertes pétrolières ou gazières rentrent en production. De ce fait, le secteur de l'énergie absorbe 25 milliards $ par an en investissements pétrolier et gazier. Les réserves prouvées du pétrole sont estimées à 68 milliards de barils en 2012. Pour le gaz naturel, elles sont de 8528 milliards de m3. Ces réserves en hydrocarbures sont importantes malgré la faiblesse de l'effort d'exploration dans la région, plus faible encore dans l'Erg occidental et le Sahel. Les réserves pétrolières et gazières se concentrent principalement en Algérie, en Egypte et en Libye. Les nouvelles découvertes dans l'Erg occidental en Algérie, en Mauritanie, au Mali, au Niger, au Tchad et au Soudan laissent supposer un accroissement du potentiel en hydrocarbures de l'Afrique du Nord. Les imposantes réserves de change d'Afrique du Nord suscitent également toutes les convoitises. Elles sont générées par les exportations pétrolières et gazières. Ces capacités de financement sont capables d'amorcer un développement durable, à la condition de conduire des projets pertinents et crédibles avec une gouvernance saine et rigoureuse. La région accumule une forte capacité de financement de 397 milliards $ en 2012. L'Algérie compte 205 milliards $ et la Libye 110 milliards $. Le Niger, le Maroc et l'Egypte se partagent le reste. Parmi ces projets pertinents et crédibles, il y a ceux qui devront satisfaire la demande énergétique et électrique intérieure sans cesse croissante. En 2012, la consommation de l'énergie (en TEP/hab. ou en KWh/hab) suggère deux groupes de pays en Afrique du Nord : ceux qui consomment et ceux qui rationnent. Des pays dont la consommation énergétique et électrique par habitant est donc élevée comme l'Algérie, la Libye, l'Egypte et la Tunisie. Le modèle énergétique de Tunisie qui ne se fonde pas sur l'abondance de la ressource énergétique comme en Algérie ou en Libye montre une certaine efficacité et une bonne gouvernance énergétique. Pour les autres, la consommation reste faible, mais elle est appelée à s'accroître pour les usages de transport et de climatisation. Dans ces pays, l'énergie semble être rationnée en raison du renchérissement du prix de l'énergie et de la rareté de la ressource. La demande énergétique et électrique en Afrique du Nord est appelée à s'accroître, et par conséquent elle sera un enjeu de bien-être et de gouvernance économique pour la prochaine décennie, notamment pour des pays comme l'Algérie et l'Egypte. 5. Le jeu géopolitique : L'éveil identitaire d'Afrique du Nord, son potentiel en hydrocarbures et ses réserves de change sont l'enjeu de la nouvelle géopolitique nord-africaine(14). Elle révèle une rivalité croissante qui prend la forme de conflits ouverts et complexes où des puissances s'affrontent, par groupes ethniques ou cultuels interposés, au gré de colossaux intérêts géopolitiques, économiques et énergétiques. La multiplication des conflits ou des mandats militaires des Nation unies, comme en Libye ou dans l'Azawad en est l'illustration. L'onde de choc de cette rivalité menace au passage la paix régionale et internationale. Le jeu géopolitique autour du contrôle de la région, ses ressources et les voies d'accès se déroule globalement en deux séquences. – La première est celle du contrôle de la gouvernance en Afrique du Nord. La région semble s'orienter vers un modèle de gouvernance sous tutelle dans le cadre d'un Etat national postcolonial. Toute résistance à cette alternative conduit à une exacerbation des rivalités et à leur militarisation. L'objectif étant l'effondrement des centralités nationales postcoloniales et l'émergence d'entités tribales ou théocratiques conduisant à des «Etats-Gisements», à l'instar des pays du Golfe. La Libye en est l'expérimentation, Barca ou Fezzan le projet. La wahhabisation des rivalités locales et l'intervention internationale sont l'instrument et la finalité. – La seconde est celle du contrôle des ressources et des voies d'accès, port d'expédition et tracés des tuyaux qui achemineront les hydrocarbures, hors de cette région, vers les marchés cibles d'Europe et d'Amérique. Les compagnies et les puissances inscrivent leurs actions autour et le long des fractures géopolitiques induites par des rivalités locales ou des convoitises pétrolifères, pour s'imposer comme l'alternative de contrôle des ressources et de gouvernance des voix d'accès. Nous pouvons ainsi préciser certaines voies d'accès critiques, «check-points» dans la région. – Les voies d'évacuation du pétrole et du gaz vers l'Atlantique et la Méditerranée : vers l'Europe et la côte Est pour l'approvisionnement des Etats-Unis. – D'autres check-points sont en formation. Un nouveau point d'accès ou de contrôle est en train de se constituer : via la Mer rouge en raison de la montée en puissance des réserves d'Egypte et du Soudan. Une bataille s'annonce autour des réserves du Tchad et du Niger. Parce que les opérateurs d'Europe, des Etats-Unis ou de Chine sont suffisamment implantés dans la région. Ceux de Chine ont fortement investi au Soudan et cherchent un accès vers la Mer rouge, d'où cette rivalité autour de la pacification de la Somalie et le contrôle du Golfe d'Aden. La Somalie vient d'être classée comme la «première zone de risque dans le monde» en raison surtout de sa proximité du golfe d'Aden. Donc, une forte tendance à contrôler les ressources nord-africaines. Une stratégie de contrôle initiée par les Etats-Unis et qui a commencé à s'affirmer depuis 1995 avec la montée en puissance des réverses d'hydrocarbures de cette région. Sa traduction est l'Africom, United States Africa Command, un commandement militaire pour l'Afrique. C'est l'aboutissement d'une série d'accords économiques et militaires entre les Etats-Unis et les pays de la région, y compris bien sûr les programmes militaires d'équipement, d'entraînement et d'intelligence. Une nouvelle architecture géopolitique qui concerne en particulier le Maroc, la Mauritanie, la Tunisie, l'Algérie, l'Egypte ou encore le Mali et le Niger. Les Etats-Unis ciblent l'Algérie comme une «plateforme d'action globale» dans ce dispositif stratégique. Par analogie avec l'espace altaïque, l'Algérie c'est à peu près l'équivalent de la Turquie. Géographiquement, c'est un vaste pays et l'histoire de l'armée se confond avec celle de l'Etat, comme en Turquie. A la différence de ce pays qui n'a pas de ressources énergétiques, l'Algérie possède un fort potentiel, une armée considérée «efficace» et elle coopère avec l'Otan. L'Algérie est de plus en plus intégrée dans ce dispositif géopolitique. Les facilités du survol de son espace aérien accordées lors de l'intervention militaire française dans l'Azawad le confirment. Dans cette mutation géopolitique, les budgets militaires de l'ensemble des pays de la région, du Maroc à l'Egypte, de l'Algérie au Tchad, explosent, avec une croissance annuelle de 2 à 5% du produit intérieur brut. C'est l'équivalent de 25 milliards de dollars par an, soit presque le montant des IDE injectés dans le secteur de l'énergie (pétrole et gaz) dans ces pays. Sachant que par exemple au Niger, au Tchad ou au Mali la majorité de la population est menacée par la famine et les maladies. L'analphabétisation et le chômage ont atteint des seuils inégalés dans le monde. Dans le reste des pays de la région, la paupérisation de la population est générale et dans certains cas elle est structurelle. De nombreuses études géopolitiques et prospectives montrent que l'Afrique du Nord est un réservoir pétrolifère complémentaire du Golfe pour l'approvisionnement international. En plus, la région transsaharienne a cet avantage d'être une façade d'exportation atlantique et méditerranéenne. Un avantage-coût par rapport au Golfe pour l'approvisionnement des Etats-Unis et de l'Europe. Ces études s'accordent pour 2020 sur une offre de 230 à 240 milliards de m3, destinés principalement à l'Europe. Dans cette nouvelle géopolitique nord-africaine, les puissances internationales n'agissent pas nécessairement d'une manière collusoire ou homogène, mais elles se partagent les rôles et les intérêts économiques inhérents. Une puissance prend la tête d'une coalition militaire. Une autre assure l'assistance technologique, logistique ou stratégique. Le conseil de sécurité fournit le mandat de tutelle ou d'intervention sous le chapitre VII. Toutefois, la stratégie d'Etat la plus globale est celle des Etats-Unis, parce qu'elle combine toutes les séquences de jeu géopolitique. La montée en puissance du rôle économique et militaire de ce pays dans la région coïncide avec l'émergence d'une exigence citoyenne nord-africaine pour une gouvernance autonome. Elle accompagne une forte tendance à l'accroissement des réserves prouvées dans la région en pétrole, en gaz naturel, en gaz de schiste, en uranium, en diamant et en or. L'indépendance énergétique et l'approvisionnement en ressources naturelles de ces puissances internationales les insistent davantage à peaufiner des stratégies pernicieuses ou offensives pour confiner cette nouvelle exigence de gouvernance autonome, en globalisant le contrôle géopolitique des ressources nord-africaines. De ce fait, l'Afrique du Nord est devenue le théâtre et l'enjeu d'intérêts stratégiques d'importance mondiale. Par ailleurs, la France assume de plus en plus un rôle croissant dans cette nouvelle géopolitique. De la Libye à l'Azawad, elle conduit des opérations militaires dans le cadre d'une stratégie de contrôle global et de pacification territoriale. L'Algérie, pays central d'Afrique du Nord, y participe avec le risque géopolitique qui tend à ébranler ses frontières, à fragiliser sa cohésion intérieure et à épuiser ses ressources économiques, comme le révèle la hausse de sa dépense militaire. Trois manifestations symptomatiques résultant de cette nouvelle géopolitique nord-africaine : sécurité des frontières, cohésion intérieure et dépense militaire. La «chute de la Régence d'Alger avait bien commencé après le bombardement de Tripoli en 1805 et le naufrage du navire amiral de Raïs Hamidou à Cap Gata en 1815, coulé par les US Marines»(15). Un fait historique et géopolitique occulté ! L'éveil civilisationnel en Afrique du Nord, une exigence démocratique, constitue le contrepoids à cette logique de mise sous tutelle de la région et la perspective de sa gouvernance autonome Notes : 1) Lagha Chegrouche, «Arc géopolitique de l'énergie», in Le Soir d'Algérie, 19 décembre 2010. 2) Le Royaume de Numidie, notamment à l'époque de Jugurtha. Un roi qui s'est s'opposé durant sept ans à la puissance romaine entre 111-105 av J. C, dans une tentative de s'affranchir de la tutelle de Rome. 3) Lagha Chegrouche, in Syndrome de la Régence, à paraître : «La Régence d'Alger était le nom de l'Etat d'Alger, de 1515 à 1830. Au début de cette époque ottomane, la Régence d'Alger s'appelait ‘‘Wilayat Al-Djazaïr'', province d'Alger. A son apogée, elle disposait d'une très large autonomie par rapport à la Sublime Porte, et quand le pouvoir des Deys s'était affermi, la Régence d'Alger a pris le nom de ‘‘Mamlaket Al-Djazaïr'', Royaume d'Alger. Sa capitale, Alger, est devenue le port le plus puissant en Méditerranée». Voir également (Arthur Pellegrin (1891-1956), Toponymie et appellations successives d'Algérie, Académie des sciences coloniales, 1954). 4) La conférence de Tanger, appelée Conférence de l'Unité, «considère que la forme fédérale répond le mieux aux réalités des pays» nord-africains. La Conférence recommande aux gouvernements de «ne pas engager séparément le destin de l'Afrique du Nord dans les domaines des relations extérieures et de la défense jusqu'à l'installation des institutions fédérales». 5) La Cyrénaïque, Barca, dont la capitale provinciale est Benghazi. Une province libyenne qui a proclamé unilatéralement et sans référendum son autonomie en 2012. 6) L'UMA, «Union du Maghreb Arabe», est une organisation sans projet ni gouvernance. Une entité regroupant les pays suivants : Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie. 7) Les Nations unies rajoutent aux 5 pays de l'UMA, l'Egypte et le Soudan. Le critère de ce découpage semble celui retenu par la Ligue arabe : Afrique «arabophone». 8) La région transsaharienne est une configuration géographique qui prend en compte la dimension historique et culturelle de l'Afrique du Nord (voir Lagha Chegrouche, Géopolitique transsaharienne de l'énergie, in Revue Géopolitique n°108, 2010). Donc, c'est l'Afrique du Nord selon l'ONU plus le Mali, le Niger, le Tchad. 9) Amazigh ou Imazighen, «Berbères», un ensemble de populations historiques ou «autochtones» d'Afrique du Nord. 10) Les Zénètes, «Iznaten», forment un groupe de diverses populations amazighes et sont les fondateurs de plusieurs dynasties en Afrique du Nord (voir en particulier Ibn Khaldoun, Histoire des berbères, Charles-André Julien, Histoire de l'Afrique du nord). 11) Ce sont des territoires à fort potentiel culturel amazigh : Azawad, Aïr, Nefoussa, M'zab, Aurès, Kabylie, Souss, Siwa. 12) Le Sahel signifie «littoral» en arabe. Un «littoral de sable». 13) Dreses (1100-1165) célèbre pour sa fine connaissance de la géographie de la Méditerranée et de l'Afrique. 14) Lagha Chegrouche, Géopolitique transsaharienne de l'énergie, in Revue Géopolitique n°108, 2010 15) Lagha Chegrouche, in Syndrome de la Régence, à paraître. La guerre de Tripoli (1801–1805), appelée «First Barbary War», est la première guerre engagée par les Etats-Unis contre les Etats d'Afrique du Nord : Mamlaket d'Alger, Beylik de Tunis et Sultanat de Tripoli. La seconde guerre, appelée «Guerre algéro-américaine» ou «Second Barbary War» est la guerre qui a conduit à la mort de Raïs Hamidou en 1815, voir à ce sujet Albert Devoulx, Le raïs Hamidou Dubos Frères, 1859.